L’HÔTELLERIE FRANÇAISE SE DONNE-T-ELLE VRAIMENT LES MOYENS D’UNE BONNE IMAGE ?
On est forcé de constater que si l’hôtellerie française parvient à améliorer son offre, elle fait souvent des pas de travers qui l’empêchent de se tricoter une bonne image auprès du public, de ses clients, de ses fournisseurs mais aussi des pouvoirs publics.
Si les clients français et étrangers de l’hôtellerie française sont 49 % à trouver notre offre globalement satisfaisante, 38 % la considère avec une qualité irrégulière et 5 % décevante (dernier sondage de Coach Omnium). En somme, sans surprise, notre parc hôtelier regroupe le meilleur et le moins bon. Mais, il en a toujours été ainsi. Et le classement hôtelier « modernisé » en 2009 n’y a rien changé.
Ce constat se retrouve sans peine dans l’e-réputation et les quelques dix millions d’avis et de commentaires que les voyageurs déposent sur les plateformes en ligne à propos des hôtels français.
LA BONNE IMAGE FAIT VENDRE
Le tourisme en général et l’hôtellerie en particulier ne proposent pas que des prestations, que l’on appelle désormais des « expériences », expression repoussoir.
Pour vendre, il faut également détenir une bonne image, provoquer le désir, se montrer attractif, susciter l’envie d’acheter et la sympathie. Ce sont là des valeurs immatérielles qui ont autant d’importance que celles plus matérielles du confort, de l’équipement et du décor. Après tout, que ce soit pour la clientèle d’affaires comme de loisirs, ce secteur n’a-t-il pas pour vocation d’apporter du plaisir, du bien-être et du bonheur ?
La bonne image relève à la fois de chaque hôtel, de chaque chaîne, ainsi que de la communication des organisations professionnelles. La force de la chaîne de valeurs se mesure à partir du maillon le plus faible. Les mauvais font tache sur les bons et font prendre le risque d’une image salie sur l’ensemble de la profession (on a vite fait de faire des amalgames). Après avoir été trompé par un garagiste, n’est-on pas trop facilement tenté de penser que tous les garagistes sont des escrocs ?
Et si on passait en revue rapide tout ce qu’il faudrait que l’hôtellerie continue à faire pour se donner une bonne image et tout ce qu’il faudrait arrêter / corriger au plus vite ?
C’EST BON À TRÈS BON pour l’image de la profession
1) – MODERNITÉ ET ORIGINALITÉ
Décors lifestyle et « comme chez soi », appel à des architectes d’intérieurs talentueux, décorateurs et « atmosphéristes » créatifs deviennent une petite généralité. Même si c’est surtout dans le haut de gamme que cela se passe.
Piqués au vif par le succès des logements touristiques chez l’habitant symbolisé par Airbnb, les hôteliers les plus progressistes ont compris la leçon. Ils veulent mettre fin aux cadres banalement fonctionnels, aseptisés et uniformisés. Même les chaînes hôtelières intégrées se remettent en question dans leurs standards. C’est dire… Place à l’accueillant, à l’agréable et au cosy. Cela n’est pas toujours une réussite, mais au moins l’intention est là… lire « Les points critiques de la chambre d’hôtel ».
2) – NOUVEAUX CONCEPTS
Outre se donner des airs aux attributs de moins en moins hôteliers (même si ce n’est pas une insulte), on trouve de plus en plus de réalisations originales, aptes à attirer de nouvelles clientèles : les hôtels hybrides et hostels new look associant chambres classiques et dortoirs, les hébergements insolites (cabanes perchées, lodges, chambres flottantes, yourtes, roulottes… — voir notre dossier) qui viennent compléter les offres hôtelières traditionnelles, food-truck devant ou derrière l’hôtel avec une petite restauration, espaces de coworking, bars en roof tops, etc.
Si on trouve des innovations surtout dans le haut de gamme, là encore, il arrive que les autres catégories fassent également l’objet de renouveau, à l’image des hôtels Eklo rendant plus sexy l’hôtellerie super-économique, ce qui est loin d’être le cas des autres offres de chaînes premier prix désormais très vieillissantes.
