TOURISME-HÔTELLERIE : LE JUTEUX MARCHÉ DES ÉTUDES DE COMPLAISANCE
Dans le tourisme, dont l’hôtellerie, les études et autres rapports de complaisance sont monnaie si courante que l’on semble ne plus vraiment y prêter attention. C’est motus et bouche cousue !
Pourtant, ces entourloupes ordinaires pour berner journalistes, banquiers, investisseurs et/ou élus (entre autres), discréditent le secteur et l’embrument pour mieux avantager leurs commanditaires et auteurs, au détriment de tiers et de l’intérêt collectif.
QU’EST-CE QUE LES DOSSIERS DE COMPLAISANCE ?
Ce sont tout bonnement des rapports à charge, orientés, partiaux, dont le contenu est intentionnellement faux. A ne pas confondre avec un travail incompétent, qui, s’il arrive aux mêmes conclusions ne le fait pas exprès…
La complaisance est la disposition à se conformer aux goûts, aux sentiments d’autrui pour lui être agréable, lui rendre service. Bref, c’est un cadeau. Mais pas gratuit. L’acte est plus ou moins chèrement vendu par celui qui le commet et bien rémunéré par celui qui le commande, avec à la clef un joli retour sur investissement attendu une fois que l’on a convaincu ceux qui doivent l’être.
Bref, c’est « donnez-moi vos réponses et je vous trouverai les questions qui vont avec ».
À QUELLES FINS ?
Le rapport de complaisance se présente le plus souvent sous la forme d’une étude de marché, d’une enquête, d’un livre blanc, d’une étude de faisabilité ou d’impact, d’un sondage, d’un business plan, d’un article ou encore d’une expertise.
Dans notre secteur, des baromètres conjoncturels hôteliers émanant de cabinets privés en font souvent également partie.
Cela peut porter sur des projets, sur des investissements, sur des recapitalisations, sur des diagnostics d’entreprises, sur des stratégies, sur une activité de branche, sur des terrains (sur lesquels créer un projet), sur des mesures de qualité, sur des études d’image ou de clientèles, etc. Bref, dès que l’on dépend d’une analyse, d’un rapport ou d’un dossier pour prendre des décisions et pour trouver des financements, l’étude de complaisance peut être la bienvenue !
Elles ont toutes la même finalité : influencer, convaincre, faire prendre des vessies pour des lanternes et tromper les interlocuteurs à qui elles s’adressent. On est là dans le domaine de l’intérêt particulier ou corporatiste au détriment de l’intérêt collectif.
Bien entendu, dans une situation saine, il n’y aurait pas besoin de faire réaliser des études trompeuses. Quand tout va bien, quand tout est prometteur, nul besoin de tricher. C’est donc lorsqu’il existe des choses à cacher ou lorsqu’une situation est défavorable que l’on ment.
Leur vocation peut être :
- de soutenir le bien-fondé d’un projet pour persuader des investisseurs, des associés ou des banques que ce projet est potentiellement rentable (alors qu’il ne le sera jamais) pour qu’ils apportent leur contribution financière,
- d’influencer les pouvoirs publics pour l’obtention de subventions, de lois favorables ou d’autorisations administratives,
- de susciter l’intérêt de la presse et des médias, afin de bénéficier d’articles et de reportages avantageux,
- de dénoncer ou d’orienter une réglementation, une loi, pour favoriser une demande corporatiste, une branche d’activité, un secteur économique,
- etc.
COMMENT SE PRÉSENTENT CES DOSSIERS ET ÉTUDES DE COMPLAISANCE ?
Le rapport de complaisance ressemble à tout dossier ou document sérieux qu’il imite à la perfection tant dans sa forme que dans sa teneur, lorsqu’il est bien réalisé. À part que son contenu est faux, en tout et surtout en partie. Car la plupart du temps, on y mélange subtilement le vrai avec le contrefait et l’inventé, pour lui donner davantage de crédibilité et brouiller les pistes. Cette approche rappelle les mécanismes des fake news, de la propagande et de la désinformation. On est là dans la sphère de l’art manipulatoire et dans le tour de passe-passe.
