Avec l’annonce de la transformation de Travelocity en un clone virtuel d’Expedia courant 2014, le panorama du monde des agences de voyages en ligne va changer. Et si Expedia confirmera sans nul doute sa position de leader au sein du marché américain, le site restera toujours en seconde place derrière Priceline (et sa filiale Booking.com), dans le secteur des agences de voyages en ligne internationales.
L’écart séparant Priceline d’Expedia est d’autant plus important dans le domaine essentiel des réservations hôtelières internationales, où Booking.com connaît une croissance nettement plus rapide que les marques d’Expedia. Le site Booking.com (filiale de Priceline) propose actuellement plus de 340 000 hôtels, appartements, locations de vacances, et B&Bs, tandis que Hotels.com (filiale d’Expedia) n’en propose que 200 000 environ.
L’annonce-surprise d’une stratégie marketing commune à Travelocity et Expedia signe ainsi la fin de plusieurs années de spéculation sur le futur de l’une des agences de voyages en ligne les plus fragiles, et, en temps normal, présagerait de consolidations à venir… mais encore faut-il qu’il reste quelque chose à acquérir.
Dans le classement qui suit, nous avons fait le bilan des principales agences de voyages en ligne ; bien que le fonctionnement de TripAdvisor dépende principalement de la publicité, le site s’oriente vers les transactions marchandes, ce qui justifie son inclusion.
* La majorité des revenus de TripAdvisor provient de la publicité, mais le site a engrangé 32,7 M$ en annonces professionnelles et en transactions.
** Ceci est une estimation grossière, et le chiffre réel est certainement inférieur. Travelocity a généré un chiffre d’affaires de 825,3 M$ pour l’année 2011 : c’est le dernier chiffre connu, et, depuis, la compagnie a vendu Zuji en 2012.
*** En 2012, CheapOair a généré un volume d’affaires de 2,55 milliards de dollars, et nous avons utilisé une estimation pour le second trimestre 2013.
Source: Financial reports, Skift reporting, et estimations
Le groupe Priceline
Le groupe Priceline, qui inclut Priceline.com, Kayak, Booking.com, Agoda, et RentalCars.com, est l’acteur le plus important du marché des voyages internationaux en ligne, et, grâce aux transactions hôtelières particulièrement lucratives de Booking.com, sa croissance est plus rapide que celle d’Expedia. Sur le territoire américain, Priceline est plus faible qu’Expedia, en position dominante, mais les campagnes publicitaires américaines de Priceline pour ses Express Deals et Booking.com, prennent progressivement des parts de marché à Hotwire (filiale d’Expedia) ; Aux États-Unis, Booking.com pourrait bien s’avérer une menace durable pour Expedia.
L’accord Expedia-Travelocity ne déséquilibrerait pas la balance, mais pourrait aider Expedia à accroître son avance aux USA – à moins que Booking.com et la tempête publicitaire de Priceline ne continuent à prendre des parts de marché à Expedia.
Ces derniers temps, la majorité de l’activité d’acquisition et de fusion s’est concentrée sur le domaine de la métarecherche, avec l’achat de Kayak par Priceline, et avec la prise de contrôle de Trivago par Expedia. L’accord Expedia-Travelocity ne provoquera probablement pas de consolidation supplémentaire d’agences de voyages en ligne, puisque les compagnies restantes, Orbitz Worldwide et CheapOair, ne sont pas d’une grande utilité aux besoins hôteliers de Priceline ou d’Expedia. C’est dans les hôtels qu’il faut investir.
Un facteur imprévisible pourrait remettre en question l’idée de non-consolidation : TripAdvisor, qui a lancé cet été un outil de métarecherche hôtelière à des fins de publicité. Mais TripAdvisor se dirige lui aussi vers les transactions hôtelières. TripAdvisor pourrait choisir d’investir dans une agence de voyages en ligne, ou dans une autre entreprise de métarecherche comme Kayak ; mais Orbitz Worldwide, qui peine à développer son secteur hôtelier depuis des années, et CheapOair, spécialisée en transport aérien, ne représentent pas des cibles très attirantes parmi tous les sites de réservation en ligne.
