Le 22 avril 2024 s’est tenue la première conférence “Gastronomie & Santé”, organisée par l’Institut Nutrition R&D de l’EHL Hospitality Business School. Cet événement a réuni des professionnels de la cuisine et des spécialistes du milieu médical pour explorer des approches innovantes alliant alimentation et santé. Les participants ont pu découvrir comment répondre aux enjeux nutritionnels de demain à travers des conférences, tables rondes et ateliers pratiques. Voici les enseignements clés à retenir.
Retour sur la keynote “Les défis de l’alimentation en milieu hospitaliers : les approches pour l’alimentation comme complément essentiel de soin”, par Silvia Hanhart, Cheffe du service hôtelier du CHUV. |
Silvia Hanhart a exposé les stratégies et les défis rencontrés par les équipes dans la gestion de l’alimentation hospitalière. Elle a souligné la nécessité d’un service alimentaire flexible et précis en milieu hospitalier. En offrant un soin nutritionnel optimal, le CHUV s’efforce de fournir une alimentation équilibrée, adaptée aux besoins individuels des patients tout en maintenant des normes élevées en matière de qualité et de goût.
Lignes directrices et statistiques
Le CHUV prépare annuellement plus de deux millions de repas, répartis entre les menus standards, les régimes spéciaux, et les repas pour les collaborateurs. Les chiffres montrent un défi croissant dans la gestion de ces régimes, nécessitant un travail étroit avec les diététiciens et autres professionnels de la nutrition pour répondre aux besoins spécifiques des patients.
Prévenir la dénutrition et adapter les repas
L’un des principaux défis est de prévenir la dénutrition chez les patients tout en adaptant les repas aux pathologies. Le CHUV propose trois repas par jour et des collations supplémentaires pour atteindre les apports caloriques recommandés, tout en s’assurant que chaque repas soit visuellement appétissant pour encourager les patients à manger.
Promotion des produits régionaux et fait maison
La cuisine du CHUV accorde une attention particulière aux produits régionaux et de saison. Le partenariat avec promotion Vaud et les analyses régulières de Beelong permettent d’assurer une évolution constante des pratiques d’achat. La cuisine interne maintient également un haut degré de fabrication maison, produisant des mets protéinés spécifiques et des charcuteries variées.
Collaboration interprofessionnelle
Les repas sont adaptés en collaboration étroite avec les diététiciens, tenant compte de l’âge, de la pathologie, et de la durée du séjour. Une commission mensuelle analyse les régimes alimentaires pour assurer que les menus répondent aux besoins spécifiques de chaque patient.
Assiettes particulières et référentiels
Le CHUV prépare des “assiettes particulières” pour les patients avec des allergies ou des besoins métaboliques spécifiques, chaque plat étant minutieusement préparé par un cuisinier diététique dédié. Des référentiels détaillés par régime alimentaire guident les cuisiniers dans la composition et la fréquence des ingrédients, assurant un suivi et une qualité constante.
Enjeux futurs dans la logistique alimentaire
Le service hôtelier du CHUV souhaite devenir plus proche des patients, en prenant les commandes directement au lit pour créer une expérience plus agréable. Le personnel d’étage pourrait aussi gérer les stocks alimentaires et servir les patients à leur demande, réduisant ainsi le gaspillage alimentaire.
Optimisation de la production et de la distribution
L’objectif est de transformer les processus de production et de distribution pour offrir des repas chauds et complets en continu, tout en limitant les déchets alimentaires et en préservant les vitamines et minéraux.
Retour sur la keynote “Manger ou ne pas manger, telle est la question : état des lieux de notre connaissance scientifique sur le lien entre alimentation et santé” par la Dre Dominique Truchot-Cardot, Médecin nutritionniste, Professeure HES ordinaire, Responsable du SILAB, La Source |
La Dre Dominique Truchot-Cardot a offert une perspective fascinante sur la nutrition en relation avec la santé, explorant ce qui tue, contraint, ou doit être privilégié dans notre alimentation. Selon elle, l’alimentation doit être vue comme la première médecine. En mettant l’accent sur le plaisir et la convivialité autour de la table, la nutrition devient un outil puissant pour améliorer la santé et le bien-être.
Ce qui nous affecte quand on mange
Les allergies alimentaires sont en augmentation, prévoyant d’atteindre 50 % de la population d’ici 2050. Les restrictions alimentaires médicales, souvent liées aux examens ou aux complications hospitalières, créent également des risques de dénutrition. De plus, les compléments alimentaires pris de manière anarchique et les toxi-infections alimentaires continuent d’affecter la population.