3) – UNE QUALITÉ DE PLUS EN PLUS PRÉSENTE
Si l’ensemble de l’hôtellerie française est loin d’être considérée comme parfaite sur le plan de sa qualité d’offres et de services (lire en début d’article), avec l’assistance des fournisseurs et équipementiers, et sous la pression des avis en ligne, les choses changent petit à petit en mieux depuis peu.
Les hôteliers ont bien compris qu’ignorer les commentaires des clients n’était pas la bonne solution et que trop d’avis négatifs pouvaient directement nuire (et de façon pérenne) à l’activité commerciale de leur hôtel. Justement, aujourd’hui, ce sont 86 % des clients d’hôtels, contre 76 % en 2017 qui consultent les avis en ligne des autres voyageurs pour se faire une idée sur un établissement avant d’y réserver une chambre …ou pas — lire « Les clients d’hôtels, nous les avons interrogés ».
Les avis en ligne sur les prestations hôtelières, même si elles perturbent les hôteliers — on le comprend —, sont un formidable moteur pour les aider et les encourager à améliorer leur offre. Aucun classement en étoiles, aucun label, aucun système de visites-mystère, aucune chaîne hôtelière, aucun guide ne parvient à une telle influence pour faire progresser la qualité.
4) – UNE AMÉLIORATION DES SYSTÈMES DE RÉSERVATIONS
Quand on sait que plus de 9 clients d’hôtels sur 10 recherchent leur hébergement sur Internet, 83 % des hôtels français ont (enfin) sur leur site un moteur de réservations avec paiement en ligne, contre seulement 28 % en 2011 — notre dossier sur la commercialisation hôtelière. C’est évidemment la première condition pour que les clients réservent en direct et ne filent pas entre les mains des méga plateformes en ligne (OTAs).
Les sites des hôtels eux-mêmes, aidés par des web-agencies, deviennent de plus en plus attractifs, bien faits et professionnels. Avec toutefois un risque de trop forte standardisation et de mimétisme, qui lasse. Plus généralement, les hôteliers s’offrent une assistance technologique pour leur gestion tarifaire, le suivi de leurs clients et la relation avec eux, la veille concurrentielle, la mesure de la satisfaction et bien d’autres fonctionnalités. Cela leur permet, en théorie, d’être plus et mieux informés sur les attentes de leurs clientèles. Encore faut-il qu’il en tiennent compte…
C’EST MAUVAIS À TRÈS MAUVAIS pour l’image de la profession
1) – UNE OFFRE SOUVENT EN SOUFFRANCE DE QUALITÉ
On trouve encore bon nombre d’hôtels vétustes façon grand-papa (qui se disent « traditionnels »), au papier mural jauni à fleurs et aux moquettes des années 1980 (comme la literie), des établissements de chaînes pas rénovés depuis des lustres, un accueil sordide, une propreté discutable, du bruit la nuit, des chambres de taille lilliputienne, un wifi défaillant, des températures insupportables, etc. le tout associé souvent à des prix exorbitants.
Les motifs de plaintes ne manquent pas à l’encontre des hôtels et des hôteliers. Des établissements décevants sont évidemment le premier composant de la mauvaise image du secteur. Et l’e-réputation souvent peu élogieuse, y compris collée à de nombreuses chaînes hôtelières premier prix à milieu de gamme, vient s’ajouter à une perception critique de l’hôtellerie qui peut faire fuir. Quand en plus, les hôteliers prennent de haut ceux qui osent critiquer leur établissement, avec leur commentaire vu par tout le monde, le summum est atteint.
