La concurrence en hôtellerie abordée en 10 questions
S’il est un sujet qui excite les professionnels, c’est bien celui de la concurrence et des concurrents. « Un bon concurrent est un concurrent mort ou qui a oublié de naître », pourrait-on résumer si l’on écoute sa conscience.
Pour le commun des commerçants et prestataires, le concurrent est celui qui leur prend leurs clients, qui est la cause de leurs difficultés financières et qui devient le centre de leurs préoccupations. Vous êtes le gentil et lui, le concurrent, est le méchant. Cela peut en devenir obsessionnel. Au lieu de se préoccuper de ses clients. Bref, un concurrent devient celui qui se place — sans qu’on l’ait invité — entre vous et vos acheteurs ; cela agace forcément.
Mais, c’est en réalité plus compliqué que cela et la bonne piste est sans doute de se dire qu’il faut faire avec et que si les concurrents existent, autant s’en inspirer dans ce qu’ils font de mieux et d’apprendre dans ce qu’ils font de pire.
1 • À QUI APPARTIENT LA CLIENTÈLE ?
Hormis les notions juridiques de fonds de commerce, la clientèle n’appartient à personne. Elle appartient au plus à elle même. C’est elle qui décide de ce qu’elle va acheter selon ses propres critères, chez qui elle va consommer et qui définira quel budget elle va affecter à ses achats. Certes, les vendeurs peuvent chercher à l’influencer. Mais, le client est seul maître à bord.
D’où l’expression à corriger « le client est roi », qui doit plutôt s’apparenter à « le client décide seul de ce qu’il veut faire », qu’à « le client fait tout ce qu’il veut et l’on doit se soumettre à ses exigences ».
Quoi qu’il en soit, personne ne peut prétendre détenir une clientèle et en corollaire aucun commerçant ne peut dire sans se tromper ou sans mentir qu’on lui vole ses clients, même si l’action agressive de concurrents peut donner cette impression. Les acheteurs vont et viennent de plus en plus. Ils ne sont plus « mono-fidèles » à une marque ou à un hôtel (ou autre commerce), ils sont désormais « multi-fidèles ». Fidèles toujours, car quand on aime on y revient. Mais, désormais abonnés à plusieurs prestataires, histoire de varier les plaisirs et selon les envies.
2 • QUELLES SONT LES FORMES DE CONCURRENCE ?
On en dénombre globalement trois — voir tableau ci-après. La concurrence « normale » qui, en hôtellerie, sont les autres hôtels de la destination. Même inscrits dans des gammes différentes car il n’y a plus vraiment de compartimentage avec des politiques tarifaires qui varient du simple au double, voire au triple. Les concurrents « directs » pourraient être ceux qui ressemblent le plus à son hôtel : même catégorie, même positionnement, offre et clientèle comparables,…
On trouve ensuite la para-concurrence. C’est par rapport à l’hôtellerie les autres formes d’hébergement touristique, plus ou moins proches : résidences de tourisme, hôtellerie de plein air avec mobil-homes, gîtes, locatif, etc. Comme l’hôtellerie, ils proposent une solution de logement à la nuit ou pour plus longtemps, à des personnes qui n’y élisent pas domicile. Ils sont différents par les services qu’ils proposent (ou ne proposent pas), les prix, les localisations, les superficies de logements, les équipements et même l’ambiance.
Vient enfin la pseudo-concurrence, à laquelle personne ne pense jamais. Pour l’hôtellerie, c’est par exemple l’avion ou le TGV qui permettent aux voyageurs de faire des aller-retour à la journée, sans devoir passer par la case hôtel. Cela supprime des nuitées. Pour les séminaires, cela peut être la visio-conférence ou « réunion virtuelle », qui évitent les déplacements et les locations de salles extérieures. C’est encore le téléphone, qui remplace le courrier ou le mail, ou même de se déplacer. C’est toute solution alternative, de nature très différente, qui supprime généralement avantageusement une autre solution, en permettant de faire des économies en temps et/ou en argent.
3 • EN QUOI LA CONCURRENCE EST-ELLE PROFITABLE À LA CLIENTÈLE ?
Le Code de la concurrence favorise le phénomène de rivalités entre commerçants et prestataires de services, mais avec cependant des règles de bonne conduite, car les consommateurs en tirent évidemment un bénéfice direct et indirect. Le premier est l’éradication des situations de monopole, avec à la clef la baisse des prix, les promotions et ensuite l’amélioration des services et des produits, pour attirer et fidéliser la clientèle.
