Mieux à l’hôtel que chez soi, vraiment ?
Les hôtels proposent moins bien que ce que leurs clients ont à la maison !
Quand les chaînes hôtelières sont arrivées en France à partir de la fin des années 1960, elles ont pu s’installer facilement car l’hôtellerie se composait de petits établissements mal équipés, où la salle de bains et le WC ne se trouvait le plus souvent qu’en bouts de couloirs d’étages. Leur avènement a fait bouger, car la clientèle a découvert qu’il existait tout d’un coup mieux que chez les indépendants et voulaient que cela se généralise.
Puis, une vingtaine d’années après, un nouvel appauvrissement de l’hôtellerie a pu s’observer car les gens se sont rapidement équipés chez eux et ont amélioré grandement leur confort intérieur. Dans les années 1960, seulement 6 % des logements en France avaient une salle de bains privée. Dans les années 1980, cela s’est inversé avec 94 %.
RETARD DE MODERNITÉ
En 2006, j’ai fondé une association : « le Comité pour la Modernisation de l’Hôtellerie et du Tourisme Français » parce que, justement, les voyageurs que Coach Omnium interrogeait régulièrement trouvaient que l’hôtellerie française était en retard de modernité par rapport à l’habitat, mais aussi par rapport à l’immobilier de bureaux et à l’automobile. Il fallait faire quelque chose pour sensibiliser les professionnels à ce constat et les aider à se moderniser par l’offre et les méthodes. D’où la vocation du Comité.
Ce vieillissement et cette fatigue des produits hôteliers se retrouvaient également dans les chaînes hôtelières dont on se lassait furieusement et qui n’avaient plus vraiment leurs capacités d’innovation comme par le passé. Sans compter les rénovations à la traîne ou en souffrance depuis que les fonds d’investissements s’étaient invités dans les groupes hôteliers.
Les hôteliers croyant bien faire, se contentaient de proposer des « fonctions », c’est-à-dire le basique de ce que les clients voulaient trouver, mais à minima. Une télévision oui, mais de petite dimension sur potence. Un lit, bien sûr, mais rudimentaire, et de 1,4 m de large pour deux personnes, avec un matelas inconfortable et minimaliste. On ne parlait pas encore du Wifi. Le confort « comme à la maison » était celui d’une ou deux décennies en arrière.
Avec la technologie, Internet, des équipements nouveaux que proposent les fabricants, une remodernisation des hôtels s’est faite. Mais, modestement. Ce sont les avis en ligne qui à présent poussent à mieux faire. Quand c’est décevant, on le dit et on le fait savoir. Et les ventes dépendent d’une bonne e-réputation.
HABITAT MODERNISÉ
Mais, le compte n’est peut-être pas encore bon, quand on sait que les classes moyennes et supérieures, majoritaires à fréquenter l’hôtellerie, ont continué à améliorer leur habitat. Cela s’est même bigrement amplifié depuis le premier confinement de 2020. De quoi agrandir l’écart entre l’offre hôtelière et le reste.
Du côté des hôteliers, à présent, on met avant tout le paquet dans le design hôtelier. Mais, il s’agit souvent de la recherche de décors tape-à-l’œil dans les halls et dans les chambres, de choix de mobilier qui se veut original (mais qui finit par être partout le même) et d’appellations ronflantes comme le lifestyle, le boutique-hôtel ou encore l’auberge de jeunesse nouvelle génération.
On propose des « expériences » (expression américaine mal traduite et mise à toutes les sauces) comme si rien n’était au point et que les clients étaient des cobayes.
Passons sur le fait que ces relookings sont souvent le fruit d’une démarche intellectualisée issue de réflexions de théoriciens dans des bureaux. Ils ne s’appuient évidemment pas sur les vraies attentes des clients, lesquels ne sont que rarement sondés. Bref, on ne sait pas grand chose, concrètement, sur la demande. Mais, on pense savoir. Par intuition, sans doute.
Le pari et les objectifs idéalisés restent de pouvoir proposer mieux ou au moins aussi bien que ce que les gens ont chez eux ou utilisent dans leur quotidien.
GROS DÉCALAGE AVEC LA DEMANDE ET LES ATTENTES
Mais, on peut encore trouver dans l’hôtellerie un (gros) décalage entre l’offre et la demande. Le résultat ? Des actes non aboutis.
• Quand Booking et ses concurrents, sans parler d’Airbnb, ont des solutions de réservations que les voyageurs adorent, on trouve encore des sites de réservations d’hôtels et de chaînes qui ne leur arrivent pas à la cheville. Sans parler des nombreux sites d’hôtels qui n’ont même pas de moteur intégré permettant de réserver en ligne et qui invitent à envoyer un mail ou à téléphoner.