2) – CONFLIT OUVERT ET MÉDIATISÉ CONTRE AIRBNB :
Cela n’a échappé à personne, Airbnb est devenu la tête de turc des hôteliers, après que ces derniers s’en soient pris longtemps aux résidences de tourisme et avant elles aux chaînes hôtelières. Le succès agace. Et c’est toujours en employant la même accusation de « concurrence déloyale ». Les organisations professionnelles sont également entrées dans l’arène et même une association (AhTop) apparemment spécialement constituée pour combattre la bête. On accuse la plateforme de location de logements touristiques chez l’habitant de prendre des clients aux hôtels.
C’est inexact et l’accusation est facile à déconstruire. Les hôtels ont peu ou prou des taux d’occupation identiques depuis une douzaine d’années (hors période Covid) — voir notre Panorama de l’hôtellerie en France. La fréquentation hôtelière augmente même depuis 2009. Dans le même temps, Airbnb n’a jamais été aussi présent en France depuis ces dernières années. On évoque une moyenne de 500.000 logements estimés en 2021. Parallèlement, l’offre hôtelière s’est même accrue de plus de 5 % en volume de chambres depuis 10 ans.
En quoi les clients des hôtels fuient-ils vers les meublés de tourisme si l’hôtellerie maintient la même activité depuis des années ? En réalité, les logements chez les particuliers sont adaptés aux moyens et longs séjours, quand les hôtels le sont pour les courts séjours (1,8 jour de durée moyenne de séjours au plan national — Insee). Ces deux formes d’hébergements sont au final complémentaires.
Toute cette guerre juridique et médiatique — étalée sur la place publique — est non seulement contreproductive, mais elle est également nuisible à la réputation de l’hôtellerie, lui donnant une posture de loser jaloux et revanchard. C’est surtout désavouer les millions de gens qui aiment les séjours par le biais d’Airbnb et de ses concurrents, mais aussi les propriétaires de ces logements. Tous ceux-là peuvent également être des clients d’hôtels et beaucoup le sont — nos études le confirment.
Mais, tous aiment également la variété et pouvoir choisir des hébergements différents, au gré de leurs types de séjours : en famille, en couple, en week-end, en déplacement professionnel, etc.
NB : tout cela n’est pas sans ignorer que les locations de meublés pour les touristes peuvent être des nuisances pour les voisins, et représenter un préjudice aux villes en retirant des logements aux habitants et aux personnels saisonniers dans les destinations touristiques.
3) – GUÉGUERRE CONTRE LES OTAS
Si aujourd’hui 91 % des hôteliers français travaillent avec les agences de voyages en ligne (dont en premier Booking), beaucoup ont du mal à avaler cette pilule. Payer une commission pour bénéficier de clients, quelle horreur !
Il faut dire qu’ils sont 3 hôteliers sur 5 à ne rien faire (ou presque) pour leur commercialisation. Abandonner leurs ventes à ces plateformes de distribution est donc pour eux, LA solution pour ne pas se retrouver avec un hôtel quasiment vide.
Le paradoxe est que les hôteliers ne s’empêchent pas de dénoncer directement en public, via les médias, la mainmise de Booking et cie. Mordre la main qui vous nourrit est toujours surprenant… Sauf que du côté des voyageurs, on déclare (nos études) être le plus souvent très satisfait de ce que proposent les grandes plateformes de distribution (garanties, facilités, choix, praticité, etc.).
La cuisine interne de la profession indiffère les clients d’hôtels, qui préfèreraient que le linge sale soit lavé en famille et qu’ils soient mis en dehors de ces guéguerres. Quand en plus les hôteliers cherchent à culpabiliser les clients d’opter pour des réservations via les OTAs ou à vouloir les « éduquer », la boucle est bouclée pour se donner une image indéfendable.
4) – LES ÉTATS D’ÂME DES HÔTELIERS ET DES RESTAURATEURS
Il ne se passe plus un mois sans que des médias publient des articles ou des reportages sur les problèmes qu’éprouvent les professionnels. C’est bien sûr vu, là aussi, par tout le monde. Turn-over et difficultés à recruter du personnel, dénonciation de la concurrence présentée comme déloyale, harcèlement moral du personnel, menus des restaurants constitués de plats industriels prêts à réchauffer, contraintes réglementaires de la profession, mal-être par rapport aux OTAs, baisse de la TVA en restauration (en 2009) dont le public n’a pas profité, taxe de séjours, Airbnb, pratique de prix himalayens, etc. — la liste est méchamment longue !