Les contraintes à la nutrition
- Moyens financiers : les personnes en situation de pauvreté sacrifient fréquemment les protéines, menant à la dénutrition ou à l’obésité.
- Orthorexies médiatiques : les tendances alimentaires promues par les réseaux sociaux, comme les régimes dissociés, peuvent créer des déséquilibres.
- Intolérances alimentaires : les intolérances au lactose et au gluten compliquent l’équilibre nutritionnel, car ces ingrédients se trouvent dans de nombreux produits.
- Injonctions religieuses : les jeûnes et restrictions liées aux croyances religieuses peuvent poser des risques pour certaines populations fragiles.
Ce qui est non négociable
- Jeûner durant un cancer : les études ne montrent aucun bénéfice à ce régime, qui peut au contraire aggraver la perte musculaire.
- Véganisme chez les femmes enceintes et les enfants : des déficits en iode peuvent provoquer des complications graves.
- Régimes restrictifs après 70 ans : les régimes excessifs peuvent augmenter le risque de dépendance chez les seniors.
- Absence de saveurs : les aliments moulinés ou mixés doivent être réservés aux patients qui en ont réellement besoin.
Ce qui doit être oublié
- Régimes d’éviction sans connaissances : éliminer des aliments sans raison peut créer des carences.
- Sucres rapides : leur surconsommation contribue à la “maladie du soda”.
- Aliments ultra-transformés : leur consommation est liée à une augmentation des risques de cancers.
- Lutte contre le gras : les graisses essentielles, comme les omégas 3, sont cruciales pour une bonne santé.
Ce qui doit être privilégié
- Vitamines et minéraux : vitamine D, iode, zinc et vitamine C.
- Alimentation ciblée aux âges de la vie : adapter l’alimentation aux différents stades de développement.
- Alimentation sportive et hospitalière : les efforts hospitaliers et sportifs soutiennent une meilleure récupération.
- Circuit court et bio : préparer les futures générations en minimisant les polluants.
- Activité physique : une activité adaptée soutient le système cardiovasculaire.
Éducation et futur
- Approche scientifique : chasser les fausses informations pour une meilleure compréhension.
- Éducation des enfants : l’introduction précoce à une alimentation saine est essentielle.
- Enseignement aux soignants : plus d’heures de formation en nutrition doivent être intégrées dans les cursus médicaux.
- Ciblage des campagnes : les promotions doivent être individualisées pour être efficaces.
- Personnalisation par l’IA : l’intelligence artificielle peut personnaliser et suivre les recommandations.
Retour sur la keynote “Liens entre alimentation et santé : notre microbiote. Un état des lieux de notre connaissance scientifique sur l’écosystème intestinal, son fonctionnement et son impact sur notre santé physique et mentale” par la Dre Katerina Galperine, Privat-Docent, MER, Cheffe de clinique au service des maladies infectieuses du CHUV |
La Dre Galperine a exposé un panorama de nos connaissances sur le microbiote intestinal, son rôle dans l’organisme, ses interactions avec notre santé, et les moyens de le moduler pour des bénéfices thérapeutiques.
Qu’est-ce que le microbiote intestinal ?
Le microbiote intestinal est un écosystème complexe constitué d’une variété de micro-organismes tels que bactéries, virus, et archées. Cet écosystème dynamique participe au métabolisme, à la défense immunitaire, et à la barrière intestinale, crucial pour absorber les nutriments tout en protégeant contre les pathogènes.
Variabilité et complexité du microbiote
Chaque individu possède un microbiote unique, variant en composition et en fonction. Les facteurs comme l’alimentation, les médicaments, l’exercice, et l’âge influencent cette composition. Les variations peuvent être observées même à court terme, illustrant la nature dynamique du microbiote.
Moduler le microbiote : mythe ou réalité ?
La Dre Galperine souligne que malgré des progrès importants, la définition d’un microbiote sain reste impossible. Les tests vendus pour analyser la composition du microbiote ne fournissent pas d’informations utiles. Cependant, des interventions ciblées peuvent moduler le microbiote pour des résultats thérapeutiques.
Transplantation de microbiote intestinal
La Dre Galperine dirige le projet de transplantation de microbiote intestinal au CHUV. Cette procédure implique le transfert de la flore digestive d’un donneur sain à un patient souffrant d’une pathologie liée au microbiote. Elle est particulièrement efficace pour traiter les infections récurrentes de clostridium difficile, avec un taux de réussite de 80 à 95 %.
Le rôle de l’alimentation
Les études montrent que les changements alimentaires peuvent influencer le microbiote. Par exemple, un régime riche en protéines et graisses animales peut rapidement perturber la composition microbienne. Toutefois, l’effet est réversible en revenant à une alimentation équilibrée.