Pour parler d’un sujet ou d’un projet, le faussaire gomme les points négatifs, les ignore ou encore les minimise. Ou au contraire, il charge le contexte négativement si cela doit aller dans le sens de l’intérêt du commanditaire de l’étude de complaisance. On ne parle pas ici d’un simple embellissement coquet dans la présentation de projets, ce qui est bien sûr naturel. Mais, bel et bien de véritables crapuleries destinées à rouler les lecteurs-décideurs dans la farine.
LES ASTUCES DE LA TROMPERIE
On découvre parfois de véritables monuments d’illusionnisme ! Toutes sortes de moyens sont bons pour faire croire que ce que l’on dit est vrai : faux sondages ou extraits arrangeants d’études officielles, équations pseudo-scientifiques fumeuses, statistiques sorties du chapeau (avec 2 chiffres derrière la virgule pour faire plus scientifique encore), affirmations péremptoires et gratuites, postulats imaginaires, éléments d’études ou de recherche extraits de leur contexte, contrevérités affirmées de manière définitive et « sûr de soi », références à des experts reconnus, données paraissant réalistes écrites sur un coin de table… du classique, en somme, que tout apprenti endoctrineur maîtrise déjà parfaitement.
Et plus c’est gros, plus cela passe. Combien de banquiers, fonds d’investissements, collectivités ou même particuliers-investisseurs se font abuser par ces dossiers bidonnés ?
L’enjeu est bien sûr que le ou les lecteurs du dossier ainsi falsifié ne se rendent pas compte du travail de falsificateur qui a été produit. Bref, ce type de supercherie est un tantinet déloyal, insincère et, évidemment, malhonnête. Et cela n’empêche pas bon nombre de journalistes de prendre des études truquées comme sources de leurs articles, sans rechigner. Pourvu que le sujet marque les esprits.
QUI LES COMMANDENT ?
Dans le tourisme, dont l’hôtellerie (qui nous intéressent), l’éventail des commanditaires d’études et dossiers de complaisance est très large. Cela va du simple particulier porteur d’un modeste projet, désireux d’amadouer son banquier ou de décrocher des subventions, au promoteur immobilier pour enfumer les futurs investisseurs, en passant par des grands groupes, des lobbies, des associations ou des syndicats.
Mais, on trouve également parmi les demandeurs de faux, des élus et des collectivités souhaitant justifier fallacieusement des investissements contestés ou de coûteuses opérations urbanistiques.
On observe même l’imposture au plus haut niveau par les gouvernements qui se succèdent avec nos fameuses statistiques sur le tourisme trop belles pour être vraies depuis de nombreuses années. On est même en droit de douter de la justesse de celles de l’OMT, qui a des intérêts à servir.
Mais, curieusement, il n’est pas rare que les auteurs de ces dossiers de complaisance cherchent à faire plaisir et à embellir une situation sans même que personne ne le leur demande ! Ils n’abusent plus ceux qui doivent être convaincus en fin de chaîne, mais leur propre client — à qui cela peut coûter très cher s’il monte son projet qui en réalité n’est pas viable —, lequel attendait au contraire des vérités et des démonstrations sérieuses.
QUI LES COMMETTENT, QUI LES RÉALISENT ?
Les spécialistes de ce genre de travail sont légion : cabinets d’études, lobbyistes, experts, consultants, instituts de sondage et autres spécialistes.
Chez certains, c’est la routine, voire le fonds de commerce. Ces opportunistes peuvent d’ailleurs effectuer ce type de travail « borderline » — qui peut représenter jusqu’à 50 % de leur chiffre d’affaires — et parallèlement agir normalement, avec droiture, sur d’autres dossiers. Quand le Docteur Jekyll est là, Mister Hyde n’est jamais loin.
L’enjeu pour le donneur d’ordre est précisément de faire appel à un spécialiste reconnu, qui a pignon sur rue, pour peu qu’il accepte ce type de dérive. Car l’on aime régulièrement laisser confondre notoriété et bonne image. Le commanditaire doté d’une coiffe de corrupteur pense qu’une signature connue va endormir la méfiance ambiante et apporter du crédit à son dossier. « Si c’est un spécialiste reconnu qui le dit, c’est forcément que c’est vrai ».
Il ne lui reste plus qu’à trouver son complice, metteur en scène des basses œuvres, qui n’est pas forcément long à trouver. Il y a en cela un bouche-à-oreille très efficace.