Expedia Inc.
Avec sa douzaine de marques, comprenant Hotels.com, Venere, Hotwire, Egencia, eLong et maintenant Trivago, Expedia est le voyagiste en ligne dominant sur le marché américain, mais reste derrière le groupe Priceline à l’international. Dans le secteur hôtelier, Expedia a été assez lent à s’adapter à un modèle d’agence, qui a fait le succès et la croissance de Booking.com. Expedia gagnera quelques parts de marché grâce à son accord avec Travelocity ; cependant, en contrepartie, Expedia devra désormais partager une partie de ces rentrées d’argent avec Travelocity. Qui plus est, l’accord n’aide pas vraiment Expedia sur le front du secteur hôtelier international, et de la compétition entre la filiale Venere d’Expedia, Agoda, et la filiale Booking.com de Priceline.
TripAdvisor
Séparé d’Expedia Inc. fin 2011, TripAdvisor n’arrive qu’à la cheville des géants Priceline et Expedia, avec seulement 246,9 M$ au second trimestre 2013. Cependant, le site connaît une croissance rapide, et ses marges de profits publicitaires sont exceptionnelles. TripAdvisor regroupe plus de deux douzaines de sites affiliés dans le monde, et ils remportent facilement la mise grâce la publicité hôtelière, et aux avis des consommateurs qui complètent celle-ci.
Aux USA, TripAdvisor est une source d’information incontournable en matière de voyages, et, en plus de ses sites affiliés, la compagnie possède environ une vingtaine d’autres marques. Au fil des ans, l’entreprise a fait de nombreuses acquisitions de petite taille, parmi lesquelles FlipKey, Holiday Lettings, SeatGuru, GateGuru, Jetsetter, Tingo, Cruise Critic, etc.
Désormais, TripAdvisor est en compétition avec Kayak (filiale de Priceline) et Trivago (filiale d’Expedia) dans le secteur de la métarecherche hôtelière, qui redirige les voyageurs à la recherche d’un hôtel vers une agence de voyages en ligne ou un site hôtelier pouvant accepter leurs réservations. TripAdvisor possède déjà des sites transactionnels, comme FlipKey ou Holiday Lettings, pour les locations de vacances, et Tingo pour les réservations hôtelières. Afin de développer le secteur de la métarecherche hôtelière, l’entreprise pourrait être intéressée par l’acquisition d’une agence de voyages en ligne expérimentée dans le domaine du commerce électronique ; ou bien par celle d’un autre outil de métarecherche, comme Hipmunk, Room 77, ou une compagnie internationale.
Orbitz Worldwide
Les origines d’Orbitz Worldwide remontent à sa création par les principales compagnies aériennes américaines ; depuis, l’entreprise peine à se détacher du secteur des billets d’avion, qui est peu rentable et dont elle dépend, pour développer son secteur hôtelier, nettement plus lucratif. Pour cela, Orbitz pourrait bien rejoindre Expedia et Priceline, mais c’est un travail de longue haleine : les avancées d’Orbitz dans ce domaine ont été jusqu’à présent assez limitées, ses rentrées d’argent sont comparables à celles de TripAdvisor, mais Orbitz reste minuscule en comparaison de Priceline et d’Expedia.
Orbitz Worldwide, avec Travelport comme investisseur principal, possède des marques comme Orbitz.com et CheapTickets aux USA, des sites de réservations en ligne en Europe, et Hotel Club et ratestogo en Asie-Pacifique. Ces deux dernières compagnies sont en difficulté, et après des années de morosité, les sites de réservations reprennent des forces.
