Vers la fin de la standardisation hôtelière
Il se passe une petite révolution désormais apparente dans les CHAÎNES HÔTELIÈRES INTÉGRÉES : la fin annoncée de la standardisation. Et cela pouvait sembler jusqu’ici paradoxal pour elles.
Oui, ce sont ces hôtels au sein d’un même réseau conçus selon le même modèle uniforme, moulé et répétitif. Aux chambres — voire aux hôtels — parfaitement identiques dans leur décoration et leur équipement. Ils respectent un cahier des charges quasi industriel où chaque objet décoratif doit être autorisé. Tous pareils, que l’on soit à Limoges, à Nice, à Strasbourg ou à Sarcelles.
Le produit ainsi identifiable parmi d’autres, s’accroche à sa marque comme un bernique se ventouse sur un rocher. C’était la signature des chaînes hôtelières en opposition avec les indépendants, aux établissements fatalement tous différents. La standardisation était si ancrée que les marques finirent par se ressembler toutes. Quant aux clients, ils ne savaient plus où ils étaient en se réveillant le matin.
Il faut dire que cette normalisation convenait à beaucoup, surtout à la clientèle d’affaires, qui voyage le plus. Dans les études de Coach Omnium, les voyageurs dans les années 1990 et début 2000 encore étaient autour de 65 % à apprécier ce formatage standardisé. Certains se souviennent même de ce gros client de Novotel demandant à la chaîne de lui fournir les plans et descriptifs de la chambre-type afin qu’il la reproduise chez lui !
Aujourd’hui, ils ne sont plus que 1/4 des clients d’hôtels français et européens à être dans ce cas. Et encore, on veut des garanties de confort, mais au style variable.
« L’ennui naquit un jour de l’uniformité » (Houdar)
En réalité, si on la présente comme une nouvelle orientation, la déstandardisation des chaînes n’est pas nouvelle. Elle a commencé dès les années 1980 après, par exemple, la reprise de la chaîne Mercure par le futur Accor (en 1975), laquelle avait démarré avec une trentaine d’hôtels tous semblables. Pour attirer des franchisés et pouvoir faire grossir rapidement le réseau en reprenant des hôtels existants, il a bien fallu accepter l’idée de réunir des établissements dissemblables. Mais avec des services standardisés, sauf pour la restauration.
Mercure a d’ailleurs longtemps fait un gros complexe face à son alter ego Novotel ou Ibis (en gamme économique) jouant, eux, à fond l’uniformisation des produits et considérant que c’était un méga point fort. Aujourd’hui, c’est largement l’inverse. Kyriad a été dans la même approche « différenciante » et bien d’autres, se partageant le marché avec les réseaux très normalisés.
Une logique avant tout industrielle
Alors que s’est-il passé ? D’une part, les standards que l’on imposait aux clients se justifiaient par la possibilité d’investir à plus faibles coûts. On pouvait commander des moquettes au kilomètre, du mobilier à la tonne et des décors à volonté en obtenant des prix canon de la part des fournisseurs. Les coûts de construction étaient également optimisés en définissant, une fois pour toutes, le concept et en le dupliquant à l’envi. Jusqu’à la fabrication en usine d’hôtels super-économiques (par exemple, Formule 1, dès 1985) que l’on montait ensuite en quelques semaines sur sites. On ne put mieux rationaliser.
Avec l’avènement dès les années 1980 des nouvelles technologies de fabrication et de l’informatique dans la création des fournitures, cette contrainte n’était plus de mise. Il devenait possible de tout personnaliser, en petites quantités, quasiment aux mêmes prix de revient que ce que permettait auparavant la standardisation.
Enfin, les créations d’hôtels se faisant plus rares avec la densification du parc hôtelier, le seul moyen de se développer, encore une fois, était d’assouplir les normes physiques pour attirer des franchisés ou reprendre des petits réseaux.
A présent, une soixantaine d’enseignes sur 92 présentes en France ont une démarche plus ou moins poussée de « désuniformisation » de leur offre physique (hôtels et parfois chambres différents les uns des autres). Le reste — 1/3 — demeure encore plutôt stéréotypé comme à l’origine des réseaux intégrés, surtout dans les catégories premier prix et économiques.