L’argent fait des miracles, comme cet architecte prêt à payer trois fois le prix normal d’une étude pour qu’un cabinet élabore un rapport démontrant à la mairie la faisabilité de son projet hôtelier.
Comme ce cabinet d’études qui pond un dossier sur commande pour expliquer que la hausse moyenne de quelques euros de la taxe de séjour à Paris allait faire fuir des centaines de milliers de touristes et mettre au chômage un gros paquet de salariés de l’hôtellerie. Mais, le même ne voyait pas le problème que ses commanditaires hôteliers parisiens doublent, voire quadruplent régulièrement leur prix, ce qui ne ferait étrangement plus fuir les touristes…
QUE GAGNENT CES FAUSSAIRES À AGIR AINSI ?
S’ils ne craignent pas d’au moins perdre leur honneur, les auteurs de ces dossiers truqués se font de l’argent facile. Une étude de complaisance écrite sur un coin de table est plus rapide et plus facile à produire qu’une étude professionnelle, qui demande du temps, des compétences et des moyens.
Ensuite, cela peut se monnayer plus cher, comme déjà expliqué. Enfin, présenter un dossier aux conclusions forcément favorables, bonnes et prometteuses pour un projet (ou un marché, ou une stratégie ou une situation conjoncturelle) ne peut que plaire au commanditaire. Du coup, celui qui le fournit est payé plus vite et sans encombre. Quand on ne lui décerne pas un statut de bienfaiteur…
UN PHÉNOMÈNE COURANT ?
Véritable nuisance pour l’économie, on estime que près de 1/3 des rapports dans le tourisme et l’hôtellerie et près de 2/3 des études de marché présentées par des promoteurs immobiliers, cabinets d’études ou autres porteurs de projets sont plus ou moins des fautives études de complaisance.
Quant aux baromètres conjoncturels publiés par des cabinets d’études, la majorité sont une tromperie servant les intérêts de groupes de tourisme ou d’hôtellerie, ou seulement à faire parler de soi dans les médias. Voir notre article sur le sujet.
EST-CE ILLÉGAL ?
Mais oui, voyons ! Évidemment. Il s’agit d’écritures en faux, d’usage de faux et de trafic d’influence quand il s’agit d’obtenir des avantages ou des financements publics ou privés. La corruption n’est pas très loin non plus. C’est de toute façon une fraude, de l’escroquerie et un acte immoral.
Dans les faits, lorsqu’une étude de complaisance est découverte, cela ne va généralement pas plus loin au pénal. Dommage. C’est donc un marché qui peut rapporter gros, sans risque réel pour les auteurs et les donneurs d’ordre. Le faussaire pris avec le doigt dans le pot de confiture plaidera toujours l’erreur ou la maladresse. Voire — plus généralement —, il soutiendra mordicus que son travail est sérieux, scientifique et qu’il a de nombreuses références à son actif pour démontrer que sa prose ne peut pas être mise en cause.
Mais, il est clair que les financeurs ne suivront plus et que la canaillerie dévoilée mettra fatalement à mal toute chance de survie d’un projet. Sans compter que le demandeur d’aides, de subventions ou de financement sera définitivement blackboulé.
COMMENT DÉTECTER UNE ÉTUDE OU UN DOSSIER DE COMPLAISANCE ?
La plupart du temps, c’est en connaissant bien le sujet auquel se rapporte le document érigé en trompe-l’œil que l’on peut identifier des incohérences, des données inventées, des approximations douteuses, des analyses trompeuses ou encore des manipulations. La réputation de son auteur peut déjà, à la base, mettre la puce à l’oreille.
Chez Coach Omnium, nous avons mené depuis 1991 des centaines de contre-expertises sur des projets hôteliers ou dans le domaine des MICE. Nous voyons très vite si l’on a affaire à un dossier de complaisance fait par un porteur de projet borderline, par un cabinet d’études tricheur ou au contraire à un dossier sincère, sans reproche et bien argumenté.
C’est la raison pour laquelle à force de se faire entourlouper, de plus en plus de sociétés financières, banques et gros investisseurs commandent ce type de contre-expertise à des professionnels intègres afin de valider ou non les business plans remis par des porteurs de projets, et de démasquer les supercheries. Il leur est alors possible de décider en connaissance de cause s’ils doivent ou non accorder leur financement à ceux qui les sollicitent.
Mark Watkins