En tant que cible d’acquisition ou de fusion, Orbitz Worldwide ne servirait pas vraiment à une compagnie plus importante désireuse de développer son secteur hôtelier ; et de son côté, Orbitz ne possède pas les fonds nécessaires pour se lancer seule dans une vague d’acquisitions.
Travelocity
Appartenant à Sabre Holdings, Travelocity était naguère la reine des agences de voyages en ligne, mais la compagnie a fini par être dépassée, tant d’un point de vue technique, que par un manque d’adaptation aux ambitions hôtelières internationales de ses concurrents. En Europe, Travelocity possède toujours lastminute.com, mais l’a acheté à un prix excessif d’environ un milliard de dollars en 2005, et a des difficultés à l’intégrer.
Depuis l’année dernière, Travelocity se débarrasse de certains investissements, comme Zuji en Asie-Pacifique, Travelocity Business aux USA et Holiday Autos en Europe, avec en ligne de mire une introduction en bourse de Sabre, prévue pour 2014. Pour l’instant, Travelocity conserve lastminute.com, mais cherche probablement à revendre le site.
L’accord de Travelocity avec Expedia n’est pas du tout une garantie de survie ou de croissance pour Travelocity. La compagnie a choisi une approche radicale : les chances de succès d’un tel arrangement inhabituel sont aléatoires, même si les dépenses de Travelocity seront nettement réduites. Aux USA, Travelocity est en quatrième ou cinquième place du classement des agences de voyages en ligne… ce qui signifie que, si l’on inclut TripAdvisor, Travelocity se trouve en bas du classement des principales agences de voyages en ligne.
CheapOair
Compagnie privée, CheapOair a annoncé à Skift un volume d’affaires d’environ 2,55 milliards de dollars sur l’année 2012, et nous estimons que la compagnie est en quatrième ou cinquième place du classement des agences de voyages en ligne américaines. Mais CheapOair est radicalement différente des autres compagnies, tant elle dépend des réservations de billets d’avion.
Bien que le volume d’affaires de CheapOair paraisse conséquent, ses rentrées d’argent et ses profits sont probablement moins importants que ceux de ses concurrents. Contrairement aux autres voyagistes, l’entreprise continue de faire payer des frais de réservations à ses clients en fonction de l’itinéraire, et met l’accent sur les réservations téléphoniques. Son secteur hôtelier est par ailleurs assez limité.
Outre son nom, la spécificité de CheapOair tient en son association avec des groupeurs internationaux. De plus, la compagnie appartient à l’agence de voyage Fareportal. Grâce à ces liens, CheapOair parvient à négocier des tarifs avantageux avec les compagnies aériennes, et, comparativement à ses concurrents, rentabilise nettement mieux la vente de billets d’avion.
Outre le manque d’attractivité des voyagistes en ligne tels que Orbitz et CheapOair, qui fait que les entreprises plus importantes ne s’intéressent pas à eux, un autre facteur s’oppose à une vague de consolidation : la prise de position affirmée du Département américain de la Justice contre tout type de monopole, illustrée par son intervention dans la fusion US Airways-American Airlines.
Même si Expedia et Travelocity ont un jour considéré l’acquisition de Travelocity par Expedia, l’intervention du Département de la Justice aura sans nul doute mis un terme prématuré à un tel projet.
Interrogé à ce sujet, un représentant de Sabre annonce que « notre transaction n’est pas une fusion. Nous restons en compétition avec Expedia. »
Lorsque, l’année prochaine, l’accord avec Expedia entrera en vigueur, Travelocity mettra probablement sa marque en avant ; mais il n’y aura guère de compétition avec Expedia, puisque le moindre progrès fait par Travelocity sera, au final, bénéficiaire à Expedia.
Ceci est une traduction de l’excellent article paru sur http://skift.com/2013/08/23/how-the-travel-booking-giants-stack-up-and-where-they-are-heading/
La photo de couverture représente William Shatner (porte parole de Priceline)