HÔTELLERIE & RESTAURATION : augmenter ses prix, plus facile à rêver qu’à faire
Avec la crise économique et l’inflation qui crève les plafonds, les hôteliers et les restaurateurs augmentent leurs prix pour répercuter l’alourdissement de leurs charges. Mais, c’est sans compter que leurs clients, entreprises et particuliers, rencontrent les mêmes problèmes qu’eux et ne seront sans doute pas insensibles à des tarifs renchéris.
C’est la crise ! On l’entend comme une ritournelle sur deux générations depuis le premier choc pétrolier de 1973. Même quand c’était surtout des crises imaginaires. Mais, cette fois elle est vraiment là. Une inflation qui grimpe comme jamais depuis 1993 (nota : le record de l’inflation en France a été atteint en 1974, avec 13,65 %).
Tout est en train de flamber dans les prix des biens de consommation et des énergies pour de nombreuses raisons, dont à présent les conséquences de la guerre en Ukraine. Et par voie de conséquence, tout augmente fortement en coût de revient pour la plupart des entreprises. Globalement, est concerné ce qui nécessite beaucoup d’énergie à la transformation et au transport, ainsi que les matières premières devenues onéreuses par une offre insuffisante face à la demande. Cela touche de nombreux, très nombreux, produits et actes d’achats. Par ricochet, les salaires augmentent (ou augmenteront) plus ou moins pour suivre l’inflation.
L’hôtellerie et la restauration sont naturellement en première ligne par une flambée dans leurs charges d’exploitation : les aliments et leur acheminement, l’eau-énergie pour la cuisine, le linge, le chauffage-climatisation, tous leurs achats et sous-traitances, etc. De plus, devant les difficultés de la profession à trouver (et garder) du personnel, les salaires ont été fortement rehaussés, y compris le Smic hôtelier (voir encadré en fin d’article). Sans compter que bon nombre d’exploitants (près de 1/3) devront commencer à rembourser leur PGE.
Répercuter ses charges alourdies
Avec un prix de revient qui gonfle comme un soufflé (mais qui ne retombe pas), la seule solution pour les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration est de répercuter ces hausses de charges dans leurs prix de vente. En somme, on demande au client de payer. Après tout, les professionnels travaillent pour lui. Quelle autre option existe pour maintenir ses marges ? Aucune. L’État a déjà largement donné pendant le Covid.
Ainsi a-t-on entendu le patron du groupe Accor, suivi par des syndicalistes patronaux, inviter les hôteliers « à franchement monter leurs prix pour retrouver des capacités financières après deux ans de crise sanitaire ». De combien ? On n’en saura pas davantage. Sauf qu’à aucun moment quelqu’un ne s’est posé la question de savoir comment réagiraient les clients, dont — comme toujours — on ne s’est pas inquiété et à qui — comme d’habitude — on ne demande pas leur avis. Après tout, ils n’ont qu’à pas fréquenter les hôtels et les restaurants…
Nous sommes ici dans un vrai problème économique, mais aussi de marketing. Cela rappelle l’épisode à l’envers de la baisse de la TVA en restauration (rappel : la TVA est payée par les consommateurs, pas par les commerçants), mais quasiment pas intégralement répercutée dans les prix, contrairement aux promesses faites par la profession. Une image du métier qui reste aujourd’hui encore écornée, alors que l’affaire date de 2009.
Clients « subvensionneurs »
Car si l’hôtellerie-restauration subit cette nouvelle crise inflationniste, après le sale coup du Covid et de ses conséquences, ses professionnels peuvent-ils continuer à ignorer que leurs clients dans leur grande majorité, entreprises comme particuliers (qui paient de leur poche), endurent la même chose qu’eux ? La crise est pour tout le monde et à un moment donné des arbitrages se font.
Cette inflation va affecter directement les dépenses de vacances et de week-ends, mais tout autant les voyages professionnels, provoquant fatalement des coupes claires budgétaires. Bond important des prix de la restauration et de l’hôtellerie, des carburants, des péages, de l’alimentation… voilà de quoi refroidir plus d’un voyageur.
