Et si les OTAs finissaient par connaître, aussi, une moindre croissance ? C’est, a priori, le consensus de nombreux investisseurs (de haut niveau) compte tenu des changements majeurs dans les méthodes de réservations de voyages ou d’expériences …
Certes, les OTAs continueront d’être des mastodontes de la distribution de nuitées et d’expériences mais leur folle croissance devrait, peu à peu, ralentir sous les coups de plusieurs facteurs dont on peut d’ores et déjà constater la réalité. C’est le constat de nombreux analystes financiers retracé par le “S&P IQ Capital Estimates”, qui “constitue l’estimation mondiale la plus complète basée sur des projections, des modèles, des analyses et des recherches”.
Selon ces spécialistes, les réservations réalisées par les OTAs, qui affichaient une croissance de plus de 40 % en 2011, n’auraient augmenté que de 4 % en 2019 pour rester “collée” sur ce niveau, ou légèrement plus (soit 10%) au cours de la prochaine décennie.
Il faut dire que les OTAs (du moins, les plus connus) ont accompli un chemin absolument impressionnant depuis vingt ans:
- en 2003: Expedia enregistrait 10 Milliars $ de réservations contre 1 Milliards $ pour Booking,
- en 2023: Expedia pesait 104 Milliards $ et Booking, 151 Milliards $ soit, à eux deux, 24 fois leur revenus de 2003 !
Si Expedia et Booking ont connu, respectivement, 15% et 30% de croissance par an, la moyenne du secteur se situait tout de même à 19%; signe que les OTAs (de toutes tailles) ont réussi à s’imposer sur le marché des réservations là où les hôtels et les producteurs de loisirs se debattaient encore avec leur propre digitalisation. Mais il semble que les choses soient en train de changer, d’où ce ralentissement annoncé de la croissance future des OTAs …
Des cartes de crédit pour les voyages
Comme nous le démontrons souvent dans les articles de notre blog, les OTAs rivalisent d’imagination pour lancer, en permanence, de nouvelles initiatives, de nouvelles fonctionnalités, de nouvelles modalités de fonctionnement (soit avec le client final, en direct, soit avec les partenaires que sont les hébergeurs et les prestataires de loisirs). Cette frénésie d’innovations est, certes, dictée par les changements permanents qu’impose “le digital”, mais ils doivent aussi être regardés comme des initiatives lancées pour contrer les phénomènes qui menacent leur croissance …
Prenons l’un des paramètres analysés par les financiers du S&P IQ Capital Estimates: selon eux, les programmes de fidélisation lancés par les chaînes hotelières (à l’instar de ce qui se fait dans l’aérien) sont en train de porter leurs fruits … Les voyageurs adhèrent massivement aux programmes de fidélité et, de facto, privilégient la réservation à une chaîne en particulier, avant de se rabattre sur un hôtel concurrent ou indépendant si l’offre tarifaire de la chaîne à laquelle ils sont affiliés ne leur convient pas.
Booking, avec son programme Genius ou, plus récemment, Expedia avec le lancement de son programme de fidélité commun à toutes ses plateformes (Expedia, hotels.com, HomeAway, Abritel, etc …) expriment bien là une “réponse du berger à la bergère”, face à l’efficacité croissante des programmes de fidélité lancés par les grandes chaînes hôtelières.
Mais ce n’est pas tout: aux US, par exemple, les analystes financiers considèrent que les programmes de fidélité des banques (qui commencent à proposer des réservations d’hôtels, d’expériences et de voyages à leurs membres) peuvent devenir de redoutables concurrents aux OTAs et donc, venir à la fois rogner leurs revenus et leurs marges.
La Chase Bank, par exemple, compte pas moins de 150 Millions de fidèles à son programme-maison tandis que le groupe Expedia n’en compterait que 168 Millions.
Et l’on ne peut pas contredire les analystes quand ils jugent cette concurrence potentiellement féroce pour les OTAs. Un autre phénomène, en effet, crée beaucoup de curiosité chez les financiers puisqu’il est démontré que 36% des 18-24 ans et 32% des 25-34 ans ne réservent plus leur hôtel ou leur billet d’avion que depuis leur “néo-carte-bancaire” de type Revolut, par exemple.