Prébiotiques, probiotiques, et postbiotiques
Les prébiotiques (aliments stimulant le microbiote) et les probiotiques (micro-organismes bénéfiques) n’ont pas encore de preuves significatives de leur efficacité. Cependant, la recherche sur les probiotiques de deuxième génération est en cours. Leur succès repose sur leur intégration dans un mode de vie plus sain, comprenant alimentation équilibrée, exercice, et méditation.
Ce qu’il faut retenir des panels de discussion
Les deux panels ont exploré des thématiques essentielles. Le premier a discuté des liens entre nécessité et plaisir en analysant des cas pratiques dans le monde hospitalier, mettant en lumière comment équilibrer les deux. Le second a abordé les connexions entre gastronomie et santé, soulignant leur importance pour la santé publique. Comment conjuguer bon et sain ? Les débats ont couvert les enjeux économiques, nutritionnels et de sécurité alimentaire.
Les panélistes ont partagé des réflexions sur les défis de fournir une alimentation équilibrée dans les hôpitaux, tout en prenant en compte les régimes spécifiques. La Cheffe Lucrèce Lacchio, David Droz-Vincent et Siliva Hanart ont souligné l’importance de l’intégration de la gastronomie dans les soins, offrant des options végétariennes et véganes qui respectent les goûts individuels et les exigences médicales. Enfin, les experts ont souligné la nécessité de réformer la manière dont la société conçoit et consomme la nourriture. Une meilleure éducation, une réduction du sucre, et des initiatives publiques peuvent transformer la gastronomie pour une meilleure santé. Voici les idées à retenir:
Les enjeux de santé publique
Pr. Peter Kopp a souligné quatre axes majeurs :
- Quantités : les portions ont augmenté considérablement au fil des décennies, affectant nos habitudes alimentaires.
- Composition : l’ajout excessif de sucre mène à une dépendance dès l’enfance.
- Accès à une nutrition saine : les zones défavorisées souffrent d’un manque de choix.
- Stratification socio-économique : les quartiers pauvres sont exposés aux “food deserts” où seule la malbouffe est disponible.
Obésité et impacts sociaux
La Dre Lucie Favre a partagé des statistiques préoccupantes : 12 % des adultes en Suisse sont obèses, un chiffre en constante augmentation. Les obésités plus sévères entraînent d’autres pathologies comme le diabète et l’hypertension. Les populations vulnérables sont particulièrement touchées par ces maladies.
Adaptation de la gastronomie
Le Chef Patrick Ogheard a évoqué les tendances évolutives de la gastronomie. Les chefs utilisent moins de beurre et de crème qu’auparavant, tout en cherchant à répondre aux besoins des clients. Cependant, la gastronomie doit aussi être rentable. Les restaurants de haut niveau sont des laboratoires pour tester des approches nouvelles, tout en offrant une expérience client supérieure.
Importance de la prévention
La Dre Dominique Truchot-Cardot a souligné l’importance de cibler la prévention dès le plus jeune âge. Les générations actuelles grandissent souvent sans avoir vu leurs parents cuisiner, rendant difficile l’apprentissage d’une alimentation équilibrée.
Défis financiers et prévention
Influence des sensations alimentaires
La Dre Favre a insisté sur l’importance d’apprendre aux enfants à reconnaître la faim et la satiété. Les parents doivent éviter de forcer les enfants à finir leur assiette, et les encourager à identifier leurs sensations alimentaires.
Solutions et initiatives
Les panélistes ont recommandé plusieurs solutions :
- Réduction du sucre : rendre les aliments moins sucrés.
- Éducation nutritionnelle : apprendre aux enfants à cuisiner et reconnaître leurs besoins.
- Activité physique adaptée : les jeux interactifs comme Kinect peuvent stopper la prise de poids chez les enfants.
La conférence “Gastronomie & Santé” a offert une plateforme enrichissante pour les professionnels de la cuisine et du milieu médical, en explorant des approches novatrices alliant alimentation équilibrée et plaisir gustatif. Les discussions ont mis en lumière l’importance de la nutrition comme un complément essentiel aux soins, en abordant les défis économiques, nutritionnels et de sécurité alimentaire. Les participants ont pu découvrir des stratégies pour prévenir la dénutrition, promouvoir des produits régionaux, et intégrer la gastronomie dans les soins hospitaliers. En conclusion, cette conférence a souligné la nécessité d’une alimentation qui allie plaisir et bien-être, et qui puisse répondre aux enjeux de santé publique actuels et futurs.