Un Spa dans un hôtel, est-ce vraiment indispensable ?
Quel hôtelier ne s’est pas posé un jour cette question : « dois-je créer un spa / espace de bien-être dans mon hôtel et si oui, pourrai-je alors le rentabiliser ? ». Ou encore : « si je n’ai pas de spa, mon hôtel sera-t-il suffisamment attractif pour mes clients ? ». Un questionnement qui rend encore plus nerveux si quelques concurrents locaux en disposent déjà.
Ce sont surtout les hôtels haut de gamme et de luxe qui se sentent les plus concernés. 63 % des établissements classés 5* (ou assimilés) ont un spa, contre 23 % pour les hôtels 4* (ou assimilés).
C’est bien simple, les hôteliers dans ces catégories veulent ou aimeraient tous, ou presque, leur spa ou espace de bien-être comme signe distinctif et de valorisation. Leurs clients sont d’accord et sont 75 % à penser que la présence d’un tel équipement est appréciable à indispensable (voir infographie, ci-dessous). Ils sont presque 4 sur 10 à déclarer la même chose en milieu de gamme (3*). D’ailleurs, même le référentiel officiel de la distinction « palace » l’exige, à tort ou à raison (voir notre article).
• UN SPA, C’EST QUOI ?
Définition du spa par l’AFNOR « Lieu ou établissement de détente et de confort où s’exercent sur un espace dédié et dans un cadre commercial des techniques et soins de bien-être et/ou de beauté ainsi que des soins de bien-être par l’eau, par une prise en charge polysensorielle et personnalisée. »
La norme donne quelques indications de conception, en précisant la surface minimum d’une cabine estimée entre 10-12 m² et un nombre minimal de cabines requis établi à 3.
Il faut apporter quelques précisions sur les notions et les réalités que revêtent les termes de « Spa » et de « bien-être », dont on compte près de 900 offres en hôtellerie en France. Trop souvent galvaudés et souffrant d’une définition abstraite ou parfois réductrice au simple hammam / jacuzzi, l’AFNOR a élaboré en 2014, une norme dédiée aux « spas de bien-être » NF X50-843 (voir encadré), qui remet l’église au centre du village.
• Le Spa : il se doit obligatoirement de proposer des soins et non de disposer uniquement d’une piscine, sauna, hammam. On distinguera :
- Les soins « secs » : soins esthétiques, massages/modelages, manucure, coiffure…
- Les soins « humides » : gommages, enveloppements du corps, balnéothérapie (baignoire hydromassante, etc.) ou hydrothérapie (douche à jet, douche à affusion, etc.)…
• Le Bien-être : le bien-être recherché est à la fois physique et psychique. Il se déclinera selon deux axes :
- Des équipements aqualudiques, par exemple : parcours aqualudique (bassin avec jets d’eau, cascades, bains bouillonnants, rivière de marche…), sauna, hammam, voire des équipements plus originaux (grotte de sel, grotte de glace, bain de flottaison…), etc.
- Des activités ou animations composées, par exemple, de cours individuels ou collectifs (yoga, pilates, sophrologies…) et de consultations éventuelles, avec des spécialistes (acupuncteur, naturopathe, nutritionniste, médecine chinoise ou ayurvédique…).
Autant dire que dans ces conditions, un « spa » conçu dans les règles de l’art, ne pourra pas occuper un misérable 40 m2, comme on le voit trop souvent.
• CLIENTÈLE DÉDIÉE OU CLIENTÈLE DE CIRCONSTANCE ?
Le tourisme de bien-être se compose de deux principaux types d’achats :
- Une clientèle « dédiée », dont la raison première de séjour est le bien-être ; elle vient pour cela.
- Une clientèle « de circonstance » ou occasionnelle (qui ne vient pas initialement pour un séjour de bien-être), qui profite opportunément des installations de bien-être à l’occasion de n’importe quel type de séjour, qu’il soit d’affaires ou, avant tout, de loisirs / agrément… C’est en quelque sorte un acte d’achat spontané. La clientèle de « circonstance » constitue 91 % de la demande de bien-être.
Autrement dit, un petit espace de bien-être pourra se présenter comme une activité périphérique à l’hôtel, au même titre qu’un bar, une piscine ou un restaurant. Mais, si l’on veut attirer la clientèle pour des vrais séjours de bien-être, dont profiteront par ricochet l’hébergement et la restauration, il faudra alors proposer un spa complet et par conséquent avec de la surface. On parle d’un minimum de 500 à 600 m2, y compris piscine et au moins 3 à 4 cabines de soins, ainsi que le personnel inhérent.
L’avantage est qu’un tel équipement peut espérer attirer une clientèle extérieure (non hébergée), complémentaire à celle de l’hôtel, en fonction toutefois de sa localisation : trop isolé, ce ne sera pas le cas ; en centre-ville, peut-être davantage.
