C’est le 3ème volet de cette série d’articles sur la stratégie hôtelière en 2017. Si vous n’avez pas lu le premier, à propos de la stratégie de collaboration avec les OTAs, ni le second sur les meilleures fonctionnalités pour le site web, alors je vous invite à les lire avant de poursuivre.
Ce quatrième volet est éminemment humain. Vous l’aurez compris, les précédents chapitres portaient sur la partie « marteau » de ma métaphore. Abordons maintenant la partie enclume, la partie humaine. Je remets le client au centre de toutes mes préoccupations. Je vais tout faire pour mes clients. Je m’efforce d’être bienveillant, tout le temps. Je n’ai pas dit que je devenais esclave, bien au contraire. Je parle là de relation humaine, normale, d’échanges, de partage. Je sors du rôle d’hôtelier, formel et intéressé, pour celui d’hôte, aimant recevoir partager et accueillir, sincèrement et de manière désintéressée (enfin, j’encaisse quand même, mais ce n’est pas plus ma motivation première). A bien regarder, c’est ce que fait AirBnb.
Mon premier atout est mon staff, mon personnel. Ils sont en contact avec les clients, ils ont un rôle primordial.
J’aime beaucoup la citation, que le web attribue généralement à Richard Branson
C’est tellement vrai et logique.
Je ne sais pas comment vous dire, ni même si je dois le dire, de respecter vos équipes, vos collègues, les clients, etc. C’est con dur à dire, mais c’est quand même le socle fondamental pour construire une relation et un business pérenne. Ça commence par bien définir le poste, respecter les horaires, prendre sa charge de travail, savoir reconnaître quand l’autre à besoin d’être soulagé, besoin d’être récompensé, reconnu, etc. Arrêtez de chercher un réceptionniste trilingue, fort en informatique pour travailler en coupure, avec un week-end libre par mois pour à peine plus que le smic. J’arrête ici, ce n’est pas un blog psycho bien-être.
Dans cette révolution que nous vivons, le client a rajouté le partage et la communauté à ses besoins. Joe Pine nous explique comment nous sommes passés d’une ère agraire (on produit ce dont on a besoin) à une ère industrielle (basée sur le produit et la consommation de masse), à une ère basée sur le service et, maintenant, à une ère expérientielle.
Le bon vieil aubergiste en perd son latin
Le bon vieil aubergiste du 16ème siècle ne faisait que fournir un endroit sécurisé pour passer la nuit et se restaurer (besoins primaires selon Maslow), puis, à la sortie de la seconde guerre mondiale, il a travaillé le produit. Aller à l’hôtel était synonyme d’avoir mieux que chez soi, une plus grande télé, canal+, un grand buffet de pdj, etc. Aujourd’hui, j’ai mieux chez moi qu’à l’hôtel. Je bois le meilleur café du monde, merci Nespresso, j’ai une télé immense, des milliers de chaînes, des films à la demande, etc. Notre aubergiste doit faire aussi bien (arrêtez de me servir un mauvais café filtre) pour me satisfaire. C’est probablement comme cela qu’il est entré dans l’ère de service, ça au moins, je ne peux pas en avoir chez moi, des services (mais attendez de voir ce que Amazon Echo fait). Et l’on a vu fleurir les spas, massages, roof-top et autres services à soi-disant valeur ajoutée. Face à l’abondance de services, partout, tout le temps, pour tout le monde, notre aubergiste doit encore évoluer, c’est aussi surtout le comportement du client qui le pousse dans cette évolution. Joe Pine nous dit qu’après l’ère servicielle, c’est l’ère expérientielle. Je résume cela au besoin du client de rajouter une dimension communautaire, de partage, à son expérience. C’est le besoin qu’a le client de donner un sens à son acte. Le client s’est élevé dans la satisfaction de ses besoins de la bonne vielle pyramide de Maslow, donner du sens à son acte, c’est chercher de l’épanouissement, de l’accomplissement…. Il n’est pas sorti de l’auberge notre bon vieil aubergiste.
On verra dans le prochain épisode que donner du sens à son acte, vivre des expériences, influence le produit, les équipements, du moins leurs fonctions. Ça remet en cause le produit même. Mais ça remet en cause le rôle de l’humain. Il n’est plus là uniquement pour le servuction (production de services), mais aussi pour servir de passeur d’expériences. Le vécu est essentiellement influencé par la relation humaine, ce sont vos équipes qui sont supports et vecteurs d’expériences et ça change beaucoup de choses. Ils deviennent des accompagnateurs de séjour.
Le bon vieil aubergiste a vu son rôle changer au cours des années….