Mais, encore une fois, les Français ne s’intéressent pas à ces problèmes (sauf quand cela les concerne directement comme les hausses délirantes des prix des chambres). Pour eux, l’hôtellerie et la restauration devraient en principe être des pourvoyeurs de plaisir et de bien-être. Parler des affres du secteur et mettre les clients à contribution autour de ça est ce qu’il y a de pire en termes d’image. Personne ne trouverait acceptable qu’un comédien de théâtre s’arrête soudain de jouer sur scène pour expliquer aux spectateurs ses soucis d’impôts, ses disputes avec sa femme, ses difficultés de finances ou de santé.
5) – TURN-OVER DU PERSONNEL ET DIFFICULTÉS À LE GARDER
Cette situation revient avec la régularité d’un pendule sur le terrain médiatique. On en parlait déjà en 1996 ! Depuis le Covid, c’est puissance 10.
Les médias en profitent pour démontrer certaines mauvaises conditions de travail du personnel hôtelier et ses maigres salaires (près de 4 sur 10 au SMIC hôtelier, contre moins de 2 salariés sur 10 au SMIC dans l’ensemble des secteurs de service) ou l’emploi de travailleurs étrangers sans papiers ou de personnel non déclaré. Face à ce cruel problème pour trouver du staff, certains exploitants en profitent pour critiquer ouvertement « ces jeunes qui ne veulent pas travailler ». Toujours de la faute des autres…
Là encore, la bonne renommée n’est pas à mettre sur le compte des hôteliers et restaurateurs, et cela ne peut que provoquer un rejet de la profession tandis qu’elle croyait utile de sensibiliser l’opinion. Effet contraire obtenu. Et après tout, les clients qui fréquentent ces établissements n’ont-ils pas leurs propres problèmes eux aussi ?
6) – DES PRIX QUI S’AFFOLENT
Depuis la crise du Covid où de nombreux hôtels avaient fermé durant plusieurs mois, les clients revenus et la récession passée, les hôteliers ont bien cherché à rattraper leur perte de chiffre d’affaires par des tarifs qui prennent des allures de montgolfière. Il leur paraît évident que c’est aux clients de payer. Rien qu’à Paris, l’office du tourisme a observé que les prix des chambres d’hôtels avaient augmenté en moyenne de 39 % depuis 2019.
Ces hausses tarifaires spectaculaires — sans améliorer la proposition de valeur (les chambres et les prestations restent les mêmes quel que soit le prix) — se sont appuyées sur le prétexte de l’inflation touchant le secteur : énergie, salaires, matières premières, etc. C’est oublier, encore une fois, que les entreprises et les particuliers — les clients des hôtels — ont eux aussi à souffrir de la hausse de leurs charges.
Déjà, 42 % des clients d’hôtels français et européens trouvent que les hôtels français sont trop chers. Et encore, le résultat de ce sondage par Coach Omnium date d’avant les augmentations vertigineuses des tarifs hôteliers de 2023.
7) – POLITIQUE TARIFAIRE BARBARE
Jean-Pierre, un client habitué à s’héberger à Paris, est très contrarié. Il a vu que dans un hôtel où il est revenu, pour la même chambre, il passe d’un tarif de 120 € à 250 € le séjour suivant. Jean-Pierre est estomaqué (et a envie de le dénoncer sur Internet).
Au nom du dieu « yield management », on assiste à des procédés tarifaires par les hôteliers qui sont totalement démentiels, pour ne pas dire irresponsables pour l’avenir du secteur, vis-à-vis des clientèles touristiques (affaires & loisirs). Pas de quoi fidéliser, qui est pourtant une garantie de rentabilisation ! Quel client peut comprendre et accepter cela alors que l’offre proposée est immuable ?
