Il s’agit d’une série d’interviews d’hôteliers ayant arrêté de travailler avec le géant de la réservation en ligne, Booking.com
L’objectif est de montrer à la profession, aux autres hôteliers, que Booking.com n’est pas forcement « un mal nécessaire », comme on peut le lire trop souvent. Il s’agit surtout de montrer qu’un hôtel peut faire sans ces géants du web, et d’illustrer comment certains y arrivent. On est plus dans la prise de conscience que dans la révélation des stratégies webmarketing des interviewés. Il ne s’agit pas de faire du Booking.com bashing, c’est d’ailleurs l’ensemble des OTAs qui sont abordés, mais Booking.com en est le fer de lance. Il ne s’agit pas de vous faire croire qu’on peut faire sans Booking.com, cela dépend tellement des exploitations, mais de montrer que ce n’est pas une fatalité.
Cette série sera alimentée mensuellement par une nouvelle interview. Les hôteliers participants le font pour la gloire, tout ce qu’ils ont à y retirer est un peu de visibilité un lien vers leur site internet et la satisfaction de partager…
Jérôme Fournel, Manoir Saint-Michel – Fréhel – www.manoirstmichel.com
1. Pouvez-vous présenter, qui êtes-vous, depuis quand êtes-vous hôtelier, décrivez votre hôtel ?
Je suis Jérôme, je suis hôtelier depuis 2004, lorsque j’ai repris l’affaire familiale de mes parents. Avant, j’étais chocolatier (et je le suis toujours encore, mais par passion). Je n’ai géré qu’un hôtel, le Manoir Saint-Michel que nous gérons en famille, avec mon épouse, Sandra.
2. Quels sont les points positifs et négatifs de votre établissement ?
Nous sommes un « petit » établissement standard, 2 étoiles, de 20 chambres. Nous avons un bon emplacement, un peu en hauteur, avec une superbe vue sur la mer, un grand parc, un petit lac, dans une vielle bâtisse plein de charme, proche de la mer. Nous ne faisons partie d’aucune chaîne.
Nous n’avons pas de spa, ni de piscine, ni de tennis, pas de restaurant et nous sommes dans une région un peu excentrée, dans le sens qu’il n’y a pas un énorme flux touristique. Nous n’avons pas de PMS (logiciel de gestion hôtelière).
3. De quand date votre premier site internet ?
Le premier site date de 1997, déjà… Il a été renouvelé une seule fois, en 2010. C’est tout fait maison, à la main, le dernier utilise WordPress, ça me permet de le mettre à jour facilement et rapidement. Il n’y a pas de moteur de réservation dessus, n’ayant pas trouvé le moteur qui répondait à mes besoins, à mes spécificités. Aujourd’hui, mes réservations passent par moitié par téléphone et l’autre moitié par email/formulaire de contact. Ma clientèle « habitués » représente 45% de mon TO.
4. Quand avez-vous rejoint Booking.com ? Pourquoi ?
J’ai inscrit le Manoir Saint-Michel sur Booking.com en septembre 2009, par curiosité, pour tenter l’expérience, je trouvais ça rigolo, sympa.
5. Quelles opérations de webmarketing et de commercialisations faisiez-vous avant de rejoindre Booking.com ?
Je me focalisais sur mon site et sa visibilité. Je faisais régulièrement des inscriptions dans des annuaires. J’ai essayé des campagnes d’achat de mots-clefs pendant un an, mais j’ai arrêté car je n’arrivais pas à tracer un retour sur investissement. J’ai toujours répondu aux avis sur internet, j’ai rarement fait des mailings et autres newsletters vers mes clients, je trouve cela trop intrusif.
6. Qu’avez-vous remarqué dans les premiers mois de la commercialisation par Booking.com ?
J’ai été impressionné par les résultats, des réservations sont tombées tout de suite, ça a boosté ma fin de saison, ça m’a apporté des nouveaux clients (au début).
7. Comment se sont déroulés/évolués vos relations avec Booking.com ?
Mais très rapidement un décalage est apparu. Booking.com met en avant que les points positifs des établissements, par exemple nos chambres avec vue mer, mais toutes nos chambres n’ont pas vue sur mer et cella a créé du mécontentement car je ne peux pas satisfaire tout le monde et avec le client Booking.com nous n’avons pas de communication avant séjour pour le prévenir. Les relations avec les clients Booking.com sont vite devenues « tendues ».
Au début la relation avec Booking.com se passe très bien, tout le monde est gentil, mais ça empire rapidement, c’est une véritable plante carnivore.
Au début la relation avec les chargés de compte se déroulait bien, c’était assez relax. Cette relation s’est dégradée lorsque j’ai fermé mon planning pour l’été, en mai 2011. Mon chargé de compte m’a appelé et a été violent dans ses propos, il était question de déclasser l’hôtel et même de fermer les ventes tout bonnement. J’ai pris cela comme des menaces. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et j’ai demandé la résiliation immédiate de mon contrat. Là il a changé de comportement en se disant qu’il avait été trop loin, c’est dommage de « perdre » un établissement classé 9.4/10. Au début de notre entretien il y avait le bâton pour me forcer à une action, à la fin il essayait de rattraper le coup. Depuis j’ai eu plusieurs contacts avec eux, ils essayent de me faire revenir.
