L’HÔTELLERIE, AUTREFOIS BERCEAU DE BEAUCOUP D’INNOVATIONS
On ne le sait pas forcément mais l’hôtellerie a longtemps été à l’origine ou le terrain de jeux de beaucoup d’innovations en termes de confort et d’équipement à la personne. Si elle l’est objectivement moins aujourd’hui — bien que bon nombre de porteurs de projets s’en défendent —, des créatifs cherchent à y revenir… avec plus ou moins de réussite.
LA DICTATURE DE L’OFFRE SUR LA DEMANDE
L’hôtellerie a beaucoup plus changé durant ces cinq dernières décennies que depuis ses origines. Il y a deux siècles et encore après, les voyageurs se contentaient tant bien que mal de ce qui leur était offert comme confort et comme services hôteliers et d’auberges. Ils étaient le plus souvent trop heureux de trouver un gîte et un couvert lors de leurs déplacements laborieux, pour aller se plaindre de ce qu’on leur offrait comme prestation.
Pas de Guide Michelin où écrire et encore moins de sites de commentaires en ligne, comme à présent ! Le bouche-à-oreille était la règle pour connaître les bonnes et les mauvaises adresses.
L’évolution de l’hôtellerie est venue à l’origine par les innovateurs qui se trouvaient parmi les gens du métier, lesquels cherchaient constamment des solutions. C’était d’ailleurs davantage pour un travail plus performant et plus facile à produire que pour plaire à la clientèle. Le consumérisme (la défense du consommateur) tel qu’on le connaît n’existait pas. Et tout allait bien ainsi.
VISER “THE RIGHT PLACE TO BE”
À la fin du 19e siècle, les investisseurs — souvent de riches grands industriels — pour qui un (ou des) hôtel(s), surtout de luxe, était généralement leur « danseuse », rivalisaient en ingéniosité pour que leur établissement — dans lequel ils dépensaient sans compter, comme cela peut encore être le cas maintenant — soit le plus moderne, le plus attractif, le plus étonnant et le plus avant-gardiste possibles. Voire le plus extravagant.
L’objectif d’image poursuivi par ces propriétaires passionnés ou mégalo fut que leur hôtel soit l’endroit où il fallait être — the right place to be — et que son prestige et sa modernité le représentent comme LA bonne adresse de la ville. On assistait ainsi à une surenchère de créativité et d’inventivité à chaque ouverture d’hôtel. Il leur fallait le dernier cri en matière de machines, d’accessoires, de mobilier et de stylisme.
Les inventeurs de toutes sortes étaient les bienvenus et étaient reçus avec intérêt par les propriétaires hôteliers.
Nous appellerions cela aujourd’hui, le marketing de l’offre. La clientèle découvrant les améliorations et les heureuses initiatives des uns et des autres, put en apprécier les effets, et se mit à les réclamer au fil du temps lors de ses voyages ici et là.
LES PRÉMICES DU CONFORT
L’hôtellerie a commencé réellement à faire des progrès importants dans le confort à partir de la fin du 18e siècle. Mais, l’antichambre de l’hôtel moderne se situe surtout à partir de la fin du siècle suivant. C’est encore une fois dans le haut de gamme que les bonnes choses ont débuté, comme toujours et comme dans tous les secteurs d’activité.
Jusque-là, pour les voyageurs, il y avait surtout des auberges et des relais de poste, où l’on prenait ses repas en commun avec l’aubergiste et sa famille. L’abreuvoir servait à laver le linge, les commodités n’existaient pas, le souper se résumait généralement à un plat unique.
Il était courant que l’on partageât sa chambre (dont la porte fermait rarement à clef) avec d’autres voyageurs. Cette promiscuité conduisait généralement à interdire l’accès des auberges aux femmes non accompagnées. Les établissements où l’on servait des repas n’étaient aussi que rarement des lieux fréquentables pour la gent féminine.
Il faut se tourner vers l’Amérique du Nord pour voir se bouleverser l’hôtellerie, où de grandes nouveautés virent le jour. Le City Hotel de New-York, en 1794, proposait le premier des logements privés, une salle de bal et de banquets. Pour élargir sa clientèle et créer en permanence l’événement local, le Chittenden à Columbus, construit en 1895, fut le premier hôtel à être conçu pour l’accueil de conventions et de réunions de nature professionnelle (ce qu’on appelle aujourd’hui les MICE), avec d’immenses salles de réceptions adaptées.
En 1828, le River Hotel dans le Mississippi s’agencera avec un restaurant, des chambres pour deux personnes (avec bassine d’eau) et un grand jardin d’hiver. On attendra encore 1889, où le Victoria Hotel de Kansas City se verra agrémenter de suites équipées de salles de bains, suivi bien plus tard en 1910 avec le même confort par le fameux Goring Hotel à Londres. Ainsi, en 1915, le propriétaire du Statler de Boston décida que chaque chambre — et non plus uniquement les suites — sera dotée d’une baignoire.
