TU BENCHMARK, ILS BENCHMARK… OU LA TENDANCE À (SOUVENT) CONFONDRE LES CAROTTES AVEC LES NAVETS
Le benchmark — à savoir se comparer aux autres — est décidément dans l’ère du temps, d’autant plus quand Internet contribue grandement et (très) facilement à son développement. Il n’y en a plus que pour lui, y compris à mauvais escient.
LE BENCHMARK OU BENCHMARKING, C’EST QUOI ?
Dans un contexte marketing, c’est une démarche d’observation et d’analyse des pratiques utilisées et des performances atteintes par d’autres entreprises ou marques.
Ces entreprises observées et analysées peuvent appartenir à la concurrence directe ou indirecte, ou être des acteurs pouvant avoir des modes de fonctionnement réutilisables dans d’autres secteurs. Il ne s’agit bien sûr pas d’espionnage industriel puisque l’information recueillie est accessible par tous.
En somme, le benchmark est ni plus ni moins qu’une « étude comparative ». Piocher les bonnes idées des autres, s’en inspirer et les ajuster à son offre ou à son organisation commerciale, quoi de mieux ?
Dans le tourisme, on peut ainsi suivre ce que font les autres professionnels et étudier leurs nouveautés, innovations et propositions commerciales. C’est ce qu’appliquent à tour de bras les offices de tourisme, les hôteliers, les chaînes, les restaurateurs, les exploitants de campings, les organisateurs de voyages, les collectivités…
JOLI MIROIR, DIS-MOI SI JE SUIS LA PLUS BELLE…
On assiste ainsi à des recopiages tous azimuts du meilleur, mais aussi — forcément — du pire. Parce que c’est nouveau, on pense souvent — à tort — que c’est bien : lire notre article sur la concurrence.
Il y a là aussi le risque de reproduire une triste uniformisation. Tout devient pareil. Les meilleurs exemples se retrouvent dans la restauration où les contenus des cartes finissent par se ressembler, sans originalité, à force que les chefs se recopient les uns les autres. Mais aussi dans l’hôtellerie, avec le design lifestyle — qui était supposé être original — que l’on finit par voir partout, lequel a remplacé les décors standardisés et froids qu’avaient imposé les chaînes.
Pour bien faire, quand la comparaison avec son propre secteur est décevante, on peut également aller voir ailleurs, dans d’autres domaines, et y rechercher de l’inspiration. Du côté des sites de ventes en ligne, de la grande distribution, de l’automobile, etc., il y a là un tas d’idées en marketing à récupérer pour progresser. À l’envi : des façons de présenter des promotions ou des tarifs spéciaux, des mises en valeur de services, des vidéos et photos étonnantes, des messages commerciaux originaux, des manières de personnaliser les prestations, etc.
C’est ainsi que la pratique des prix variables chez les transporteurs (on se souvient des prix bleu-blanc-rouge de la SNCF dans les années 1980) a abouti au yield management que l’on retrouve banalement aujourd’hui, sous une forme ou une autre, et pas toujours de la meilleure façon. D’ailleurs, la clientèle qui voyage s’en est accommodée, plus ou moins. Mais, il est vrai qu’on ne lui a pas laissé le choix.
COPIER CE QUE LES AUTRES ONT CONÇU
Partant du postulat qu’il est souvent plus simple d’adapter ce qui existe déjà que de chercher à créer du nouveau, beaucoup de professionnels, copieurs en puissance, visent ainsi juste. Pourquoi pas. Bref, c’est laisser les autres faire le travail de créativité, puis jouer au petit plagiaire. Cela reste de bonne guerre.
Le benchmark par sa facilité, un peu simpliste, peut cependant également avoir des effets pervers.
Quand par exemple les hôteliers se basent sur les prix de leurs concurrents locaux, généralement les leaders locaux, pour établir les leurs. On est alors dans l’erreur quand cela se résume à ça. C’est le chien qui tourne infiniment en rond pour essayer de se mordre la queue. Car là encore, deux hôtels ne sont pas comparables, ne serait-ce qu’en termes d’offre. Se baser uniquement sur la concurrence et ne pas savoir comment se comportent les clients face à la tarification, c’est aller trop vite en besogne.
Sachant que les concurrents n’en savent pas davantage et se trompent souvent eux aussi. Même (et surtout ?) les leaders. De quoi se planter et passer à côté de ventes. Car le prix est devenu le premier critère pour choisir un hébergement touristique par plus de 7 voyageurs sur 10.
QUAND LES COLLECTIVITES TERRITORIALES SE METTENT AU BENCHMARKING
Au-delà des professionnels du secteur privé, les collectivités territoriales (CRT, CDT…) qui s’intéressent au tourisme s’y sont mises également au benchmarking. Quand il s’agit d’étudier une destination touristique comme une ville ou une grande agglomération, voire plus large encore, elles demandent systématiquement à présent une comparaison avec d’autres villes ou destinations.
Attendent-elles de se rassurer et qu’on leur attribue des bons points sur leur stratégie marketing, leur image, les moyens qu’elles se donnent pour promouvoir le tourisme ? Sans doute.
S’il s’agit de collecter les bonnes solutions ici et là en matière de promotion touristique, pourquoi pas ! Mais aller plus loin dans les parallèles est du domaine de l’absurde. On ne peut pas comparer des choux, des navets et des carottes. Le succès (ou l’insuccès) du tourisme dans des destinations se base sur une quantité énorme de paramètres, souvent hétérogènes.
Chaque destination a ses propres caractéristiques généralement sans pareil, qui portent, par exemple, sur :
- la localisation,
- le climat,
- les moyens d’accès (par route/autoroute, fer, air, maritime le cas échéant),
- l’offre, la personnalité, le dynamisme et les attraits touristiques, culturelles, économiques, sociaux-démographiques, hôteliers, etc.,
- la typologie de la fréquentation touristique,
- l’image et la communication,
- l’histoire et le patrimoine urbain,
- voire, sur l’ancrage politique.
De fait, si le nombre d’habitants est le seul élément vraiment comparable mais réducteur sur le plan sociologique, comment peut-on faire un parallèle sur des agglomérations aussi différentes dans leur contenu telles que Strasbourg, Lille, Dijon, Rennes, Bordeaux, Marseille, Rouen ou Nice ? Ou encore Lyon, avec Bruxelles, Francfort, Berlin, Vienne ou Milan ? Ou même La Rochelle, St-Malo et les Sables d’Olonne toutes situées en bord de mer ? A l’échelle de leur attractivité et de leurs caractéristiques économico-touristiques tout est fatalement dissemblable.
Certaines villes reçoivent beaucoup de touristes étrangers, d’autres pas. Certaines sont gâtées par un tourisme d’affaires frénétique grâce à un tissu économique riche ; d’autres, n’ont juste qu’un tourisme de loisirs. C’est pourtant ce que demandent les collectivités : « réaliser un benchmark avec d’autres destinations comparables » (sic), alors qu’aucune ne l’est, comparable.
Il est extrêmement difficile de convaincre les responsables et les élus de ces collectivités que le benchmarking, dans leur cas, n’a pas de sens et qu’il ne peut être limité qu’à des recueils de bonnes idées des uns et des autres. Guère plus.
« Comparaison n’est pas raison », disait Raymond Queneau.
Mark Watkins