Internet a apporté une dimension supplémentaire totalement inattendue à cette notion de concurrence en mettant à la portée de tout le monde des informations non publicitaires sur les biens et les services, dont les avis de consommateurs, quand auparavant il n’y avait que le bouche-à-oreille à l’impact limité. Cela a contribué à renforcer la connaissance du marché par le public et a affûté son sens critique, et du même coup ses exigences et attentes.
4 • QUEL EST LE SPECTRE DE LA CONCURRENCE EN HÔTELLERIE ?
Sur le plan commercial hôtelier, les concurrents et les para-concurrents sont généralement situés dans la destination. Car il ne faut pas oublier que l’on se rend dans un hébergement uniquement parce qu’on a quelque chose à faire là où on se déplace : pour affaires et/ou loisirs.
En revanche, sur le plan du produit, les concurrents peuvent être géographiquement très loin et partout. Ainsi, les clients comparent l’hôtellerie au gré de leurs voyages. Ce qu’ils ont vu et aiment ici ou là, ils souhaiteraient le retrouver ailleurs. Cela sert d’étalonnage pour juger les prestations. Autrement dit, par exemple, les grands hôtels parisiens ont pour concurrents dans les « concepts/produits/services » non seulement les autres établissements dans leur ville, mais aussi les grands hôtels de New-York, Londres, Berlin, Singapour ou encore de Doha. Ces établissements dans le monde influencent les goûts des clients et leur objectivité, voire leur subjectivité.
5 • LA CONCURRENCE EST-ELLE PROFITABLE AUX HÔTELIERS ?
Il faut en premier se souvenir que vos concurrents ne sont pas à considérer comme vos ennemis. Chacun cherche à vivre et à capter des clients. C’est la loi du genre. Dans la nature, les plantes sont naturellement toutes concurrentes entre elles, pour capter l’eau et la lumière dont elles ont besoin. Certaines parviennent ainsi à étouffer les plus fragiles simplement en élargissant leur envergure.
Bien sûr, on peut comprendre que l’on ne développera pas une sympathie sans limite envers le voisin qui commet une concurrence délibérément déloyale, qui est agressif, qui diffame.
Mais, croire qu’après avoir éliminé ses concurrents, tout irait mieux est bien sûr une pure vue idéalisée de l’esprit. En réalité, les clients ont d’une part besoin de pouvoir choisir et de comparer. On aime la diversité, la variété, l’originalité, le choix. En théorie, chacun doit pouvoir trouver sa voie sans devoir nuire à l’autre.
D’autre part, la concurrence interdit de s’endormir, de se laisser aller. Elle oblige fatalement à se remettre en question, à innover, à se dynamiser commercialement. La concurrence donne des idées, parfois bonnes. On n’agit pas forcément pour être le meilleur, mais pour trouver sa clientèle, tout simplement. Partout où de nouveaux hôtels se créent, ceux qui étaient déjà là se rénovent, se modernisent,… ou disparaissent s’ils se montrent incapables de s’adapter. Un marché actif, avec une concurrence vivante, attire la clientèle. Cela se vérifie partout.
6 • QUEST-CE QUE LA CONCURRENCE DÉLOYALE EN HÔTELLERIE ?
C’est celle où un ou plusieurs professionnels ou hébergeurs marchands ne respectent pas les règles communément définies et trichent sur la réglementation. Celui qui casse ses prix au-delà de toute logique pour attirer le plus de clients possible, celui qui travaille avec du personnel non déclaré donc moins cher ou qui emploie une armée de stagiaires qui remplacent des salariés, celui qui néglige l’hygiène et la sécurité des personnes, celui qui donne une piteuse image de l’hôtellerie par une offre de médiocre qualité, celui qui est outrageusement subventionné, celui qui ne déclare pas ses revenus et ne paie pas les impôts qu’il devrait,… commet une concurrence déloyale à l’égard de ceux qui respectent toutes les contraintes imposées par la loi et la réglementation.
En revanche, pour lutter contre la para-concurrence pour laquelle on pensera immédiatement à Airbnb, les hôteliers aimeraient que ces opérateurs aient les mêmes contraintes légales qu’eux. Sauf qu’un appartement loué à des touristes n’est pas un hôtel. C’est comme si on demandait que les vélos soient dotés des mêmes équipements de sécurité que les voitures. Il vaudrait mieux que l’hôtellerie obtienne un allégement de ses contraintes réglementaires plutôt que de chercher à imposer les mêmes aux autres, ce qui est un non-sens. Comme si les personnes handicapées et en chaise roulante exigeaient que les valides se déplacent comme elles.
