Cour d’appel de Chambéry, 1ère chambre, 19 juin 2018, n° 16/02564 | Doctrine
La cour d’appel de Chambéry aura, dans le cadre d’un jugement rendu en date du 19 juin 2018, écarté l’application de la règle de déplafonnement du loyer de renouvellement, en retenant l’absence de monovalence d’un local commercial à usage de restauration.
En parallèle, les parties s’accordaient sur l’absence de modification notable des facteurs locaux de commercialité, ce qui entraîne l’application de principe de la règle du plafonnement du loyer.
Dans le cadre de ce litige, il était question de savoir :
1 – D’une part, si le caractère monovalent d’un local à destination unique de restauration pouvait être retenu ;
2 – D’autre part, si cette qualification pouvait entraîner l’exclusion de la règle du plafonnement du loyer renouvelé, selon l’article R.145-10 du Code de commerce.
1 – Sur le caractère monovalent du local commercial
À l’origine de la procédure, par acte extra-judiciaire, le bailleur fait délivrer au preneur une offre de renouvellement du contrat de bail commercial soumis à l’application de la règle de déplafonnement.
En désaccord sur le montant du loyer proposé, le locataire saisit le juge des loyers commerciaux aux fins d’écarter l’application de la règle de déplafonnement, en ce que la preuve du caractère monovalent des lieux n’était pas apportée par le bailleur.
En droit, la fixation du loyer, lors de sa révision ou lors du renouvellement du bail est en principe plafonnée. Créé par le décret n°72-561 du 3 juillet 1972, ce mécanisme très protecteur a été instauré en faveur des locataires, afin de mieux les protéger d’une éventuelle hausse trop importante de leur loyer. Il signifie que la variation du loyer ne peut dépasser la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux (ILC) ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT).
Par exception, le loyer du bail renouvelé peut être fixé sans respecter la règle du plafonnement du loyer ; on parlera alors de « déplafonnement », le loyer déplafonné sera alors par principe fixé à la valeur locative, lorsque le juge décide de faire application des articles L.145-38 et L.145-33 du Code de Commerce notamment.
En plus du critère légal, la jurisprudence a prévu une liste limitative des causes de déplafonnement, parmi lesquelles figure la monovalence des locaux. Au sens de l’article R.145-10 du Code de commerce, un local est dit monovalent s’il est construit ou aménagé en vue d’une seule utilisation commerciale. Il s’agira par exemple d’un cinéma, d’un hôtel ou d’un garage.
À la lumière de cet article et de l’application qu’en fait le juge d’une jurisprudence constante, la monovalence répond, pour être caractérisée, à la réunion de deux critères : (1) le local doit être adapté à un usage unique ; (2) la destination du local ne peut être modifiée sans engager des travaux importants.
Une conception extensive de la monovalence est, depuis plusieurs décennies, adoptée par la Cour de cassation, cela dans l’objectif de permettre aux bailleurs de fixer leurs loyers de renouvellement aux prix du marché, sans tenir compte de la règle de plafonnement. Le bailleur devant ainsi rapporter la preuve de la monovalence des locaux, tandis que le locataire doit prouver que le local commercial peut changer d’affectation à moindres frais.
Cette qualification fait apparaître un grand enjeu, puisque comme nous l’avons précédemment énoncé, la monovalence d’un local entraînera l’évincement de la règle du plafonnement posée à l’article L.145-33 du Code de Commerce, ce qui aura très récemment été confirmé par la Cour de cassation (Cour de cassation, Chambre civile 3, 5 octobre 2017, 16-18.059, Publié au bulletin | Doctrine).
En l’espèce, un bail commercial avait été conclu en 2003 pour une durée de 9 ans, moyennant un loyer annuel de 27 440,82 euros.
À son expiration en 2012, le bailleur fait délivrer au preneur une demande de renouvellement du bail. Un accord est trouvé sur le principe, mais pas sur le montant du nouveau loyer proposé de 84 000 euros, puisque le locataire demandait un maintien du loyer actuel uniquement indicé, sans déplafonnement.
À défaut de réponse du bailleur, le preneur saisit ainsi le juge des loyers commerciaux aux fins de voir constater le renouvellement du bail et de voir maintenir le loyer à son montant actuel.
Le local commercial dont il est question correspond à un commerce de restauration, exploité sous l’enseigne Le Dragon d’Or. Situé à proximité de l’hyper-centre de Chamonix et ainsi de lieux à forte attraction touristique, tels que le téléphérique de l’Aiguille du Midi, le bien bénéficie d’une position privilégiée avec une qualité d’emplacement commercial pouvant être qualifiée de premier ordre.
En appel, le bailleur soutient au même titre que le premier juge que la destination spécialisée du bail, à savoir une destination exclusive de commerce de bar, brasserie, restaurant et de l’importance des surfaces utiles directement concernées par l’activité de restauration justifient le caractère monovalent du local commercial.
Cependant, au sens de la Cour d’appel, la spécialisation du bail ne postule pas la monovalence des locaux, quand bien même ils ont reçu une affectation depuis l’origine et que l’on y retrouve des aménagements spécifiques. En effet, la monovalence ne se conçoit que pour des aménagements structurels lourds de gros œuvre sur les volumes (tels que les hôtels par exemple).
Le juge précise ainsi que les aménagements nécessaires à l’exercice d’une autre activité que celle de restauration dans ces locaux pourraient être engagés « sans difficultés majeures », en remplaçant par exemple l’activité par un magasin de sport, une agence immobilière, ou encore une agence d’assurance, etc.
2 – Sur le montant du loyer renouvelé après étude du caractère monovalent du local
En droit, le régime de détermination du montant du loyer renouvelé est fixé par l’article R.145-10 du Code de Commerce, qui dispose que « le prix du bail des locaux construits en vue d’une seule utilisation peut […] être déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée », en excluant l’application du régime primaire fixé à l’article R.145-3 du même Code.
En l’espèce, la monovalence des locaux n’a pas été retenu par le juge d’appel, ce qui signifie que le loyer de renouvellement sera fixé en écartant la règle du plafonnement par application de l’article R.145-10 du Code de commerce.
En conclusion, d’après le calcul de l’expert judiciaire validé par la Cour d’appel de Chambéry, le montant du loyer de renouvellement plafonné d’un restaurant situé au 235, avenue de l’Aiguille-du-Midi à Chamonix est de 39 007 euros (annuel, hors charges et hors taxes).
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