La qualification du personnel
C’est un nouveau métier qui arrive. Il serait bien d’accompagner le staff dans cette mutation. Il doit quitter son rôle de donneur de clefs et d’administratif pour celui d’accompagnateur. Faire un check-in ne devrait plus ressembler à une étape administrative du Pôle Emploi. Je n’aime pas remplir un formulaire, donner mon passeport, confirmer ma CB (au cas où je téléphone depuis la chambre me dit-on) et me justifier de ne pas avoir la carte de fidélité. Au lieu de cela, je préfèrerais que l’on s’occupe de moi, de mon séjour, de mes besoins, qu’on me surprenne (il y a de l’inattendu dans l’expérience). Il est possible, grâce à la technologie, de déporter l’étape administrative en amont. En échange d’un véritable accueil, je suis prêt à faire mon check-in depuis mon smartphone, avant mon arrivée. Je peux ainsi être accueilli sincèrement, humainement, presque de manière désintéressée. Mais il faut pour cela que le personnel ait quelque chose à partager. Regardez AirBnb qui sort de son rôle d’hébergement pour vendre des expériences. Après avoir révolutionné l’hébergement, ils vont révolutionner le tourisme, les activités, la façon d’interagir avec le territoire. Je ne laisserais pas ce rôle à des géants américains. Je ne les laisserais pas devenir des dealers d’expérience. Je ferais tout pour moi aussi devenir un ambassadeur de mon territoire. Cela veut peut-être dire qu’il est nécessaire d’accompagner mon staff à le devenir. Et la première action est de lui donner du contenu à partager, il faut que mon personnel ait goûté la bonne cuisine de tel restaurant, qu’il ait été au super marché du dimanche, qu’il ait visité tel site. Je consacrerais un budget à la connaissance du territoire et des secrets qu’il recèle. Et plutôt que de l’envoyer bêtement dans tel musée, manger dans tel resto, j’irais avec lui ou j’organiserais ces actions en petit groupe. Je veux vivre l’expérience avec eux, voir ce que l’on peut en retirer et comment le mettre en histoire pour mes clients.
A mort l’école hôtelière !
Bon, ok, ce titre est racoleur, mais c’est pour bien faire comprendre que cette nouvelle dimension expérientielle ne s’apprend pas à l’école. Je chercherais avant tout un profil, une gueule, une tronche, un caractère, pour être en contact avec mes clients. C’est le triomphe du « savoir-être » qui l’emporte face au « savoir-faire ». Je ne chercherais plus un profil école hôtelière, ce dont mon staff a besoin de savoir faire, je lui apprends. Je cherche un profil ouvert, qui ait envie d’échanger, de communiquer, quelqu’un de bienveillant. Je ne sais pas si cela s’apprend, c’est pour cela que je parle de savoir-être. Attention, l’école hôtelière à toujours son rôle et sa mission, mais c’est purement fonctionnel, c’est méthodique, alors que l’ère expérientielle va chercher dans le relationnel…. Pas facile pour tout le monde.
Ma promotion de MAN à l’école hôtelière de Clichy, en 1994, le Lycée René Auffray
(petit format uniquement, respect des camarades de promo)
PS: le premier qui me trouve, et le dit en commentaire, gagne un livre !
C’est fini, ne jouez plus, c’est Fabrice qui a gagné !
Formation
Je crois dur comme fer à la formation (en même temps, je suis formateur …). Surtout pour ouvrir l’esprit. La catalogue du FAFIH est rempli de formations les plus intéressantes les unes que les autres (je suis le premier à y mettre mes programmes de formation). Mais c’est, encore une fois, purement fonctionnel. En fonction de mon établissement, je formerais mes équipes à autre chose, mais surtout en fonction de leurs envies et passions. Le mot passion est important. Je laisserais, j’encouragerais les passions. La formation pouvant aider à la découverte de passions. Un stage de yoga, de guitare, de dessin, sont autant de moyens de révéler une capacité. Et pourquoi pas aller à la découverte de la nature. Un employé qui connaît tous les chemins de randonnées (ou balades si je suis en ville) et qui peut en parler avec une flamme dans l’œil avec mes clients, je signe tout de suite !
La formation évolue aussi sur la forme. Que c’est chiant de s’enfermer dans une salle pour 7 heures de formation par un intervenant qui n’est pas passionné … pfuu. L’acquisition de compétences, de connaissances, va aussi changer. On va picorer des petites sessions en fonction de son temps. Le e-learning devrait aider dans cette transition.
Récompense à la e-reputation
La e-réputation devient une étape importante dans le parcours de réservation. Chez Okko Hotels, ils récompensent les équipes lors de bons avis clients. Pour avoir la récompense, il ne suffit pas d’avoir de bons avis, il faut que le prénom de l’employé apparaisse dans l’avis. C’est lui et personne d’autre qui a permis cette satisfaction, qui a délivré l’expérience. C’est humain et chaleureux. Mais là où c’est génial, c’est que la récompense n’est pas une prime, un chèque cadeau ou autre. C’est d’aller dîner au restaurant avec le directeur. Ça permet non seulement de découvrir un autre resto sympa, mais ça permet de créer du lien entre les équipes.
