TOURISME : DO YOU SPEAK “MARKETING DE LA DEMANDE” ?
Le monde du tourisme et plus spécialement encore celui de l’hôtellerie vivent un bouleversement comme jamais vu dans leur marketing. Comprendre le succès des uns et les errements des autres passe par analyser leur marketing.
Les clients, consommateurs, voyageurs ont pris le pouvoir. C’est désormais un truisme de le rappeler. Ils décident si une prestation, un hôtel, un restaurant, une destination… doivent être massivement vantés ou si au contraire il faut les descendre en flamme. Et les laisser durer sereinement …ou pas.
Grâce à qui, à cause de quoi ? Les nouvelles technologies et internet, avec ses blogs, ses réseaux sociaux, ses applis et sites de commentaires en ligne. Et aussi, un marketing de la demande, clairement affiché.
Désormais, mettre en marché ne se fait qu’avec le consentement des clients, qui ont voix au chapitre, qui en sont partie intégrante.
Car « marketing » n’est un gros mot que pour les ignorants, qui servirait surtout, selon eux, à tromper les consommateurs. Pour les « comprenants » et les « sachants », c’est « l’ensemble des techniques et méthodes basées sur la connaissance des besoins du consommateur et des structures du marché, et utilisées pour développer les ventes d’un produit ou d’un service. »
Il se compose du fameux mix-marketing avec les 4 P : la politique de Produit, la politique de Prix, la Promotion et la communication, et la politique de Place (distribution). On a tendance, à juste titre, à ajouter un 5e P : la politique de la Personne (gestion et optimisation des ressources humaines et de la relation client).
MARKETING DE LA DEMANDE Vs. MARKETING DE L’OFFRE
On comprend mieux pourquoi les nouveaux entrants dans le tourisme, assistés et servis par les technologies les plus innovantes (demain par l’IA), ont du succès. Ils se sont glissés dans le tourisme, en s’intercalant entre les voyageurs et les professionnels. Il en va ainsi des OTAs (Booking, Expedia…), des réseaux sociaux (Facebook, LinkedIn, Instagram…) et de bien d’autres opérateurs (TripAdvisor, Google, Airbnb, etc.).
Pourquoi ? Tous appliquent un marketing forcené de la demande, quand les professionnels historiques du tourisme en sont souvent encore à faire du marketing de l’offre et à se disqualifier.
1) – LE MARKETING DE LA DEMANDE
Il consiste à mettre le client au cœur de la stratégie et de faire en sorte que tout s’organise autour et à partir de lui, de ses attentes et besoins. C’est d’ailleurs un pléonasme, puisque à la base le marketing devrait toujours prendre appui sur la demande (active, potentielle et insatisfaite) et non sur autre chose.
Les belles idées ne sont rien si elles n’accrochent pas des acheteurs. Il fallait y penser.
Et les consommateurs préfèrent tenir compte des avis des autres consommateurs pour se faire une idée sur un achat : 77 % des voyageurs européens interrogés par Coach Omnium déclarent consulter les avis en ligne des autres clients avant de choisir un hébergement touristique. Seuls 12 % donnent du crédit à la publicité sur ce thème.
2) – LE MARKETING DE L’OFFRE
C’est au contraire se baser sur la prestation / le produit proposés, en espérant — parfois à coups de cierges allumés — que les clients vont vouloir l’acheter, l’adopter et s’en contenter. Bref, c’est croiser les doigts en priant pour que les clients aiment.
Le marketing de l’offre est has been et antique.
C’est un peu comme ces grands chefs, designers, architectes, créateurs… qui ont leur idée personnelle de ce qu’il faut lancer sur le marché, sans tenir compte du public, et sans rien savoir de ses attentes et de ses goûts. Au pire, en ne s’en préoccupant pas. Ceux-là semblent persuadés que l’on va d’emblée adorer leurs créations, parce qu’elles sont exceptionnelles (pensent-ils), parce qu’eux-mêmes sont incomparables (croient-ils) et parce qu’eux savent ce qui est bien et juste.
Parfois, cela marche, quand ils ont une notoriété, par chance ou par le fruit du hasard ; mais souvent, passé le démarrage avec l’effet de curiosité, cela ne fonctionne pas ou plus.
Citons également ceux qui lancent du nouveau sur le marché en argumentant que « c’est parce que cela n’existe pas ». Mais, si cela n’existe pas c’est peut-être parce que cela n’intéresse personne de l’acheter ? Encore faut-il avoir vérifié avant d’investir à fonds perdus.
Plus généralement, la créativité chez les « marketeurs » de l’offre se place généralement dans le mimétisme à recopier ce que font les concurrents. Qui font de même. Et ainsi de suite. L’uniformité et donc la lassitude guettent le client. Si on l’avait sondé, on n’en serait pas là.
