Auteur : Tony Loeb, cofondateur de 10 minutes pour un hôtelier
Trente ans de secousses et d’opportunités
Vous souvenez-vous de l’époque où les réservations se faisaient par fax, où l’on notait les arrivées sur un grand cahier et où la « stratégie tarifaire » consistait à ajuster les prix à l’instinct ?
Aujourd’hui, nous parlons d’intelligence artificielle, de flux aériens, de micromarchés et d’analyses prédictives. En trente ans, l’hôtellerie a traversé plus de révolutions technologiques que les décennies précédentes réunies.
Cet article est basé sur un podcast exclusif de 10 minutes pour un hôtelier, dans lequel j’accueillais Vincent Ramelli, entrepreneur, ancien hôtelier, véritable pionnier de la tech hôtelière et aujourd’hui CEO de LodgIQ. À travers son parcours, il incarne l’évolution d’un secteur passé de la passion artisanale à la maîtrise technologique.
Je vous propose ici un voyage à travers ces mutations, de l’arrivée d’Internet aux OTA, jusqu’aux outils modernes d’IA, pour comprendre comment chaque vague d’innovation a transformé notre métier, et pourquoi, plus que jamais, le futur appartient à ceux qui sauront conjuguer technologie et hospitalité.
L’aube du digital : quand Internet a ouvert les portes du monde
Tout a commencé à la fin des années 90. Internet n’en était qu’à ses balbutiements, mais déjà, certains hôteliers curieux y voyaient un formidable levier. À l’époque, avoir un site web hôtelier relevait presque de l’excentricité. On le faisait « pour être moderne », sans mesurer l’impact que cela aurait sur les réservations. Pourtant, c’est à ce moment précis que tout a basculé.
On pouvait voir les premiers hôtels parisiens coder eux-mêmes leurs pages HTML, afficher quelques photos, un numéro de fax, et recevoir leurs premières demandes directes du Japon ou des États-Unis. Une révolution silencieuse venait de naître : pour la première fois, un hôtel indépendant pouvait être visible dans le monde entier, sans intermédiaire.
Ceux qui ont pris ce virage tôt ont gagné une avance décisive. Ils ont compris avant les autres que la distribution n’était plus seulement une affaire de localisation, mais de visibilité numérique.
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La grande bascule : l’avènement des OTA et la guerre des canaux
Puis vint le grand bouleversement : l’arrivée des OTA. Booking, Expedia, TripAdvisor… Ces plateformes ont ouvert un nouveau chapitre de notre histoire, celui de la surexposition.
Du jour au lendemain, les règles du jeu ont changé. Les hôtels ne vendaient plus uniquement leurs chambres, ils vendaient leur position dans un algorithme. Plus on donnait de disponibilité, plus on apparaissait haut sur la liste. C’était le Far West numérique : référencement payant, « brand-jacking » sur le nom des hôtels, guerre des commissions.
Beaucoup d’entre nous ont cru que ces outils seraient de simples partenaires. En réalité, ils ont redéfini la relation client. Le contact direct s’est effacé derrière une adresse e-mail générique et un système de réservation uniforme.
La grande leçon de cette période ? Avoir un bon produit ne suffit plus. Sans stratégie de distribution claire, on devient dépendant de canaux extérieurs, et cette dépendance finit toujours par coûter cher.
L’ère de la donnée : du flair à la précision scientifique
Pendant longtemps, le revenue management reposait sur l’expérience et le bon sens. On « sentait » le marché. Mais cette approche a vite montré ses limites.
Les premiers systèmes de revenue management (RMS) ont alors ouvert une nouvelle ère : celle de la donnée. Grâce à eux, nous avons commencé à comprendre que « vendre cher » ne signifiait pas « gagner plus ». La vraie rentabilité naît de la stabilité tarifaire et de la cohérence entre prix, réputation et capacité.
J’aime rappeler cette idée simple : deux nuits vendues à 200 € ne valent rien si elles détruisent la réputation de l’hôtel pour le reste du mois. Le revenue management moderne, c’est l’art de la constance. C’est aussi la capacité à analyser des dizaines de signaux : taux d’occupation, segmentation, booking window, performances concurrentielles…
Nous sommes passés d’un métier d’instinct à un métier d’observation : un changement culturel profond, mais salvateur.
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L’intelligence artificielle entre en scène
Aujourd’hui, nous entrons dans une nouvelle phase : celle de l’intelligence artificielle.
Ce n’est plus seulement une question de données, mais de décision augmentée.
Les systèmes modernes ne se contentent plus de suggérer des prix, ils analysent littéralement le pouls du marché : flux aériens, trafic ferroviaire, événements, tendances de recherche…
Les RMS qui exploitent l’IA « intelligemment » ne comparent plus seulement les hôtels entre eux, ils comprennent les micromarchés : le quartier d’un palace n’est pas celui d’un boutique hôtel, chaque microécosystème a sa propre logique.
Grâce à ces modèles prédictifs, nous pouvons enfin anticiper les variations de la demande plutôt que les subir. Et surtout, nous passons d’une logique de réaction à une logique de stratégie : comprendre pourquoi la demande monte, où elle se déplace et comment y répondre sans paniquer sur les prix.
L’IA ne vient pas remplacer le revenue manager : elle lui donne les moyens d’aller plus vite, d’être plus juste, et surtout, d’assumer un rôle de stratège capable d’influencer les profits et pas juste les revenus.
Revenir à l’essentiel : la technologie au service de l’accueil
Soyons honnêtes : ces dernières années, beaucoup d’hôteliers se sont sentis épuisés. Entre le PMS, le channel manager, le RMS, le CRM et les publicités Google, notre quotidien est devenu celui d’ingénieurs plus que d’hôtes.
Mais c’est précisément là que réside la promesse de cette nouvelle génération d’outils d’IA. L’objectif n’est pas de nous remplacer, mais de nous libérer. L’automatisation tarifaire, l’analyse intelligente et les tableaux de bord intégrés doivent redevenir ce qu’ils auraient toujours dû être : des alliés invisibles.
Le cœur de notre métier, c’est l’accueil. L’IA doit permettre de réinvestir ce temps perdu dans ce qui fait la différence : un sourire, une attention, un souvenir. Car au fond, l’hôtellerie ne sera jamais une science exacte, mais plutôt un art de vivre.
30 ans plus tard : toujours le même métier, mais une autre dimension
En trente ans, nous avons tout changé : nos outils, nos canaux, nos repères.
Mais une chose n’a jamais bougé : notre mission. Nous accueillons, nous prenons soin, nous créons des expériences.
Internet a ouvert le monde. Les OTA nous ont appris la puissance (et les dangers) de la distribution. La « donnée » nous a rendus plus précis, et l’intelligence artificielle nous ramène à l’essentiel : être des hôteliers, pas des techniciens.
À mes yeux, c’est la seule finalité qui donne un sens à la technologie. L’avenir de l’hôtellerie ne se joue donc pas entre les mains des algorithmes, mais dans la manière dont nous les utilisons pour mieux comprendre, anticiper et servir nos clients.
🎧 Pour aller plus loin
Découvrez la conversation complète dans le podcast 10 minutes pour un hôtelier et plongez dans l’avenir du revenue management.