Et que dire de la polémique sur les prix des hôtels durant les JO 2024, qui peuvent être multipliés jusque par 10, selon des enquêtes menées successivement par le Parisien et UFC-Que Choisir ? La loi de l’offre et de la demande a ses limites… et cette dénonciation par les médias sera dommageable durablement sur l’ensemble de l’hôtellerie, accusée d’être conduite par des profiteurs.
Si 84 % des voyageurs comprennent le principe de variations tarifaires selon les périodes — cela se pratique presque partout dans le tourisme —, ils trouvent que ces pratiques de multiplication de prix par 2, 3 ou plus, devenues habituelles, sont mesquines et que c’est franchement abuser. Les clients seront tentés de se venger en publiant d’assassins avis en ligne. En somme, avec cet esprit court-termiste / tiroir-caisse, les hôteliers prennent un gros risque pour gagner du chiffre d’affaires additionnel pendant les JO et les grandes périodes d’affluences, soit quelques semaines/mois par an, en se ramassant une e-réputation exécrable qui, elle, restera longtemps en place et visible durablement sur le Net pour tous les voyageurs.
Et on ne parlera pas des stratagèmes consistant à n’accepter que les réservations de plus de 3 ou 4 nuits durant les JO. Il n’est pas dit que les hôteliers pourront compter sur un remplissage optimal durant cet événement, comme ce fut le cas lors des JO de Londres.
8) – LA POLÉMIQUE DE LA TAXE DE SÉJOUR EN RÉGION PARISIENNE
Les pouvoir publics ont décidé d’augmenter fortement la taxe de séjours en région parisienne à partir de 2024. On parle de 200 % de hausse ! Cela a été décidé sans concertation avec les hôteliers. C’est certes contrariant et encore plus fâcheux pour les touristes qui paient ces taxes.
Mais, énervés par cette fiscalité alourdie, les organisations professionnelles ont choisi de servir des arguments économiques baroques quand on observe les pratiques des hôteliers de la destination en termes de tarifications (lire ci-avant) : « un matraquage fiscal qui va durablement impacter la compétitivité de nos entreprises ». « La nouvelle hausse de la taxe de séjour vient franchement mettre à mal la compétitivité de l’hôtellerie parisienne et francilienne », peut-on lire de la part des syndicats hôteliers.
Lors d’une précédente augmentation de la taxe de séjour (de quelques dizaines de centimes) il y a quelques années, les hôteliers avaient même avancé dans la dramaturgie que cela ferait « fuir les touristes et ferait perdre bon nombre d’emplois ». Bien sûr, il n’en a rien été.
Autrement dit, rois de la duplicité, on trouve des hôteliers gênés par quelques euros d’augmentation de la taxe de séjour selon les catégories d’hôtels mais qui ne le sont plus (gênés) quand il s’agit de relever régulièrement leurs prix des chambres de cent jusqu’à plusieurs centaines d’euros d’un jour à l’autre. Là, étrangement, les touristes ne fuiraient plus et cela ne mettrait plus à mal l’emploi ni la compétitivité des hôtels. Il aurait été sans doute plus utile de trouver une argumentation plus crédible pour convaincre les pouvoirs publics.
9) – LES EFFETS PERVERS DES NOUVELLES TECHNOLOGIES
Combler le retard de modernité dans les technologies est sûrement une bonne chose pour les hôteliers, aidés en cela par un grand nombre de prestataires et à présent de start-up. Mais là aussi, en matière de CRM (relation clientèle), il faut savoir ne pas aller trop loin.
Trop de newsletters non sollicitées adressées aux clients (profitant des adresses mails reçues lors de la réservation), de multiples mails de réservations sans intérêt, des procédures trop lourdes et longues pour réserver sur Internet, l’agression intrusive des beacons, des programmes de fidélisation « usines à gaz », des propositions insistantes de téléchargements d’applis dont on n’a que faire… les clients n’en peuvent plus ! Qui peut aimer recevoir jusqu’à 6 mails de confirmation d’une réservation d’hôtel, puis jusqu’à 4 mails pour demander au client son avis sur le séjour ?! Quand en plus ne s’y ajoutent pas des SMS…
Même les assistants vocaux intelligents, de type Alexa d’Amazon ou Google Assistant, les clients n’en veulent pas dans les chambres d’hôtels.