La raison ? Les néobanques comme Revolut ou N26 s’assied littéralement sur les commissions de vente et reversent leur équivalent sur le compte de leurs clients sous la forme de cashback … Pas étonnant que les jeunes voyageurs (Gen-Z et Millenials) délaissent les OTAs pour leur propre appli bancaire !
Google en embuscade
On l’a vu ces jours derniers avec la dénonciation que les OTAs ont faite de Google auprès de l’UE, l’accusant de privilégier l’affichage de ses propres services de voyages et d’expériences au détriment des plateformes, la montée en puissance de Google dans l’univers du voyage, à la fois, auprès des voyageurs et des professionnels, a de quoi saper pas mal de fondations solides de leur business.
Et pour cause, non seulement Google est irréversiblement incontournable dans la recherche de voyages et de loisirs (tout commence par une recherche sur mobile pour 90% des voyageurs), mais ses nouveaux services à destination des professionnels du tourisme font un carton monumental: Google Hotel Direct, Google Rentals (pour les locations de vacances) ou encore Google Things To Do (pour les activités et les loisirs) sont des services qui attirent de plus en plus de professionnels et, pas seulement, en raison de leur gratuité totale.
En effet, depuis 2021, l’évolution de la page Google My Business et l’introduction des réservations directes sans commission a permis à de nombreux hébergeurs de générer jusqu’à 22% de leurs réservations totales sans passer par les OTAs et sans rien débourser … Et Google ne compte pas s’arrêter là, même si l’on peut imaginer que, tôt ou tard, le leader mondial trouvera des moyens inédits de gagner de l’argent sur ces réservations.
Les réservations “en direct” progressent
Autre phénomène, et pas des moindres: les sites des professionnels du tourisme (du moins, ceux qui ont pris le sujet de leur propre digitalisation au sérieux) commencent à produire des résultats à hauteur de leurs espérances. C’est-à-dire, suffisamment pour ne plus dépendre majoritairement des OTAs.
Là aussi, le consensus des analyses financiers du S&P IQ Capital Estimates est formel: aux US, les grandes compagnies hôtelières (dominantes, dans la structure du marché) auraient gagné 5 points de réservations directes et les OTAs y accuseraient même un repli de plus ou moins 1 point de leur côté; preuve que les lignes bougent durablement du côté de la vente directe.
Idem en Europe, où les opérateurs indépendants dominent par rapport aux opérateurs affiliés à une chaîne, la tendance est à la hausse même si l’on part de très loin: si, aux US, la part directe est de 52%, en Europe, elle n’est encore que de 28% en moyenne (source: Euromonitor); un score qui démontre bien le retard colossal pris, depuis des années, en matière de digitalisation.
Ne rien lâcher
Ces indicateurs financiers peuvent donner matière à voir l’avenir sous un ciel plus radieux où les OTAs pourraient donc atteindre un plafond de verre en matière de domination du marché. Mais, en réalité, même si cette situation se confirmait, elle ne profiterait pas à tous les opérateurs d’un coup d’un seul et dans l’uniformité.
Comme l’on dit que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, ces tendances où les professionnels “reprennent la main” ne concernent que ceux qui sont, effectivement, engagés dans une démarche déterminée de digitalisation. Et ce, sans tarder … car, les distributeurs, conscients de ce péril, multiplient les initiatives (à juste titre, de leur point de vue) pour verrouiller leur marché et leurs ventes.
Ces grands groupes aux performances respectables ont engrangé de solides revenus et d’importants bénéfices qu’ils investissent dans l’innovation ou l’acquisition d’acteurs stratégiques sur des marchés émergents (comme les activités ou les fintechs). Cependant, les OTAs devront désormais composer avec une croissance manifestement plus soft et il leur faudra aussi un peu plus surveiller leurs marges en raison des évolutions majeures que Google (et les lois) imposeront aux coûts des publicités. Pendant ce temps, les acteurs indépendants ne devront rien lâcher de leurs efforts pour maintenir une part de ventes directes la plus importante possible dans leur mix de distribution.