8. Quel pourcentage de CA ou de TO Booking.com a-t-il représenté au plus fort de la collaboration ?
Booking.com n’a jamais représenté plus de 15% de mon CA
9. Qu’est-ce qui vous a plu/aidé dans cette relation ?
Pas grand-chose en termes de clientèle, le fait de ne pas avoir de contact avec le client en amont est très négatif pour moi.
Mon expérience Booking.com m’a surtout permis de comprendre qu’il ne fallait pas mettre tous ses œufs dans le même panier, ne pas être dépendant d’un seul apporteur.
10. Qu’est-ce qui vous a déplu dans la relation ?
Vous l’avez compris, c’est principalement le manque de contact avec la clientèle.
Je n’ai jamais réellement eu une pression de la part de Booking.com comme peuvent le rapporter certains, j’avais même plutôt peu de contact avec eux, mais c’est peut être aussi car dès les premiers symptômes, c’est vite parti au clash avec le résultat que j’ai expliqué.
Ce qui m’a aussi beaucoup déplus et le fait qu’ils achetaient mon nom commercial dans Google, au début j’étais content, je prenais cela pour de la visibilité, mais dès que j’ai vu qu’ils cannibalisaient mes anciens clients, j’ai déchanté. Un client qui est venu 2 fois en direct et qui la 3eme fois réserve par Booking.com parce qu’il n’a pas compris ou qu’il ne sait pas, ça fait mal.
L’autre aspect est la gestion des affiliés. Lorsque j’ai vu que j’étais en vente sur Agoda avec un prix barré à 300€ alors que ma chambre était à 80€, j’ai trouvé cela profondément déloyal. Le client réserve forcement sur Agoda et va même pas chercher le prix en direct et quelle est sa déception en arrivant à l’hôtel ! J’ai mis plusieurs mois à faire cesser cette pratique plus que limite.
Enfin, une fois, il y a eu un conflit avec un client qui voulait annuler en dehors des conditions d’annulation. Là, le téléconseiller Booking.com a été odieux, j’ai été traité comme un larbin, de haut, avec arrogance, alors que le client était en tort, évidemment, ça ne facilite pas la relation.
A l’époque on ne pouvait pas répondre aux avis, dans certains cas on ne savait même pas par qui ils avaient été déposés, c’était ennuyeux comme situation.
11. Avez-vous essayé de contourner la parité tarifaire ou d’autres actions visant à récupérer/détourner la clientèle de Booking.com ?
Oui, bien sûr, c’est peut-être mon côté « irréductible gaulois ». Mais je n’ai jamais aimé faire cela, ça me mettait mal à l’aise.
Au début, ceux qui indiquaient dans la zone « remarques » qu’ils souhaitaient une vue mer, je leur répondais que ce n’était pas possible, que c’était réservé aux réservations en direct, sans plus. A la fin, je me permettais de recontacter certains clients pour leur faire une offre plus avantageuse en direct, surtout les longs séjours.
J’ai aussi mis en place une tarification différentielle, les chambres étaient toujours 5 euros plus cher sur Booking.com, mais là aussi ça crée une distorsion avec le client, que je n’aimais pas (la distorsion 😉
12. Quelles différences avez-vous noté entre un client Booking.com et un client direct, pratiquiez-vous une différence de traitement entre ces 2 types de clientèle ?
Le client Booking.com réserve un établissement un peu au hasard, en se basant sur les photos, sur une destination. Alors que ma clientèle réserve le Manoir parce que c’est nous, Jérôme et Sandra, qui sommes aux commandes.
Oui évidemment que je traitais mieux mes clients directs. A un moment il faut choisir qui va occuper telle ou telle chambre, c’est les attributions et là, même de manière inconsciente, le canal joue. Les meilleurs chambres étaient souvent réservées aux clients directs, mais bien souvent parce que j’avais eu une vraie relation, au téléphone, avec eux ou parce que c’était des clients habitués. Et comme la durée moyen de séjour était souvent plus élevé en direct, c’est normal que le client qui reste plus longtemps ait une plus belle chambre (indépendamment de son canal de réservation).
Notre clientèle directe vient pour nous, pour le lien humain, nous avons un taux d’annulation très bas, alors que par Booking.com le taux d’annulation était plus élevé.
13. Quand avez-vous arrêté de collaborer avec Booking.com ? Pourquoi ?
C’est plein de petits éléments, que j’ai déjà abordé, qui m’ont fait partir. Mais j’ai surtout quitté Booking.com sur un coup de tête lors d’un coup de fil très tendu avec mon chargé de compte, j’ai déjà relaté cet épisode plus haut
14. Qu’est ce qui s’est passé dans les mois suivants, quelles conséquences ?
J’ai arrêté au mois de mai, il n’y a pas eu de conséquence, j’ai certainement perdu un peu de remplissage en avant et en après saison, mais si c’est le prix à payer pour retrouver en sérénité, en confort, alors ça vaut le coup ! J’ai tout de suite été plus tranquille et mon planning a été beaucoup plus simple à gérer.