Je ne parle même pas de la réponses aux avis clients qui est un très bon moyen d’humaniser la relation, de remettre le client au centre. Signez vos réponses de votre nom et prénom, c’est vous, l’être humain qui répondez et non pas la fonction.
Faciliter le travail
Il existe de nos jours de nombreux outils qui vont permettre de faciliter, d’alléger le travail. Notamment des outils informatiques. L’objectif est de gagner du temps sur les tâches rébarbatives, physiques en les automatisant ou en les optimisant. On pourra alors en consacrer plus au client. Lounge-up permet, par exemple, de dématérialiser le check-in et check-out, voire même d’automatiser des emails pre et post séjour. Ça fait gagner un temps fou !
Je pense aussi aux applications telles que 1check. Elles permettent de mieux organiser le travail des étages et de la maintenance. Les utilisateurs 1check annoncent que cela leur permet de rendre autonome les femmes de ménage et que donc elles gagnent en confiance et en épanouissement et que c’est tout le monde qui y gagne. Elle permettrait aussi de faire gagner 20% des déplacements d’une journée de femme de ménage en optimisant les déplacements…. Pas mal, non !
Cette mutation du rôle de mes équipes passe aussi par un changement des outils. Le prochain gros impact est la discussion instantanée, le chat. Êtes-vous prêt à communiquer avec vos clients par Facebook Messenger ? Et il existe tellement d’autres canaux de discussion qu’il faudra un outil commun, une sorte de channel manager de la discussion instantanée. Je m’y préparerais.
Honesty bar Manoir Saint Michel, pas besoin d’être gros pour performer
Tout faire pour mon client
C’est idiot dit comme ça, mais je me focaliserais sur le client et sur son contentement. Tiens, ça sonne très « école hôtelière » ça ….
- Ça commence par se mettre à sa place et vivre mon produit, mon expérience. Ça fait combien de temps que vous n’avez pas dormi dans vos chambres, avez-vous testé toutes vos chambres ?
- En vivant le produit, je noterais tous les points de frottements, là où ça coince, là où ce n’est pas tout à fait fluide… le but est d’éliminer ces points de frottements.
- Je commencerais par supprimer toutes les mesquineries. Les options « abusives », genre le fax à 1€ la page, l’impulsion téléphonique, le wifi payant, etc. Oui, ça fait perdre un peu de revenu et de marge dans un premier temps, mais ça fidélise le client, ça crée un lien et à moyen terme ça rapporte beaucoup plus que de faire payer 1€ le fax … #nobullshit
- J’aurais, au contraire, plein de petites attentions pour lui. Des petits cadeaux, des petites marques de respect. La bouteille d’eau en chambre est un standard, alors imaginez ma joie lorsque j’ai une machine Nespresso dans ma chambre ou quand le mini bar est à discrétion …
- En fait, je ferais tout pour que cela soit aussi bien qu’à la maison et si je ne peux pas être meilleur sur un domaine, je compense en étant sur performant dans d’autres.
- J’ai un faible pour les Honesty Bar, j’adore qu’on me fasse confiance, ça me rend serein, ça me donne des ailes…. Je n’aime pas qu’on m’attende derrière la porte avec une batte de baseball, genre « Monsieur, voici votre soda, ça fera 6€ … »
putain, 6€ le coke ! (sans compte le supplément rondelle de citron à 1,5€). Si en plus le Honesty Bar est à discrétion, alors c’est top. C’est ce que fait Okko Hotel avec leur espace Club. Mais pas besoin d’être un gros, je connais un « petit », le Manoir Saint Michel, qui offre les boissons chaudes à discrétion et propose un Honesty Bar pour le reste. Après tout, à la maison, je me sers comme un grand directement dans le réfrigérateur. - Je donnerais, enfin, tous les outils, tous les moyens pour que mes hôtes puissent engager avec moi, tout le temps et avec le canal et device qui leur chante. C’est notamment permettre la relation client avant et après le séjour.
J’essaye dans ce paragraphe de me limiter à l’enchantement client (typiquement Disney comme terme). Car c’est dans le prochain et dernier article de cette série que j’aborderais l’influence que tout cela a sur le produit, sur mes chambres, sur mon hôtel, sur mon environnement.
Il sera question du nouveau rôle et de la nouvelle mission de l’hôtelier sur son environnement.
Je vous remercie d’avoir lu jusque-là, j’espère que vous y trouvez votre compte, que ça vous inspire et en attendant le prochain épisode, je vous souhaite une agréable journée et plein de gentils clients (et occupez-vous de vos équipes).
Thomas Yung