Cette course débridée à l’abus d’usage de la technologie, quand elle a lieu, devient très pénible. Même si à la décharge des hôteliers concernés, la plupart des autres secteurs d’activité marchands font de même. Si les exploitants croient bien faire, ils ne se mettent pas à la place de leurs clients, sinon ils feraient différemment. C’est toujours le fameux marketing de l’offre qui l’emporte sur le marketing de la demande (voir plus loin).
S’intéresser aux clients via les CRM, c’est bien. Mais, cela doit sembler sincère et réel ; pas au travers des technologies qui saturent la communication et qui sont utilisées à mauvais escient. A noter que ces remarques s’adressent également aux chaînes hôtelières dans leur relation avec les clients, comme aux OTAs qui harcèlent les gens sur le Net et via des mails et SMS. Bref, ce n’est pas parce que la technologie permet de le faire qu’il faut le faire.
10) – MOINS DE PRÉSENCE HUMAINE
Si les charges de personnel en hôtellerie-restauration deviennent un vrai problème, la présence humaine amoindrie dans les hôtels — effective ou en projet — que ce soit quantitativement ou qualitativement, est un véritable handicap dans la perception par les clients de ce que les hôtels ont à offrir. Mauvais pour l’image.
Oublions les bornes interactives de check-in/check-out qui peuvent amuser, mais qui — aujourd’hui — ne sont pas la panacée pour plaire au public. Seulement 24 % des clients d’hôtels sont pour, à la condition que cela ne remplace pas du personnel de réception, ce qui n’était pas l’objectif initial des hôteliers. On n’aime pas davantage le code délivré par SMS aux clients qui arrivent, façon Airbnb, qui les invite à monter directement dans la chambre attribuée, sans passer par la réception.
Un petit déjeuner avec moins de staff n’est possible que si l’on propose un buffet de grande qualité et si les rôles des équipes sont bien attribués (approvisionnement, débarrassage, accueil). Quant aux chatbots, on peut les trouver « gadgétisants », mais une vraie conversation humaine reste celle qu’attendent les clients d’hôtels.
L’hôtellerie garde en elle ce besoin humain produit par du personnel qualifié et motivé : accueillant, présent, compétent et attentionné envers les clients.
11) – UNE RESPONSABILITÉ ÉCOLOGIQUE ENCORE POUSSIVE
Certes, les voyageurs disent aimer toute démarche environnementale, à la condition que cela ne les contraigne pas de trop et que tout le travail soit fait par les hébergeurs (nos études le confirment).
À noter aussi que les clients n’entrent pas (pas encore ?) des critères environnementaux au moment de choisir un hôtel où loger. De ce fait, les approches écologiques ont un faible succès chez les hôteliers, sauf si cela leur permet de faire des économies. Peu adhèrent à des labels ou certifications dans ce registre, d’autant plus qu’ils sont coûteux et lourds à traiter.
En somme, si cette situation d’absence d’affichage en vert ne paraît pas embarrasser les clients plus que cela, cela n’est pas bon vis-à-vis des collectivités locales qui aiment bien que l’on s’inscrive dans l’écologie (subventions). Pareil pour de plus en plus d’investisseurs.
12) – DES CONCEPTS, LABELS ET CHAÎNES DE MOINS EN MOINS COMPRÉHENSIBLES
En termes d’image de l’hôtellerie, allez comprendre aujourd’hui la surmultiplication de nouvelles marques de chaînes, la généralisation de concepts qui se prétendent tous plus originaux et différents les uns des autres et le lancement de nouveaux noms de réseaux, parfois improbables et trop subtils pour être retenus.