15. Qu’avez-vous fait, en webmarketing/commercialisation, pour combler cet apport ?
Je ne fais pas grand-chose en plus, mais c’est lié à mon établissement et à ma segmentation clientèle. Je fais des offres, des promos hors saison. Je n’ai surtout pas besoin de compenser, puisque mes tarifs restent bas (je n’ai pas de commission à financer) et ce positionnement tarifaire est un bon argument commercial pour de l’acquisition clientèle.
J’ai adhéré à FairBooking.com, là aussi par idéologie et solidarité, et cela m’a rapporté une dizaine de réservations cette saison.
16. Est-ce que cela prend beaucoup de temps et d’argent ?
Je fais peu pour compenser, pas le besoin
17. Est-ce réalisable par n’importe quel hôtelier ?
Quitter Booking.com, du jour au lendemain, sur un coup de tête, comme je l’ai fait, n’est à mon avis pas réalisable.
Je pense que c’est plus facilement réalisable pour des petites structures, qui ont une âme, qui sont incarnées par un « humain ».
C’est clair que tout le monde peut au moins réduire la part de Booking.com dans son CA, c’est une question de motivation, presque d’idéologie. Il faut accepter une baisse des revenus dans un premier temps.
Beaucoup d’hôteliers ne se rendent pas compte, n’ont pas mesuré l’ampleur de leur collaboration/dépendance. Certains m’envoient même réserver sur Booking.com lorsque je réserve par téléphone. La moitié des hôteliers s’en foutent, ils ne répondent même pas aux avis clients. On va arriver à un secteur à deux vitesses, ceux Booking.com avec une clientèle Booking.com et les autres, avec leur propre clientèle.
18. Combien de temps ont perdurés les effets négatifs ?
J’ai subi une pollution de ma visibilité pendant un an. Pendant un an on trouvait encore ma fiche Booking.com dans les moteurs de recherches puis uniquement sur Booking.com avec une mention « hôtel non réservable, essayez donc … ». Ça m’a pris 3 mois à faire nettoyer complètement et je ne sais combien de mails, de captures d’écran aux instances (dont DGCCRF).
19. Qu’avez-vous retiré de l’arrêt de la collaboration ?
De la sérénité, je suis zen, je garde ma marge pour moi, je récupère d’autres clients car mes prix restent « bas ».
J’ai une bien meilleure relation client.
J’ai une meilleur gestion de mon planning
J’ai une très bonne durée moyenne de séjour et mon TO a été de 85% cet été (99 en aout).
Je fais peut-être moins de CA qu’avec Booking.com, mais on a regagné en qualité de vie, on à moins de stress et de compte à rendre à personne.
Nous sommes fin septembre, à la fin de la saison, et nous ne sommes même pas fatigués tellement on a été relax et sans aucun conflit avec la clientèle.
20. Si c’était à refaire, que feriez-vous de différent, de mieux ?
Je prendrais Booking.com pour la visibilité et je serais encore plus agressif dans le fait de tenter de récupérer la clientèle en direct en proposant un avantage, mais comme je ne veux pas faire cela, je reste en dehors de Booking.com
21. Un conseil, autre chose à ajouter ?
Il n’y pas de système de distribution idéal, ce n’est pas tout blanc ou tout noir. Je ne suis pas anti Booking.com. C’est simplement que ce système ne me convenait pas et ne se prêtait pas à mon établissement.
La relation est multifactorielle, il faut bien réfléchir à tous les points avant de prendre une décision.
Il est impératif de travailler la relation client, en amont, et d’avoir un prix bas, du moins cohérent, pour compenser. J’ai l’impression que ne pas avoir d’intermédiaire entre le client et l’hôtel est devenu un vrai luxe, nous l’apprécions tous les jours.
Il y a un travail d’éducation à réaliser. Certain clients me choisissent car ils ont été sensibles à mes arguments sur mon site à propos des avantages à réserver en direct (voir mon site).
C’est juste une question de choix que doit faire l’hôtelier, au final c’est le client qui paye, soit parce que c’est plus cher, soit parce que c’est moins bien (à force de rogner la marge).
Enfin, je n’ai jamais aucun conflit avec mes clients directs, alors que j’en avais avec les clients Booking.com, du moins, c’était tendu. Aujourd’hui c’est que du bonheur, je n’ai que la crème des clients.
Merci Jérôme de ce témoignage et de nous avoir accordé du temps pour répondre à ce questionnaire. Visitez son site
Participez, réagissez dans les commentaires ci-dessous, Jérôme répondra si il peut.
Si vous êtes hôtelier et que vous aussi vous avez cessé votre collaboration avec Booking.com et que vous souhaitez témoigner, contactez-moi, d’avance merci