DES TRACE D’HUMILITÉ
Dans un récent salon ITB de Berlin, une responsable d’un grand groupe hôtelier a déclaré : « Nous avons mis 20 ans à prendre conscience de l’importance d’Internet et du digital dans l’hôtellerie. » Oui, non seulement personne n’avait vu venir les OTAs et n’a soupçonné leur futur (gros) succès, mais la majorité des groupes hôteliers les ont pris de haut.
Dans un autre groupe hôtelier majeur, on explique avec humilité : « Pendant trop longtemps, on a tenté d’imposer (notre) hôtellerie à nos clients alors qu’aujourd’hui on commence juste à les écouter et à adapter nos produits pour eux ». Il était peut-être temps ?
Le marketing de l’offre peut éventuellement exister encore s’il correspond à « la rareté précieuse » d’un bien, d’un produit, d’un objet, sans équivalent. On accepterait tout pour les acquérir, les consommer. La naïveté n’a pas de limites. Mais, ne rêvons pas : cela reste exceptionnel et ne peut plus durer comme autrefois.
Si tout le monde parmi les professionnels pense faire de l’exceptionnel, se distinguer avantageusement de ses concurrents, faire du disruptif (mot à la mode), voire annoncer qu’il est inimitable, c’est une situation devenue quasiment intenable. Quoi qu’il arrive, les consommateurs reprennent le volant en donnant leur avis, en le partageant largement et en décidant s’ils ont envie de se fidéliser ou non. Ils ont un droit de vie et de mort sur tout ce qui se commerce.
LES NOUVELLES TECHNOLOGIES FONT TABLE RASE DES ANCIENNES PRATIQUES
Avec les nouvelles technologies de l’information, on ne peut plus rien contrôler : sa réputation, son image et sa notoriété. On peut juste les favoriser en ayant une offre pleinement satisfaisante et des clients satisfaits. Et en faisant beaucoup de bruit, du buzz ou du ramdam. Mais, sans clients contents, cela ne fait souvent qu’un feu de paille.
Il reste la publicité qui permet de dire ce que l’on veut, en payant. Il y a les influenceurs, dont les bloggers, que l’on rémunère d’une façon ou d’une autre dans la majorité des cas. Et enfin la presse, que l’on peut avoir dans sa poche. Mais, tout cela détient une crédibilité très relative dans le tourisme et l’hôtellerie, et a en définitive peu d’impact auprès de ses cibles pour vendre concrètement.
Un peu comme avec les Césars du cinéma où le public fait d’autres choix que les professionnels qui votent (et qui ne tiennent pas compte de l’avis du public).
L’IA COMME PRÉCIEUX AUXILIAIRE DU MARKETING DE LA DEMANDE
Le marketing de la demande a cela de supérieur qu’il tient encore une fois compte des consommateurs. Il se base sur des études de clientèles — que justement les marketeurs de l’offre ne font pas ou si peu —. Il piste les clients et suit chacun de leurs mouvements. Il cherche à comprendre leurs actes d’achats. Il élabore ou modifie ensuite une offre qui devrait leur convenir, s’il n’y a pas trop d’erreurs d’interprétations de faites.
Il est également la seule voie pour exister dans un milieu hautement concurrentiel comme celui du tourisme et des hébergements touristiques.
Pour cela, le marketing de la demande a à sa disposition, pour peu que l’on veuille et sache les exploiter, des bigs datas, des puces, des balises, des applis, des commentaires de clients, des enquêtes, des chatbots, des beacons, des logiciels de CRM, etc. Et à présent (en démarrage) l’intelligence artificielle. Elle identifiera automatiquement les clients, apprendra ce qui leur plaît et leur sied, adaptera des promotions en fonction de cela et saura leur suggérer des achats supplémentaires qui puissent leur convenir.
LES LIMITES OU CE QU’IL NE FAUT PAS FAIRE !
Mais, ce marketing de la demande, s’il est idéal, doit être lui-même bigrement intelligent et subtil. Il existe des limites à ne pas dépasser vis-à-vis des clients, qui peuvent très vite provoquer du rejet, pur et radical.
Vu et entendu par les voyageurs et consommateurs :
- « Quand on confond : nous suivre et nous poursuivre ». Personnaliser c’est bien, mais faire de l’inquisition et donner le sentiment de cerner les gens (au sens propre) n’est juste pas possible ! On peut vite pourrir une relation-client en étant trop introspectif.
- « Quand on nous ment » en nous faisant croire que tout ce qui est demandé ou enregistré (caméras, biométrie, formulaires…) est pour notre bien, pour (nous) rendre un meilleur service, pour notre sécurité… alors qu’il s’agit le plus souvent de nous pister et de nous cloisonner dans des offres et des catégories.
- « Quand pour capter notre attention, on provoque une surcharge d’informations » (charge mentale ou stress-marketing). Cela produit alors une saturation et donc un rejet. On parle à présent de détox digital. Les adultes passent en moyenne 4 heures par jour devant un écran et sont chaque jour, en moyenne, en présence d’un millier d’annonces, d’articles, d’informations et de publicités. De quoi avoir des indigestions et du cerveau indisponible, sinon indisposé.