Rien qu’en deux années, on a vu arriver une vingtaine de nouvelles enseignes en France — lire notre analyse. Qu’est-ce qui les distingue toutes à part leur nom et leur logo ? Personne ne peut vraiment le dire, même leurs auteurs. D’autant que certains réseaux mélangent des gammes ou des positionnements sous la même marque.
Pour les étoiles, il en va de même : un même classement couvre des hôtels incomparables entre eux, y compris sur le plan qualitatif. Ce n’est pas une question de variété, laquelle est souhaitée, mais bien un souci de cohérence. Or, ce qui est compliqué à comprendre pour les clients est compliqué à vendre.
13) – UN MARKETING DE L’OFFRE …SANS LES CLIENTS
Les hôteliers continuent à imposer à leur clients leurs points de vue, leurs offres conçues sans interroger les utilisateurs et leurs prétendues innovations qui n’en sont que rarement. On peut dire que le marketing de la demande — qui met le client et ses attentes au centre de la prestation — est encore à la peine. C’est autant vrai de la part des indépendants que des chaînes pourtant réputées plus progressistes, à tort ou à raison.
Au contraire, ce n’est pas le cas des grandes plateformes de distribution, telles Booking et Airbnb, qui doivent entre autres leur immense succès à leur démarche opposée à celle des hôteliers : tout tourne autour et part des consommateurs, dont les aspirations, besoins et attentes ont été étudiés et pris en compte (marketing de la demande). D’où la grande crédibilité et la bonne image des OTAs qui ont tout compris, il faut bien le dire.
14) – DES PORTEURS DE PROJETS PARFOIS HORS SOL
Innover, c’est bien ; prétendre dépoussiérer et « casser les codes » de l’hôtellerie, c’est prétentieux mais pourquoi pas ; chercher à monter des projets hôteliers qui ne tiennent pas la route tant sur le plan marketing qu’économique est plus inquiétant. C’est pourtant devenu courant. Quand les investisseurs et les banques leur donnent du crédit (au propre et au figuré) et voient après quelque temps l’échec arriver, ils n’ont que de cesse d’avoir une déplorable image de l’hôtellerie et des hôteliers. Ils ne recommenceront plus à leur faire confiance.
15) – LES PUNAISES DE LITS
Certes on en trouve partout et pas que dans les hôtels. Mais, quand les médias s’en prennent à l’hôtellerie pour ce fléau, c’est là aussi mauvais pour la réputation du secteur. Et les réponses des hôteliers ne sont pas toujours adaptées pour rassurer et redonner confiance aux consommateurs.
16) – TROP (?) DE PROJETS HÔTELIERS HAUT DE GAMME
Des hôtels haut de gamme et de luxe comme s’il en pleuvait ! Nous en parlons régulièrement. Avec à présent 2.319 hôtels classés 4 étoiles et 473 homologués 5 étoiles (novembre 2023) sur près de 17.000 établissements, le parc hôtelier premium français a enflé de 310 % depuis 2010, soit près de 1.900 adresses de plus !
Il y avait à peine 898 établissements de ce type il y a 13 ans, qui représentaient 10 % de l’offre en chambres et moins de 5 % des hôtels. Aujourd’hui, les 4 & 5 étoiles pèsent près de 27 % du parc hôtelier français (en volume de chambres).
A Paris, c’est même davantage. Près de 36 % des hôtels de la Capitale sont dans ces catégories. Et on annonce encore plus d’une centaine de nouveaux entrants sur la destination dans ces gammes, petite banlieue comprise, qui se dépêchent d’ouvrir en perspective des JO de 2024. A l’opposé, les offres économiques s’amenuisent (- 25 % en 10 ans).
Cela fait que se loger à l’hôtel devient plus coûteux. Cela contribue à l’image de cherté de l’hôtellerie (voir plus haut).
17) – SE FIER AUX ÉTOILES
Faites en principe pour les voyageurs, les étoiles devraient sur le papier garantir de bons hôtels dans chaque gamme. Le problème est que les critères sont minimalistes, que les contrôles sont faits tous les 5 ans (seulement) et payés par les hôteliers qui choisissent leur contrôleur. Plus ennuyeux, le classement a été défini sans interroger un seul client d’hôtel. Cela se voit dans le référentiel dont le contenu est souvent (très) éloigné des attentes des consommateurs.
