HÔTELLERIE & ÉCOLOGIE : un mariage difficile
Au moment où tout le monde parle d’environnement et d’écoresponsabilité, l’hôtellerie semble bien à la traîne sur ce registre. On aurait pu penser que si écologie rime bien avec économies, l’affaire serait suivie d’effets et serait successful. Il ne semble pas en être question, au-delà des annonces et mesurettes souvent dérisoires, largement communiquées par certains professionnels ou chaînes hôtelières cherchant à se montrer irréprochables en matière de développement durable.
Il faut dire que la gestion parcimonieuse des déchets, dont les emballages, de l’eau et des énergies représente un coût et des efforts. Même chose pour l’isolation thermique et phonique (NDLR : le bruit est le premier motif de plaintes des clients d’hôtels). Tout cela se trouve être souvent compliqué à mettre en place par les professionnels. Surtout pour des hôtels qui ne sont dans leur majorité pas récents. Il en va de même dans le choix des matériaux qui équipent les hôtels, comme de leurs installations techniques, pas toujours bons pour la planète.
Quand les hôteliers se plaignent déjà d’avoir énormément de frais à assumer, on comprend « qu’être vert » n’est pas forcément dans leurs priorités. Un hôtel, c’est pourtant beaucoup de déchets, d’eau et d’énergie consommés. Encore davantage lorsqu’il y a un restaurant.
Mais, pour que cela évolue dans le bon sens, il n’est pas sûr que la pression vienne des consommateurs. En tout cas pas encore, études à l’appui.
DU CÔTÉ DES CLIENTS
Les clients d’hôtels — les Français comme les étrangers des pays occidentaux, de tous âges et tous milieux socio-professionnels — sont évidemment à présent très accoutumés à la préoccupation environnementale. Beaucoup l’appliquent complètement ou sporadiquement chez eux et/ou sur leur lieu de travail. Il en va de même par le choix plus ou moins raisonné des voitures électriques, en plein boom. Du coup, que des hôteliers proposent une solidarité sur ce thème n’étonne pas.
Pour ce qui est des voyageurs, 73 % voient plus ou moins un intérêt que les hôtels entreprennent une démarche environnementale. Politiquement et moralement, il est difficile d’avouer le contraire. Plus globalement, 58,5 % trouvent la démarche écologique utile en hôtellerie, voire qu’elle est un élément de différenciation (14,5 %) — sondages de Coach Omnium en 2019 et 2022. Mêmes scores que dans un précédent sondage réalisé en 2009, à peu de choses près.
Il faut cependant relativiser le phénomène, car nous sommes ici dans du déclaratif et il est encore une fois toujours de bon ton de s’avouer pro-écologiste. Y compris face à un enquêteur anonyme. Dans le détail, on trouve à peine 16 % des clients d’hôtels, parmi ceux qui choisiraient un hôtel inscrit dans un engagement environnemental, qui seraient prêts à payer un (petit) supplément. Il en va ainsi de manière égale entre Français et étrangers interrogés par Coach Omnium.
Toutefois, il n’est pas certain que concrètement, payer plus cher se vérifie sur le terrain. Les voyageurs sont rudement sensibles aux prix et les trouvent déjà trop élevés en hôtellerie, pour plus de 7 sur 10 d’entre eux.
Plus prosaïquement, ils sont loin d’avoir pour premiers critères des attentes écologiques dans le choix des hôtels. Quasiment personne ne parle spontanément d’une volonté de trouver des hôtels écoresponsables au moment de rechercher un hébergement. D’autres références s’imposent bien avant : les tarifs, la localisation, le confort, la literie, le Wifi, etc. guidés aussi par l’e-réputation des hôtels.
Quant à la recherche d’hôtels inscrits dans des « labels verts », force est de devoir constater que cela ne vient pas non plus d’emblée comme filtre de sélection, tant pour la clientèle d’affaires que de loisirs. 92 % des voyageurs français et européens ne peuvent citer un label ou une certification environnementaux. Beaucoup ne savaient même pas que cela existe ! Et le cas échéant, peu peuvent dire — de surcroît sans se tromper — ce qu’ils incluent comme critères et qui les attribue. A leur décharge, peu d’hôtels sont ainsi écolabellisés (voir plus loin). La boucle est ainsi bouclée.
LEGERE HYPOCRISIE
En somme, les clients d’hôtels sont sans doute ravis d’apprendre que des hôteliers font bonne figure dans le respect de l’environnement. La moitié est même prête à trier ses déchets dans sa chambre, si l’équipement pour cela est bien pensé. Ou à chercher à économiser les serviettes de toilette. En revanche, pour ce qui est de l’usage de l’eau et de l’électricité, dans les faits, personne ne connaît leur vrai comportement une fois dans leur chambre. Jouent-ils objectivement le jeu ou pas ? On l’ignore, sauf à se fier à leurs déclarations (on trouve rarement des compteurs individuels par chambre). Ce qui est hasardeux.
