L’odeur du feu de bois, le confort des grands fauteuils, les odeurs de plats mijotés… Il ne s’agit pas d’un chalet polonais mais bien d’un restaurant tout nouveau de 40 couverts baptisé Matka (La mère). Après avoir passé cinq années chez Thierry Marx en tant que second (Sur Mesure), Piotr Korzen a choisi de se lancer avec l’objectif de mettre en lumière la cuisine de son pays natal. “La cuisine polonaise est assez méconnue sur Paris et en France. Moi, j’avais envie de la revisiter en prenant appui sur les techniques françaises, de l’assaisonnement aux sauces.” De la finesse et de la légèreté : les premiers clients, qu’ils soient français ou polonais, apprécient cette approche assez inédite. À la carte, on y retrouve par exemple le célèbre chlodnik, une soupe traditionnellement chaude et cuisinée à base de betteraves, de citron et d’aneth. Ici, elle est proposée glacée.
Des cuisines qui se libèrent
À quelques centaines de mètres de son restaurant, un autre chef brille et retient l’attention des observateurs gastronomiques : Maksym Zorin, chef ukrainien de La Datcha (gîte). Dans une atmosphère de maison de campagne, le natif d’Odessa, passé dans le groupe Ducasse (le Meurice, Ore à Versailles, Allard, Ducasse sur Seine), privilégie la cuisine française traditionnelle tout en conviant quelques influences ukrainiennes. On pense par exemple à sa Joue de bœuf braisée façon bortch, crème au raifort, brioche aillée.
Cette réconciliation est également au rendez-vous à Bordeaux, à Inima (De tout cœur). Inaugurée fin 2023, cette table est tenue par Oxana Crétu, une cheffe autodidacte née en Moldavie. Arrivée en Francée 2006 à l’âge de 21 ans en tant que fille au pair, Oxana Crétu a pris goût à la cuisine française jusqu’à en faire son métier. “C’est un projet de jeunesse qui est devenu très sérieux. Il a fallu beaucoup travailler pour affirmer mon univers”, explique-t-elle. Dans cet espace, on y retrouve beaucoup de fleurs, d’épices, mais également des techniques héritées de son enfance comme les fermentations, les bouillons ou les plats mijotés. “Dans l’ADN de la cuisine moldave, il y a l’éloge de la patience. La découpe des petits légumes se fait minutieusement, les bouillons mijotent longuement…”
Au cœur des assiettes, on retrouve une cuisine française locale et de proximité qui voyage au gré des trouvailles de la cheffe. Son plat signature – une crevette provenant de la ferme D’Artouan et mariée avec élégance avec du safran et de la lavande – fait sensation. On pourrait également citer l’Huître jasmin fumée qui confirme la liberté de création d’Oxana Crétu.
Plus généralement, ce vent culinaire venu d’Europe de l’Est révèle peut-être une tendance plus durable. Le cliché des tablées vieillottes et des goulashs roboratifs s’éloigne : place à la génération des chefs qui se réapproprient les codes avec délicatesse. “Nos pays ont un point commun : ils sont jeunes, rappelle Piotr Korzen. Après avoir mis nos recettes sous le tapis, nous réalisons que notre patrimoine culinaire est très important. Il faut désormais le faire connaître.”