UN FESTIVAL DE NOUVEAUTÉS
Toujours à Boston, destination semble-t-il précurseur, le Park Plaza installa en 1927 pour la première fois un poste de radio dans chaque logement. Cet appareil était extrêmement populaire parmi les Américains (mais, ce n’est qu’en 1933 que les deux tiers des Américains posséderont un poste de radio à la maison). La radio devenait de plus en plus la source principale de nouvelles, de divertissement et de diffusion de musique, semblable à ce que la télévision, puis Internet, seront pour les générations bien postérieures.
L’hôtel del Coronado à San Diego sera le premier à créer, en décembre 1904, un arbre de Noël éclairé par des guirlandes électriques, ce qui stupéfia les invités de la soirée cérémoniale, quand auparavant on utilisait bien sûr des bougies. Le très connu Waldorf Astoria de New-York lança le premier en 1931 un room-service disponible 24H/24. Pour le minibar dans la chambre, on put en utiliser les premiers au Hilton de Hong-Kong au début des années 1960.
En 1950, l’Adolphus Hotel de Dallas sera précurseur à proposer la climatisation pour ses chambres. Enfin — et la liste pourrait ainsi s’allonger considérablement — l’idée de fournir systématiquement des dosettes de shampoing et de savon, ce que l’on appelle maintenant les produits d’accueil, semble avoir été adoptée en initiateur par l’hôtel Four Seasons Park Lane de Londres en 1970. C’est en 1956, qu’un motel de l’Illinois mis en place le premier lit vibrant et massant que lui avait proposé un inventeur de la région.
D’ailleurs, le concept de « Motel » tire son origine du Motel Inn de San Luis Obispo, aux Etats-Unis, construit en 1925. Sa conception, inchangée depuis, permit aux automobilistes de conduire leur voiture jusqu’à la porte de leur chambre et de l’y garer ; on choisit donc le terme « motor hotel », raccourci rapidement par la contraction « motel ».
Le premier spa d’hôtel, comme on l’appellerait aujourd’hui, vit sans doute le jour en 1862 au Grand Hôtel de Paris : salles de bains, salle d’hydrothérapie, bains turcs, salons de massage et manucure y étaient disponibles à la clientèle.
LES HÔTELS EUROPÉENS SOIGNAIENT SURTOUT LEUR DÉCOR
Les hôtels européens prirent les devants de la créativité par rapport aux hôtels américains à partir des années 1920. Mais sur le vieux continent, l’innovation vint moins d’un développement des équipements que des décors. Il faut dire également qu’au 19e siècle et au début du 20e, on ne savait pas présenter un ouvrage d’art et bien sûr une ambiance décorative sans un travail esthétique soigné par des arabesques, des moulures, des ornements sculptés, des lambris, des stucs et des tableaux.
Les artistes et artisans avaient leurs entrées royales dans les hôtels. On est loin des décors épurés et minimalistes d’aujourd’hui. A chaque époque sa personnalité… L’idée nouvelle que l’on se faisait de l’hôtellerie était celle de reproduire des petits palais destinés à des voyageurs fortunés et bien éduqués.
Du coup, les « palaces » — palais — était nés, tout comme leurs versions plus accessibles en moins luxueux. Les modes se gravèrent dans les architectures et les décors des hôtels : néo-gothisme, belle époque, art nouveau, etc.
LES DÉBUTS DU CONFORT TECHNOLOGIQUE
Malgré les désirs d’apparat, l’évolution technologique entra dans l’hôtellerie, parfois en précurseur. Beaucoup de grands hôtels à la fin du 19e siècle furent même les laboratoires de nombreuses inventions pratiques, comme un des premiers télégraphes, des systèmes d’ascenseurs ou encore des appareils à cirer les chaussures…
En France, les premiers télex furent expérimentés au Bristol de Paris dans les années 1930. Dans l’entre-deux-guerres, le George V de Paris se montrait lui aussi à la pointe du progrès. Le « repas-disque » y était proposé. C’était un enregistreur placé sous la table des clients qui désiraient emporter avec eux le compte rendu de leur déjeuner d’affaires ou de réunion.
DEUX OFFRES : LE LUXE ET LES AUTRES
Jusque dans les années 1950, il faudra constamment séparer les hôtels de luxe, objets de beaucoup d’innovations et de créativité dans les équipements et de soin dans l’offre, des autres hôtels, où le confort restait modeste, voire très rudimentaire.
Pour autant, jusqu’à la fin des années 1960, l’hôtellerie se trouvait plutôt bien appréciée par le public. D’ailleurs ce fut contre toute attente car les hôtels tels qu’ils existaient à cette époque nous apparaissent bien misérables, vieillots et « limites », comparés à ce qu’on trouve maintenant dans la norme. Y compris dans les gammes économiques.
Cette bonne appréciation de l’hôtellerie par la clientèle peut se comprendre par plusieurs raisons. En dehors de certains privilégiés et des hôtels de quartier ou pensions qui logeaient au mois, on allait peu à l’hôtel. Les grandes migrations des week-ends et le nombre impressionnant de travailleurs itinérants que l’on connaît aujourd’hui, n’avaient pas cours. Séjourner à l’hôtel était donc souvent un événement, voire une aventure excitante. Aujourd’hui, on parle à tout vent « d’expérience »… expression mal choisie, devenue même ridicule.