Parallèlement, on nage comme toujours en pleine contradiction. Si éviter de gaspiller est bien entré dans les mœurs, il n’est pas certain que l’on ait toujours envie de se contraindre une fois dans un hôtel ou un autre hébergement touristique. D’autant plus que l’on juge les hôtels (trop) chers. On s’en rend compte si un hôtel devait ne pas disposer de climatisation dans les pays chauds ou en période estivale. Les mauvais commentaires tombent alors comme la pluie en automne sur les sites d’avis de voyageurs.
Un peu hypocritement, les voyageurs justifient leur retenue essentiellement en déclarant que la démarche environnementale est d’abord le problème de l’hôtelier, qu’il doit se doter des équipements et moyens idoines, et que cela ne les concerne pas directement et que parallèlement, il ne faut pas alors que cela leur crée trop de contraintes. C’est qui le client ?!
Quant aux affichages invitant les hôtes à économiser l’eau et les serviettes, on les accepte (cela peut agacer aussi), sans forcément en tenir compte. Mais, il reste certain que le public dans sa majorité attend que les hôteliers se gardent de tout prosélytisme et évitent de tenter d’imposer leur choix en espérant modifier les comportements de leurs clients et les « éduquer ». Mauvaise idée.
DU CÔTÉ DES HÔTELIERS
Sur près 17.000 hôtels en France, ils sont moins de 200 hôteliers à avoir fait certifier leur établissement chez Ecolabel, contre plus de 300 unités en 2017. Idem auprès de Clef verte. C’est peu, très peu.
Mais, ne pas être labellisé ne signifie évidemment pas une absence d’effort ou de mobilisation sur ce registre du développement durable.
Il faut dire que tous les professionnels sont souvent découragés par la masse de normes à satisfaire dans les référentiels très sérieux de ces labels. Et aussi pas toujours heureux de payer la cotisation annuelle, qui va par exemple de 190 à 850 € chez Clef verte. Quand en plus, ces certifications ne sont pas des vecteurs de clientèle (n’étant pas connus), il faut vraiment être mordu et militant pour y adhérer.
Pour ce qui est des chaînes hôtelières, toutes, plus ou moins, déclarent à qui mieux-mieux être écoresponsables, vertueuses en matière d’environnement et soucieuses d’une approche écologique. La dernière campagne de communication de Marriott, en été 2019, n’aura échappé à personne, reprise de manière étrangement massive par les médias. Le premier groupe hôtelier mondial, avec près de 7.000 adresses, a annoncé retirer ses mini-flacons de produits d’accueil dans ses salles de bains. Un non-événement que de nombreux de ses concurrents s’activent à appliquer déjà depuis plusieurs années ou sont en train de faire. A l’instar de la plupart des autres secteurs d’activité, le greenwashing se porte bien.
L’Europe va de toute façon probablement les interdire à son tour. À la condition de continuer à trouver ces produits sous une autre forme que les mini-emballages. Ils sont en effet 81 % des voyageurs (sondages Coach Omnium) à juger indispensable à utile de trouver du shampoing et du gel douche dans les salles de bains d’hôtels.
Mais, comme ces annonces indiffèrent plutôt les clients, la portée commerciale n’a que peu d’effets. On ne va pas se rendre dans des hôtels juste parce qu’ils ont réduit leur production de déchets. Sinon de faire parler du groupe hôtelier, ce qui est toujours utile, mais un peu ridicule avec de telles décisions rendues publiques. Au même titre que le retrait des pailles dont on a parlé ailleurs… ou chauffer les chambres à 19°C en hiver (15°C dans les couloirs d’étages), comme l’a avancé avec démagogie Accor. De quoi faire fuir illico les clients !
DU CÔTÉ DES NORMES OFFICIELLES DE CLASSEMENT HÔTELIER
Pour obtenir leurs étoiles, du 1 au 5, comme pour la plupart des autres éléments du référentiel, on ne trouve rien de très convainquant en matière de respect de l’environnement. En déclaratif, les hôteliers ont juste à respecter 3 critères, affirmés comme suit : « Sensibilisation des collaborateurs à la gestion économe de l’énergie, de l’eau et des déchets ». Qu’est-ce que cela signifie, qui enseigne cela avec quelle compétence, comment contrôle-t-on cela, quelle est la finalité objective (pour arriver à quoi) ? On n’en sait rien. Mais, l’essentiel est de le fixer pour se donner bonne conscience.
Il reste assuré que l’écoresponsabilité va s’imposer de plus en plus, partout, en hôtellerie comme ailleurs. C’est par conséquent juste une question de temps. En se rappelant que sur le plan économique, on peut en être gagnant. C’est déjà ça. Mais de là à en faire un argument avant de promettre des bons hôtels, la partie n’est pas gagnée.
Mark Watkins