Gare au recul de consommation
Certes les hôteliers n’auront pas le choix en devant renchérir leur tarification affichée. Mais en corollaire, le risque est grand de voir se réduire, en tout ou partie, la fréquentation, les durées de séjours, la consommation de services périphériques… voire que les clients choisissent un peu plus encore d’autres formes d’hébergement plus abordables, même pour du court séjour. Déjà que l’hôtellerie française a tendance à grossir en 4 et 5 étoiles et à se montrer plus chère — voir notre Panorama de l’hôtellerie en France.
Sans dire que des tarifs jugés abusifs encouragent à déposer des avis assassins et vengeurs en ligne et d’infliger une e-réputation aussi fétide que l’haleine d’un crocodile. Même chose en restauration.
L’acceptation des prix par la clientèle est fragile et sensible. C’est un furieux sujet de discorde. 44 % des clients d’hôtels français et européens interrogés par Coach Omnium trouvent que l’hôtellerie française est trop chère, soit avec un mauvais rapport qualité/prix (cher pour ce qui est proposé), soit par rapport à ce qu’ils jugent juste de dépenser (ou leur budget disponible). Et ça, c’était avant le Covid. Sans parler de la pratique — on a vite renoué avec les habitudes du « monde d’avant », n’est-ce pas — qui se généralise de doubler ou de tripler les tarifs des chambres (notamment à Paris) lorsque la demande est forte.
Or, le prix est désormais le deuxième critère pour choisir un hôtel pour la clientèle de loisirs, d’où la prudence qui s’impose en matière de tarification. Et les entreprises ont de leur côté tendance à fortement plafonner leurs dépenses dans les voyages d’affaires, comme pour leurs séminaires. En restauration, même situation, où 46 % des clients sont d’avis que les additions sont trop salées. Aussi, donner un coup de pouce (pour ne pas dire un coup de main) à ses prix est une chose. Mais, si c’est pour soigner son prix moyen chambre (ou repas) au détriment du taux d’occupation, personne ne va rien y gagner.
Il va falloir faire preuve d’imagination pour exploiter un hôtel et un restaurant différemment, sans nuire à la qualité.
Difficultés de recrutement
Le service fait partie du marketing. Et le service, c’est le personnel. C’est dans « l’hôtellerie, restauration et tourisme » que la proportion de travailleurs payés au Smic est la plus importante avec 1/3 pour l’ensemble des salariés et plus d’un sur deux pour ceux à temps partiel. Ce secteur est celui qui paie le plus mal et se classe avant-dernier juste avant les services à la personne (sources Insee et Dares).
Pourquoi avoir laissé tomber la Loi Godart qui permettait au personnel en contact avec la clientèle d’être parfois très bien payé en pourcentage sur le service ? La recherche sans fin de personnel ne date pas d’hier. Mais, le problème a été amplifié avec la crise du Covid où un pan entier de salariés ont pris conscience qu’ils pouvaient travailler ailleurs, dans de bien meilleures conditions, voire avec un meilleur salaire.
Car, si le Smic hôtelier est au-dessus du Smic général, c’est en trompe-l’œil puisqu’il est calculé sur 39 heures hebdomadaires en ETP au lieu de 35. Coupures dans les journées de travail, travailler quand les autres sont en congé, salaires bas, diminution des pourboires par les clients, conditions de travail qui peuvent faire peur et parfois (souvent ?) ambiance façon Thénardier, ont fini par décourager à travailler dans la profession. Quand ce ne sont pas les clients peu respectueux et impolis qui dégoûtent de faire ce métier.
Résultat, on trouve plus facilement des directeurs d’hôtels et de restaurants que du personnel de base (cuisiniers, serveurs, femmes de chambre, réceptionnistes…). Quand on les trouve, il est fréquent qu’ils ne restent pas. Et les hausses de salaires signées et largement vantées par la profession (masse salariale + 16,33 %) n’ont pas permis de résoudre le déficit en personnel.
En somme, la profession soufre depuis un moment d’une image peu attractive, voire déplorable auprès des potentiels salariés. Il ne faudrait pas qu’il en soit de même auprès de la clientèle.
Mark Watkins