Les hôtels européens avaient aussi la réputation de plutôt mieux servir la clientèle qu’ailleurs. Leur déficience était plutôt dans le confort matériel. Les établissements américains avaient au contraire une mauvaise réputation dans l’accueil réservé à leurs clients.
Outre le service, les hôtels offraient fréquemment un équipement et un standing pauvres, mais qui étaient somme toute, supérieurs à ce que les clients possédaient chez eux.
Ainsi, il faut se souvenir qu’au début des années 1960, 80 % de la population française n’avait ni douche, ni baignoire dans son logement. C’est 5 % aujourd’hui. Jouir d’une douche commune au fond d’un couloir d’hôtel était à l’époque un petit luxe. Les hôtels français proposaient aussi le fameux bidet, que le monde entier nous enviait !
Entre temps, avec le formidable progrès dans l’équipement des ménages, la situation a été inversée. Les hôtels souffrent à présent d’un retard de modernité, si on la compare avec l’habitat, l’automobile et même l’immobilier de bureaux.
L’AVÈNEMENT DES CHAÎNES CHANGEA L’HÔTELLERIE
Malgré cette satisfaction relative de la clientèle, de laquelle il faut retirer toutefois les voyageurs d’affaires internationaux qui exigeaient de meilleures prestations, la fin des années 1960 allait commencer à sonner le glas pour l’hôtellerie à la “grand-papa”, à la prestation minimaliste et inconfortable et à l’accueil bon enfant.
Il y aura désormais l’avant-chaînes et l’après-chaînes. Cette révélation va changer profondément la conscience du public vis-à-vis de l’offre hôtelière. L’hôtel moderne et fonctionnel va être plébiscité. On rejettera, on refusera, on dénoncera de plus en plus le manque de propreté et l’inadaptation de l’ancienne hôtellerie, après avoir goûté à la nouvelle.
Le succès des chaînes hôtelières auprès du public fut réel à partir des années 1970 en France et dès les années 1960 en Amérique du Nord. Elles ont réussi parce qu’elles ont fait ce que les hôteliers indépendants avaient tardé à faire ou n’avaient pas cru devoir proposer : mettre à jour l’équipement, se commercialiser, s’adapter au client, innover, rendre l’hôtel facile et accessible.
En France, la part de marché des réseaux intégrés est aujourd’hui de près de 50 %, ce qui signifie qu’une nuitée hôtelière sur deux se déroule dans les hôtels de chaînes, parce qu’elles sont plus grandes que les hôtels indépendants (82 chambres par hôtel en moyenne contre 26). Même si cette part tend à reculer avec l’impact démentiel des OTAs (agences de voyages en ligne sur Internet).
C’est considérable, alors que seulement 18 % des hôtels français sont sous contrôle des chaînes intégrées, soit près de 3.200 adresses. Cela reste toutefois peu, comparé aux États-Unis où les choses sont inversées avec plus de 7 hôtels sur 10 qui sont affiliés à un réseau intégré.
LE REVERS DE LA MÉDAILLE
Aujourd’hui, le public habitué à voyager et accoutumé à l’hôtellerie, trouve que les hôtels sont devenus trop standardisés, trop uniformisés, sans surprise, se ressemblant tous les uns les autres… même si une modernisation de l’offre s’est plus ou moins faite, mais encore une fois avec retard par rapport à l’habitat.
Bref, les hôtels sont jugés de moins en moins surprenants parce que bénéficiant de moins d’innovation que par le passé quand séjourner à l’hôtel était une fête pour la plupart des gens. Aujourd’hui, les voyageurs sont blasés.
Les concepteurs hôteliers de maintenant cherchent à distinguer leurs créations par le décor « lifestyle » ou plus ou moins « comme chez soi » à l’exemple des boutique-hôtels, par l’entrée massive de la technologie (TV multi-chaînes et à services en ligne, Wifi, domotique, biométrie, applications sur smartphone, etc.), par la re-gadgétisation surprenante via l’offre d’accessoires que les gens n’ont pas chez eux, mais aussi — surtout dans le haut de gamme — par le retour de l’art et de la culture dans les hôtels.
Parallèlement, il existe aussi la tentation d’employer moins de personnel et de demander aux clients de faire plus de travail dans ce dessein (bornes de check-in et check-out, applis avec code d’accès direct à la chambre, self-service…), avec le risque que l’hôtel devienne moins un lieu de vie alors que cela fait en principe partie de sa spécificité.
Il est clair que si l’on assiste davantage à la recherche de l’innovation en hôtellerie, on y parvient de nouveau. Mais avec le risque du tout et du n’importe quoi juste pour faire parler de soi et marquer médiatiquement les esprits, en s’éloignant des fondamentaux d’un hôtel de qualité. Il faut se méfier des « casseurs de codes » de l’hôtellerie… En somme avec ce que recherche la clientèle : de l’authentique, un équipement pratique et moins de tape-à-l’œil, qui lasse.
Mark Watkins