- « Quand nous, les utilisateurs, commençons à nous rendre compte des différentes dérives des outils numériques » : surveillance de la vie privée, addictions, insatisfaction, perte de temps sur les réseaux sociaux.
- « Quand on a le vague ou insistant sentiment d’être espionnés et manipulés » : « Dites-moi où vous clickez et je vous dirai quoi consommer ».
- « Quand nous vivons un trop-plein de sollicitations » en recevant une dizaine « de mails ou SMS juste pour un simple séjour hôtelier. Ou encore quand on nous invite sans cesse à télécharger des applis, dont on n’a que faire. Dans le tourisme, si beaucoup des voyageurs font l’acquisition d’applis, ils sont seulement 16 % à déclarer les utiliser souvent, parfois ou rarement (études Coach Omnium). C’est quand même un peu la lose pour leurs éditeurs.
- « Quand on oublie que le marketing (de la demande) ne se passe pas seulement avant et après un séjour touristique ou hôtelier », et qu’il n’est pas que le fruit de solutions technologiques. La qualité de l’accueil, l’efficacité et le professionnalisme du personnel, le sourire, l’empathie… bref, l’humain, en font essentiellement partie durant le séjour ou l’acte d’achat, sur place.
- « Quand la tentation est grande d’utiliser la technologie pour remplacer l’humain » dans beaucoup de phases d’accueil dans un établissement hôtelier (identification par intelligence artificielle d’un client, personnalisation à outrance de la prestation, bornes de check-in/check-out, biométrie…). Qui peut croire qu’avoir un miroir à la place d’une réceptionniste, lequel fera de la reconnaissance faciale des clients, est un progrès pour l’humanité et pour l’image de l’hôtellerie ?
- « Quand tout passe par la technologie ». Ce n’est pas parce qu’on pourra bientôt presque tout technologiser, qu’il faudra le faire ! Les centres d’appel avec le trop fameux « pour tel choix, tapez 1… » sont l’exemple-type d’une emprise technologique catastrophique en termes d’image et de satisfaction, qu’on laisse faire et qui ruine tous les efforts d’un marketing censé par ailleurs séduire les clients.
- « Quand, rien que pour l’hôtellerie, il est fréquent d’oublier que les voyageurs ont des attentes essentiellement basiques« : confort, propreté, bon accueil, petits déjeuners de qualité, restaurant où l’on se sent bien, tranquillité… Rien de révolutionnaire. Loin de la technologie, hormis les besoins en connectivité et en Wifi performantes.
- « Quand on interprète mal les enquêtes en ligne », qui ne sont souvent pas fiables parce que l’échantillon n’est pas représentatif, parce qu’on ne sait pas si les gens comprennent bien le sens des questions posées et sont sincères dans leurs réponses. Il peut s’en suivre l’élaboration de concepts et de services clairement à côté de la plaque.
- « Quand on impose aux clients de devoir tout prévoir, tout anticiper, tout choisir par avance ». C’est la folle technologie sur internet qui porte à ça et les infinies possibilités des applis et algorithmes. Il s’en suit une perte de temps, une complexité épuisante, une sensation de surcharge mentale (encore une fois), la fin de l’envie du moment et de celle de l’improvisation.
- « Quand on nous fait perdre notre temps » et qu’on nous demande de faire une grande partie du travail, par exemple en hôtellerie : devoir préalablement ouvrir un compte (même sur un site où l’on sait que l’on ne reviendra jamais), remplir un formulaire avant séjour puis après-séjour (parfois avec d’insupportables relances), poser des questions sans intérêt, devoir télécharger une appli, chercher en vain comment réserver en ligne, subir des bugs pour payer…
- « Quand nous sommes livrés à nous-mêmes face à la technologie », sensée nous faciliter la vie, sans aide, sinon en appelant un numéro de téléphone surtaxé ou une hot-line qui ne répondent jamais.
- « Quand corriger une erreur de commande de séjour ou de vol sur internet devient un parcours du combattant ».
Quoi qu’il en soit, le marketing de la demande reste la panacée et relègue le marketing de l’offre à une conception datant de l’époque où le client était passif, docile, facile à surprendre et non habitué. Les consommateurs sont habitués, sinon blasés.
Aujourd’hui, on n’impose plus, on écoute. Dans le cas contraire, le client frustré s’en souviendra et le fera payer d’une manière ou d’une autre (dont en déposant des avis négatifs en ligne). Il faut juste savoir où ne pas aller trop loin et comment ne pas abuser des bonnes choses qu’apportent les nouvelles technologies.
« Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous » (SNCF, mais surtout Aristote). Pour autant, cela dépend de quel progrès, et comment et avec qui le partager.
Mark Watkins