Plus largement, il ne faut pas se tromper de concurrent et se focaliser sur des ceux dont on croit qu’ils aspirent anormalement des clients à son activité. Notre dernière Etude sur les clients d’hôtels et Airbnb démontre clairement que ce site ne prend pas ou que peu de touristes aux hôtels. Il s’agit d’une clientèle additionnelle qui va peu ou pas en hôtellerie.
D’ailleurs les taux d’occupation de l’hôtellerie française sont les mêmes année après année (excepté bien sûr durant la période du Covid) depuis une douzaine d’année, malgré le développement forcené de l’offre Airbnb pour qui la France est la 2e destination — voir notre Panorama de l’hôtellerie française.
Au-delà de la concurrence déloyale illégale, il existe une concurrence déloyale légale mais inégale. On pensera aux conditions réglementaires facilitées de financement (montages en défiscalisation) et aux différences de conditions d’exercice (pas de veilleur de nuit, pas de service de petits déjeuners obligatoire,…) auxquelles les résidences de tourisme ont droit et pas l’hôtellerie, alors qu’elles peuvent fonctionner exactement comme des hôtels.
7 • COPIER LES CONCURRENTS, EST-CE UNE BONNE IDÉE ?
Ce que font les concurrents est souvent une source d’inspiration. Souvent dans le meilleur, mais aussi dans le pire (ce qu’on oublie). On apprend autant de leurs succès que de leurs échecs. Évidemment, ce n’est pas si transparent, car les opérateurs qui échouent dans des innovations ne vont généralement pas le crier sur les toits. On est fier de parler de lancements de nouveaux services mais on enterrera l’information qui suivra si le succès n’a pas été au rendez-vous.
Une erreur consiste également à se fier aveuglément aux grands groupes hôteliers et au leaders locaux, et à vouloir les copier. On pense alors à tort que s’ils ont réussi, c’est parce que tout ce qu’ils font est bien. Ce serait trop beau. Car, chez eux aussi il y a de très nombreux échecs et des ratés parfois magistraux : des concepts irréalistes, des Bérézina d’opérations commerciales, des décors hôteliers qui ne plaisent pas aux clients, des erreurs de conception, des programmes de fidélité usines à gaz, des politiques sociales qui deviennent des Waterloo, des sites Internet repoussants, une notoriété à pleurer,… Il faut par conséquent savoir douter et observer avec discernement.
8 • COMMENT SE CONCURRENCER LOYALEMENT ?
Outre le respect des règles de concurrence (notamment pas d’entente anti-concurrentielle), établies dans le Code de la concurrence, mais aussi par les usages et le savoir-être, chacun doit trouver les caractéristiques qui lui permettront de capter des clients et de les fidéliser. Il n’est pas besoin de monter sur la tête des autres pour être le plus visible. Proposer une prestation sérieuse et honnête, professionnelle, attractive avec des prix justes même s’ils sont variables, sans oublier une commercialisation nécessairement active, suffisent à trouver sa place au soleil. Mais, cela demande des efforts de tout instant.
S’il faut respecter ses concurrents, il faut aussi savoir les tenir en respect ! Il ne sera sans doute pas inutile de rappeler au concurrent déloyal les limites dans ses pratiques « border line ».
9 • PEUT-ON S’ENTENDRE AVEC SES CONCURRENTS ?
Si la loi interdit les ententes illicites sur les prix, on peut évidemment s’entendre et même être amis avec ses concurrents, ce qui n’empêche pas le chacun pour soi commercialement. Pour autant, les clubs hôteliers où se retrouvent les professionnels en toute convivialité sont une bonne chose dans les villes où ils opèrent. Cela permet de se comprendre, de partager des solutions et d’engager un gentlemen’s agreement de bonne entente.
Encore une fois, un concurrent peut agacer par son efficacité et sa performance commerciales, mais il ne doit pas être considéré pour autant comme un adversaire à abattre, mais plutôt comme un exemple à suivre ou une source d’inspiration pour être meilleur.
10 • COMMENT PARLER DES CONCURRENTS À SA CLIENTÈLE ?
Le mieux est encore de ne pas en parler. Et si les clients les évoquent d’eux-mêmes, il ne faut jamais dire du mal des concurrents. Car si les gens adorent généralement les ragots, critiquer ses concurrents est un signe de faiblesse et peut être interprété comme de la jalousie malvenue. En tout cas, cela ne grandit pas son auteur et n’apportera aucun avantage concurrentiel.
Mark Watkins