• UN INVESTISSEMENT CHER
C’est là que la question de l’investissement prend toute son importance. Sans tourner autour du pot, un spa est un équipement coûteux à la construction et en termes de fonctionnement. Il faut basiquement compter :
• Un budget de gros œuvre (fondations, sols, murs, toiture) de près 1.500 €/m2 en moyenne, hors foncier ;
• Un budget de seconds œuvres incluant l’ensemble des postes d’aménagement intérieur (maçonnerie, revêtements, plomberie, électricité, peinture, local technique…), ainsi que les équipements (vestiaires, sanitaires, mobilier, locaux de stockage, sauna, hammam, jacuzzi, baignoire balnéo duo, cabines…).
Il faut chiffrer tout cela autour de 3.500 € HT/ m2 pour la zone humide et 2.000 € HT/ m2 pour la zone sèche.
L’addition peut ainsi grimper rapidement à plus de 2,4 M€ pour une offre de 600 m2. Et c’est sans compter les charges d’exploitation, dont le nécessaire personnel (spa manager, esthéticiennes, etc.). Ce qui signifie qu’il faut être assuré de développer un chiffre d’affaires conséquent, ce qui n’est pas garanti, même avec une clientèle extérieure d’appoint.
• DU CÔTÉ DES CLIENTS
Quand on leur demande s’ils utilisent ces spas ou espaces de bien-être lors de leurs séjours dans les hôtels haut de gamme / luxe qui en proposent, les clients d’hôtels sont 3/4 à dire « oui », souvent ou de temps en temps.
Ces réponses sont évidemment surprenantes, car on constate que les taux de captage de la clientèle hébergée dans les spas d’hôtels sont de seulement 15 à 20 % (pour les soins), en moyenne, et uniquement pour les hôtels avec une offre attractive. Mais, ce sont surtout les espaces aqualudiques, bien-être, fitness,… qui sont utilisés, bien davantage que les soins, payants (voir tableau). Même si dans bien des hôtels, on remarque que les salles de fitness/sport sont le plus souvent vides.
• NE PAS PAYER
Précisément, le plus préoccupant est que les clients sont majoritaires à ne pas vouloir payer pour ce service. C’est bien là que le bât blesse. Selon les sondages réalisés par Coach Omnium auprès des clients d’hôtels haut de gamme / luxe, 83,7 % d’entre eux considèrent que l’accès aux équipements de sport et de bien-être de l’hôtel doit être gratuit pour eux. Ils acceptent seulement l’idée qu’on leur facture les soins esthétiques et de massages / modelage. D’où la faible fréquentation pour ces prestations.
Cette situation pose ainsi le problème de la rentabilité de ces espaces de bien-être, qui sont, encore une fois, chers à créer et à faire fonctionner.
• ALORS ?
S’il est compliqué de rentabiliser un spa de bonne facture, lequel impose un investissement important, et dès lors où le chiffre d’affaires nécessaire qui lui revient sera le plus souvent difficile à développer, la question est de savoir si un spa peut être un élément d’attractivité auprès des clients pour choisir tel hôtel — qui en dispose — plutôt qu’un autre — qui n’en propose pas.
Ainsi, est-ce qu’un spa peut profiter à l’hébergement et permettre de faire croître le taux d’occupation et le prix moyen chambre ? Des études, (très) contradictoires et pas toujours impartiales, voire pas sérieuses, existent et la réponse n’est pas aisée à trouver. Tout dépend de la clientèle que reçoit l’hôtel (affaire / loisirs), de sa gamme, de la superficie de l’offre spa et de ce qu’il propose comme catalogue d’activités. S’il est suffisamment grand et riche en prestations, avec une offre originale, attrayante et professionnelle, le spa peut être un élément de distinction et d’attractivité. Il peut alors attirer une clientèle qui viendra pour un séjour de bien-être et logera sur place.
Mais, cela nous fait à nouveau buter contre la considération financière en se souvenant que le prix de revient d’un spa est élevé. Et ici encore, il ne sera le plus souvent pas possible de répercuter les coûts d’investissement et de fonctionnement sur les clients, qui ne veulent pas payer de vrai supplément. Exception faite, d’hôtels très haut de gamme.
Plus généralement, pour mémoire : les clients aimeraient que les hôtels disposent de tels équipements, mais ne les fréquentent pas ou si peu.
Des hôtels de luxe qui n’ont pas de spa ne s’en portent pas nécessairement mal en termes d’activité et d’autres qui en possèdent un, n’ont pas forcément une meilleure fréquentation. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas parce qu’un ou des concurrents ont fait le choix de proposer un espace de bien-être qu’il faut obligatoirement faire pareil. Le mimétisme n’est pas raisonnable et cela s’étudie dans tous les cas.
• En résumé, un spa / espace de bien-être ATTRACTIF :
- Doit être suffisamment grand (plusieurs centaines de mètres carré), et proposer des activités et une image valorisantes, pour pouvoir produire une demande bénéficiant à l’hôtel (séjours dédiés),
- Il nécessite du personnel et du professionnalisme,
- Il est coûteux …à ruineux,
- Son retour sur investissement sera pour lui-même le plus souvent limité, voire impossible, à quelques exceptions,
- La part de clients hébergés qui le fréquenteront sera faible,
- Le spa est un élément de distinction discutable,
- Sa création, et l’intérêt d’en proposer un, s’étudie au cas par cas, en fonction de l’hôtel et de sa clientèle.
Paru le 8 janvier 2020
Perrine Edelman