Ibis, le chantre de la normalisation, s’y met lui aussi : « Nous allons passer de la standardisation à la flexibilité. Nous allons proposer à tous les propriétaires d’Ibis qui rénovent leurs hôtels des propositions de design différents », explique la chaîne. La déstandardisation a cependant ses limites, au cas où trop de liberté ferait du mal au réseau. Chez Ibis — on ne se refait pas —, les établissements déjà existants peuvent entreprendre dès à présent leur rénovation en utilisant l’un des trois nouveaux concepts disponibles.
Henry Ford ne disait-il pas, déjà au 19e siècle : « Vous pourrez choisir votre Ford T de la couleur que vous souhaitez, du moment qu’elle soit noire ».
Fini le même pour tous
Le problème de la normalisation est qu’une solution standard n’est jamais optimale pour tous ! Tout le monde ne peut pas aimer et se satisfaire d’un même décor, d’un même agencement de chambres et de salles de bains, ni des mêmes équipements. Penser le produit universel pour les clients est risqué. Croire que ce qu’on choisit dans ce registre va plaire au plus grand nombre devient aléatoire… Quand les gens voyagent de plus en plus et peuvent comparer, y compris sur Internet, cela ne fonctionne plus.
Par ailleurs, le principe même d’imposer des normes est contraire à l’esprit nouveau qui consiste à vouloir laisser plus de liberté au personnel des hôtels, afin qu’il puisse davantage s’exprimer et rendre les hôtels plus humains. Personnalisation et normes sont opposables.
Et quand les groupes hôteliers ne peuvent raisonnablement défaire les concepts de leurs chaînes historiques, quitte à ce que ces offres ne plaisent plus autant que par le passé, ils créent de nouvelles enseignes plus softs, au contenu stylisé, avec davantage de liberté dans le produit, voire dans les services. Ainsi, voit-on arriver Citizen M, Curio by Hilton, Tribute Portfolio (Starwood), Garden Inn (Hilton), Aloft (Starwood), etc.
AccorHotels n’est pas en reste, après MGallery, Mercure, etc. très souples, le groupe lancera cet été une nouvelle enseigne, Greet. Non standardisée, cette « marque maison » s’adressera en priorité aux hôteliers indépendants, ambitionne Accor.
On pense enfin aux clients
Pourquoi les chaînes ont-elles enfin compris que rompre — plus ou moins — avec la normalisation était devenu nécessaire pour se (re)positionner sur les différents marchés ? En premier, c’est le seul moyen, encore une fois, d’attirer des investisseurs et surtout des franchisés parmi les indépendants. Comme le développement en filiales est de plus en plus abandonné — questions de stratégie, de lenteur de croissance et de coûts —, cette élasticité est la seule option possible.
Mais, il faut prendre en compte également l’avis des clients d’hôtels, petits et gros voyageurs. Ils sont globalement près de 70 % à ne pas/plus aimer ça (l’uniformité), selon ce qu’ils nous disent chez Coach Omnium au travers de nos enquêtes régulières. Les sites de commentaires en ligne et les OTAs permettent à présent de s’assurer de ce que propose chaque hôtel. Plus besoin des chaînes pour apporter des promesses et pour servir du « sans-surprise ».
On aime à présent la diversité. À la condition d’avoir des garanties de confort, de qualité et de sincérité commerciale. Il faut dire aussi que Airbnb a fini par donner le ton, en proposant au final des offres personnalisées, qui cassent les codes habituels de l’hôtellerie, loin du répétitif auquel les chaînes nous avaient habitués. Et cela plaît au public. Il n’y a encore que dans l’hôtellerie économique que les voyageurs acceptent le normatif, en contrepartie de tarifs bas.
L’avenir de l’hôtellerie passe donc par plus d’inventivité et de liberté dans les produits et donc par une déstandardisation forcenée. L’idéal sera, plus tard, de pouvoir personnaliser soi-même la chambre dans laquelle on sera logé et qu’elle soit à géométrie variable. Encore faut-il que les clients acceptent de prendre du temps supplémentaire pour cela. Eux qui déjà se plaignent que les procédures de réservations sont trop longues à force d’être noyés par les choix à faire.
Mark Watkins