Plus grave encore, on attribue des étoiles — démarche purement administrative et pas consumériste — sans se soucier des avis déposés par les « vrais » clients sur Internet. On peut donc classer/étoiler de mauvais établissements, ce qui se vérifie facilement.
Du coup, les voyageurs européens interviewés régulièrement par Coach Omnium ne sont plus que 16 % (8 % des seniors) à se fier aux étoiles pour choisir un hôtel où séjourner. Les avis et commentaires en ligne, les prix et les photos les remplacent avantageusement pour se faire une idée. Pari perdu pour l’administration et les syndicats hôteliers.
18) – L’IMPOSSIBILITÉ DE SE FÉDÉRER ET DE TRAVAILLER ENSEMBLE
Être crédible au-devant des pouvoirs publics, c’est parler d’une seule voix. Et, si possible, avec compétence. L’image d’une profession passe également par là. Or, pour ce qui est de la représentation du secteur de l’hôtellerie, avec une syndicalisation patronale très faible (moins d’un quart des professionnels de l’hôtellerie-restauration est syndiqué et pas toujours par conviction), on est loin d’une harmonisation de la communication, tant par le nombre de voix d’organisations qui s’expriment (et rarement de la même manière), que par la qualité de ce qui est dit et des sujets traités.
Comme déjà évoqué plus haut, la tendance par les représentants de la profession reste de jeter sur la place publique des sujets qui devraient rester en famille. Il n’est pas bon de faire connaître à la clientèle effective ou potentielle les affres du métier. Cela ne l’intéresse aucunement. Pourtant on croit bon de médiatiser en pensant que cela fera plier les pouvoir publics auprès de qui on cherche à obtenir des avantages ou des facilités. Le plus grave est que les arguments pour toucher les politiques sont souvent d’une grande naïveté et ne tiennent le plus souvent pas la route (voir l’affaire de la taxe de séjour en Ile-de-France, plus haut).
Il y a là, en regardant depuis des années la communication des organisations professionnelles de l’hôtellerie, une approche amateuriste, corporatiste et à l’ancienne, qui tourne le dos aux consommateurs. A titre de comparaison, l’hôtellerie de plein air, qui a réussi son parcours depuis ces quinze dernières années au moins, est dans une approche très différente et bien plus professionnelle, qui lui réussit.
A l’échelle plus locale, on sait qu’il est compliqué de faire travailler les hôteliers ensemble, mais aussi avec les autres acteurs touristiques. Chacun voit son voisin comme un ennemi, dont on croit qui lui prendra tôt ou tard des clients. Ce n’est pas en faisant disparaître tout concurrent ou para-concurrent — y compris Airbnb (NDLR) — que les hôteliers auront des taux d’occupation plus élevés et une activité plus florissante.
A tous ces défauts bien ancrés, il s’en suit au mieux le risque de la publication d’avis en ligne / photos négatifs par les clients déçus, au pire un rejet de l’hôtellerie. Pour l’instant, les voyageurs ont encore besoin des hôtels pour leurs déplacements en courts séjours. Mais, est-ce que cela va réellement durer ?
Que ce soit vis-à-vis du grand public, des clients d’hôtels, mais aussi des institutionnels, des banques, des gouvernements successifs, comme des jeunes qui cherchent un métier où s’épanouir, la bonne ou la mauvaise image d’un secteur économique, comme c’est le cas pour l’hôtellerie-restauration, agissent sur ses performances, jusqu’à financières, et son attractivité.
La communication et la gestion de l’image d’une branche sont certes un art difficile. Mais, il faudrait commencer par tenter de bien faire dans ce domaine-là. Il en va du succès commercial. Car, la clientèle n’aime que ce qui ressemble à une belle histoire.
Mark Watkins