• Wifi : que dire quand ça rame, que l’accès à Internet est chaotique à l’hôtel, alors que le haut débit, voire le très haut-débit se banalisent partout, y compris et surtout dans les entreprises ? Le Wifi n’est plus un luxe quand on va à l’hôtel avec son smartphone, son ordinateur portable et/ou sa tablette, ce qui est désormais la norme pour le commun des voyageurs. 95 % des Français ont un téléphone mobile, dont 77 % un smartphone. 85 % des Français se connectent sur Internet.
• Prises électriques : avec tous ces appareils nomades que l’on trimballe avec soi, on trouve encore beaucoup d’hôtels qui n’ont pas assez de prises électriques pour les brancher dans les chambres, dont près des têtes de lit. On se met encore souvent à quatre pattes pour trouver où connecter son chargeur…
• Enceintes musicales : quand on sait que les clients transportent leur musique, écoutent la radio ou regardent des programmes sur leur appareil nomade (ordinateur portable, tablette, smartphone), pourquoi ne trouvent-on que rarement des enceintes dans les chambres sur lesquelles les brancher via bluetooth ? Ce marché des enceintes portables a explosé de 65 % en 6 ans. A noter que les bornes connectées (Alexa, Google Home, etc.) sont boudées par les voyageurs, qui s’en méfient à l’hôtel, d’autant qu’ils ont leur propre assistant sur leur smartphone.
• TV en chambre : proposer un téléviseur grand écran (enfin !) dans les chambres est bien. Mais, si c’est pour ne trouver que de pauvres chaînes de la TNT, misère ! Quand la majorité des clients d’hôtels sont abonnés aux bouquets satellite ou Internet, avec une multitude d’offres télévisuelles. Il y avait en 2020, 46 millions de personnes abonnées à un bouquet de chaînes payantes, soit 79,5 % des Français « équipés TV ». On trouve à peu près les mêmes proportions chez les Européens, selon les pays.
• Salles de bains : des petites douches avec des rideaux qui collent à la peau, une baignoire riquiqui, un éclairage blafard ou insuffisant, un miroir qui s’embrume, de l’eau chaude qui met des heures à arriver… voilà de quoi agacer ceux qui ont investi énormément dans leur confort sanitaire chez eux. Ils trouvent alors moins bien à l’hôtel et doivent s’y adapter à contrecœur. L’équipement / rééquipement des ménages dans leur salle de bains a bondi de 35 % en 5 ans, avec en vedette les douches à l’italienne, spacieuses, éclairées et richement équipées. 90 % des clients d’hôtels préfèrent les douches plutôt que les baignoires.
• Literie : les ventes de lits XXL, d’au moins 1,6 m de large x 2 m de long voient une augmentation de près de 25 % depuis 5 ans. Hormis la taille augmentée, il existe une lacune en literie de « qualité », confortable et technologique dans les hôtels. À part dans le haut de gamme/luxe, l’hôtellerie propose souvent moins bien à ses clients que ce qu’ils ont dans leur chambre à coucher.
• Moquette : c’est dépassé. Le public n’aime plus trop ça dans les chambres d’hôtels parce qu’on sait que ce n’est jamais régulièrement et sérieusement nettoyé (vu le temps qu’une femme de chambre dispose pour refaire une chambre), et aussi à cause des acariens et autres sources d’allergies. Chez les voyageurs qui fréquentent l’hôtellerie, les parquets, les nouveaux linos et les carrelages remplacent massivement les moquettes. Ce changement dans ce sens se fait dans 66 % des cas lors des rénovations ou transformations de chambres chez les particuliers.
• Penderies : même les armoires à vêtements se mettent à la page chez les Français. On les éclaire, on les aménage pour être pratiques, voire pour être esthétiquement agréables. Dans les hôtels, c’est souvent le parent pauvre : cintres antivol (détestables), coin sombre, sans portes, poussiéreux…
• Domotique : les maisons aux équipements connectés, que l’on commande à distance, se généralisent au moins chez les CSP supérieures. Mais, la domotique n’est pas encore (ou si peu) au rendez-vous dans les hôtels, y compris dans le haut de gamme. Dans les chambres d’hôtels, fermer les volets ou rideaux par télécommande, de même que régler la température ambiante et l’éclairage, et bien d’autres choses encore restent de la science-fiction.
Bref, à quoi sert d’envoyer des tonnes d’e-mailings, de newsletters et de questionnaires en ligne après séjours (qui finissent par agacer les clients, tant cela ressemble à du harcèlement commercial), si c’est pour ne pas s’occuper du minimum dans les basiques hôteliers : (re)séduire les clients d’hôtels par une offre qui étonne par rapport à ce qu’ils ont déjà chez eux, au-delà du simple design qui ne produit plus du tout l’effet « waouh ! » escompté.
Mark Watkins
Sources Crédoc, Insee, Fédération Française de l’ameublement, Fédération française de l’équipement de la maison.