Découvrez notre interview exclusive de Lucrèce Lacchio, Cheffe du restaurant d’application de l’EHL, Le Berceau des Sens, distingué d’une étoile Michelin et 16 points Gault et Millau, où elle partage sa passion et sa vision unique de la gastronomie.
Quelle importance accordez-vous à la transmission de votre savoir-faire ?
La transmission du savoir-faire est le sel de ma présence au Berceau des Sens de l’EHL. Cette volonté d’enseigner, de partager, découle de mon parcours, de mes expériences accumulées et de cette passion pour la gastronomie. En décidant de rejoindre l’EHL, je ne cherchais pas seulement un nouveau défi professionnel ; je recherchais un lieu où mon envie de transmettre pourrait s’épanouir pleinement, où chaque jour serait une opportunité de faire découvrir aux autres cette passion.
Travailler dans une école hôtelière change radicalement la perspective de notre métier. Ici, chaque action, chaque geste devient une leçon potentiellement précieuse pour quelqu’un. Ce n’est pas seulement enseigner des techniques ou des recettes, mais c’est aussi transmettre une philosophie, une manière d’être en cuisine avec les autres.
Chaque plat que nous préparons, chaque détail sur l’assiette est le fruit de cette transmission continue, de cet apprentissage partagé.
Je me suis toujours efforcée d’être une présence constante et rassurante pour mon équipe et mes étudiants. Depuis mon arrivée, je n’ai jamais manqué un seul service. Je me suis engagée et pleinement dédiée à leur progression, à leur réussite. Le fait d’être là et de participer activement à chaque service, c’est une manière pour moi de veiller à ce que l’enseignement soit toujours personnalisé, adapté à chacun.
La patience, la pédagogie, l’ouverture d’esprit sont des qualités indispensables. Il faut être capable de mettre de côté ses propres émotions pour se concentrer sur les besoins des autres, pour endosser cette “cape de super héros” et aider chacun à surmonter ses difficultés.
Mais plus que cela, prendre soin de mon équipe et de mes étudiants est fondamental ; c’est dans cet échange et ce partage que se trouve la vraie richesse de notre métier. J’encourage sans cesse mon équipe à sortir de sa zone de confort, à expérimenter, à oser se tromper pour mieux apprendre. L’erreur est partie intégrante du processus d’apprentissage, et je tiens à ce qu’ils comprennent qu’un plat, une technique peut toujours être améliorée, réinventée.
Je rappelle souvent à mes étudiants que la perfection n’est pas de ce monde, mais qu’il est possible de s’en approcher, un plat à la fois.
Quel est votre retour d’expérience, 7 mois après avoir pris la tête du Berceau des Sens ?
Ces sept mois à la tête du Berceau des Sens ont été une belle aventure pour moi, à bien des niveaux. Si je devais le résumer en trois mots, je dirais : épanouissement, progression et partage. C’est un voyage qui m’a appris l’importance capitale de prendre soin de moi, tant sur le plan physique qu’émotionnel. J’ai découvert qu’un chef ne peut offrir le meilleur de soi-même sans un équilibre personnel solide. Cela m’a amenée à intégrer des moments pour moi, pour faire du sport, ce qui était impensable avant. Cet équilibre est bénéfique.
Sur le plan professionnel, l’expérience accumulée ces derniers mois est indescriptible. J’ai grandi, mûri, et oui, peut-être même pris un “coup de vieux”, comme en témoignent quelques cheveux blancs !
Mais plus sérieusement, chaque jour a été une occasion d’apprendre quelque chose de nouveau, que ce soit sur moi, sur mon équipe, ou sur l’art culinaire lui-même. Le défi de diriger une équipe, de maintenir l’excellence au sein d’un restaurant étoilé tout en transmettant ma passion, vous pousse constamment à évoluer, à repenser vos méthodes, à être créatif et à l’écoute.
Le partage de mon métier et de ma passion avec mon équipe et les étudiants de l’EHL est l’une des parties les plus gratifiantes de cette aventure. Voir la lumière dans les yeux d’un étudiant lorsqu’il réussit un geste technique pour la première fois. Sentir la fierté dans le sourire d’un membre de l’équipe après un service réussi, sont des moments qui me remplissent de joie. Nous sommes certes dans le cadre effervescent et exigeant de l’EHL, mais le Berceau des Sens est un lieu où nous pouvons tous nous exprimer, expérimenter, et surtout, apprendre les uns des autres. Cette atmosphère unique, ce sentiment d’appartenance, a contribué à mon bien-être et à celui de mon équipe. C’est un environnement propice non seulement à l’apprentissage technique, mais aussi à la croissance personnelle.
En somme, ces sept mois ont été une période intense, mais incroyablement enrichissante. Je suis convaincue que nous n’arrêtons jamais d’apprendre, notamment dans un domaine aussi vivant que la gastronomie.
Vos impressions sur le fait d’être la seule femme à la tête d’une brigade masculine ?
Diriger une brigade en tant que femme dans un univers culinaire traditionnellement masculin est une expérience qui forge le caractère et affine la sensibilité. Il est important de préciser d’emblée que l’idée d’une brigade entièrement masculine ne reflète pas la réalité de notre équipe au Berceau des Sens. En effet, la présence féminine est bien ancrée, tant en salle qu’en cuisine avec ma collègue Julia Berthet.
Cette diversité enrichit notre travail et démontre que le talent et la passion transcendent les genres.
Le fait d’être femme dans ce rôle ne change fondamentalement rien à la dynamique de travail. Ce qui importe, c’est la compétence, l’engagement, et la capacité à inspirer et à mener l’équipe vers l’excellence. Néanmoins, je reconnais volontiers que mon arrivée en tant que cheffe a initialement suscité une certaine surprise au sein de l’équipe, principalement parce que très peu avaient eu l’occasion de travailler sous la direction d’une femme auparavant. Cette transition a nécessité un ajustement de part et d’autre, mais la volonté commune de réussir et de partager une vision pour Le Berceau des Sens a rapidement estompé toute réserve.
Ma relation avec Julia, en particulier, est emblématique de cette dynamique. Ayant travaillé ensemble à Genève avant de nous retrouver à l’EHL, notre complicité préexistante m’a permis d’être plus exigeante avec elle. Non pas par sévérité gratuite, mais parce que je connais son potentiel et que je souhaite la voir s’épanouir et relever des défis. C’est une approche que j’adopte dans le but de la pousser à se surpasser, sachant qu’elle possède les capacités pour briller dans cet environnement compétitif.
L’intégration d’une cheffe à la tête de la brigade a, sans doute, adouci certains aspects de notre cuisine. Cela ne signifie pas un manque de rigueur ou de sérieux, mais plutôt une ouverture vers plus d’équilibre dans nos créations et nos interactions. J’encourage la participation active de tous les membres de l’équipe dans le processus créatif, valorisant leurs idées et leurs retours. Cette approche collaborative a permis de développer une dynamique de travail où la curiosité et l’innovation sont à l’honneur. Lorsque nous testons de nouveaux plats ou techniques, le dialogue est essentiel. Si une majorité de l’équipe exprime des réserves, je prends cela très au sérieux.
C’est cette écoute et ce respect mutuel qui nous permettent d’avancer ensemble et de proposer une expérience culinaire qui nous ressemble, authentique et de qualité.
En définitive, mon expérience en tant que cheffe d’une brigade diversifiée m’a enseigné que le leadership ne connaît pas de genre. Ce qui compte, c’est la capacité à unir les gens autour d’une passion commune, à diriger avec intégrité, et à cultiver un environnement dans lequel chacun est valorisé et inspiré à donner le meilleur de soi-même.
La cuisine, après tout, est un art qui se nourrit de la richesse de nos différences, et je suis fière de contribuer à cette belle tradition au Berceau des Sens.