“On a perdu plus de 250 000 personnes dans la profession depuis le Covid.”
Julia Duchamp-Vignal, chasseur de tête Kompaire Conseil s’est prêtée au jeu de l’interview : “Des hôtels, un métier, une rencontre”. Merci à elle d’avoir pris le temps de nous partager son expérience et sa vision du monde sur notre secteur.
Pour commencer peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours professionnel ?
Je m’appelle Julia, j’ai 29 ans. Je viens d’une filière générale, j’ai des parents hôteliers-restaurateurs donc j’ai été bercée par le secteur. En parallèle de mes études, j’ai toujours travaillé dans l’affaire familiale. Je faisais aussi des extras dans des restaurants.
Après 2 ans de fac de droit je me suis rendue compte que ma réelle passion était l’hôtellerie et la restauration, j’ai donc décidé de me réorienter. J’ai intégré l’école de Paris des Métiers de la Table. J’ai recommencé à zéro en choisissant un BTS en apprentissage avec option gestion hôtelière. J’ai travaillé à l’hôtel Hilton Paris la Défense, un 4 étoiles de 153 chambres, c’était un endroit parfait pour évoluer.
Plus tard, pendant mon master en management hôtelier, j’ai travaillé au cabinet du premier ministre. Je suis rentrée sur des fonctions logistiques, achats, cadeaux protocolaires. Finalement, tout ce qui orbite autour de l’hôtellerie et de la restauration mais appliqué à la fonction publique et au cabinet du Premier ministre à l’Hôtel de Matignon et dans les 4 secrétariats d’état qui y étaient rattachés à l’époque. Durant ces deux années, j’ai travaillé à la mise en place d’un ERP (informatique) pour aider à la gestion & à la rationalisation des processus, ce qui m’a conduit à former près de 70 agents et sur beaucoup d’autres projets transversaux liés au développement durable ou à la communication.
J’ai fini mes études par un Master 2 en Gestion de l’innovation à l’IAE de Paris afin d’acquérir de solides bases théoriques.
Suite à cette expérience, j’ai été embauchée chez MEWS, une start-up spécialisée dans le PMS hôtelier pour ensuite suivre ma route d’indépendante.
J’ai également fait un an de réserve dans la Marine Nationale car j’ai une famille assez engagée et j’avais envie de découvrir ce milieu. En plus d’une formation générale sur la défense et sur la marine, j’occupais la fonction de responsable logistique en charge des événements.
Ces expériences très différentes m’ont permis d’aborder notre métier sous des angles très divers.
Quel est le projet/la mission qui t’a le plus marqué ?
Je sais qu’il ne faudrait qu’une seule réponse mais c’est difficile avec un parcours comme le mien où j’ai appris énormément dans mes différentes expériences.
L’expérience qui m’a fait sortir de ma zone de confort, c’est tout de même chez MEWS.
Je suis passé d’un environnement “classique” et assez “protocolaire” où j’étais plutôt à l’aise (cabinet du Premier ministre) à un univers start-up où on pouvait venir en jean et basket et où on tutoyait ses clients. J’y ai notamment découvert les API et la DATA.
Cette expérience qui a duré 2 ans a changé ma vision de l’hôtellerie restauration, j’y ai découvert toute une partie du secteur que je ne soupçonnais pas.
Tu as fondé Kompaire Conseil, un cabinet spécialisé en recrutement en hôtellerie restauration. Comment t’est venue cette idée ? Qui sont vos clients? Quels sont les principaux challenges ?
Il y a 2 ans je me suis mis en auto-entreprise après mon expérience chez Mews qui a pris fin après une grosse restructuration de l’entreprise post-covid. J’étais galvaudée par toutes mes expériences passées et je me sentais prête pour aborder.
Au départ, j’ai décidé de ne faire que du bouche à oreille et de prendre toutes les missions qui tombaient, peu importe les tâches. Ça pouvait être créer une carte de restaurant, participer à un concept de restauration d’hôtel 5 étoiles, gérer des PMS ou encore gérer les réseaux sociaux d’une brasserie.
Il y a 8 mois je me suis dit que je ne pouvais pas continuer comme ça, je n’avais pas de réel positionnement. J’ai essayé d’analyser pendant un mois ou deux ce qui me plaisait le plus et qui faisait que j’aimais ce que je faisais. Je me suis dit qu’il n’y avait pas de doute et que c’était l’humain. Il fallait toujours que je sois sur le terrain. Je me suis aussi rendue compte que je plaçais toujours des connaissances à droite et à gauche. Le recrutement s’est donc imposé assez naturellement. Je ne voulais pas le faire comme les gros cabinets qui existaient sur le marché donc j’ai intégré un réseau de consultants indépendants qui m’appuie sur la partie administrative & formation (SOLINKI).
Je travaille comme j’en ai envie, je ne prends pas plus de 15 clients à la fois et je dis parfois
« non » à des missions pour lesquelles je ne me sens pas à l’aise ou avec lesquelles je ne suis pas en phase.
Depuis récemment, je me suis spécialisée sur les projets de pré-ouverture ou les projets atypiques car c’est ce qui me plait le plus. Par ailleurs, je ne me fixe pas vraiment « de cadre » et je fonctionne vraiment au coup de cœur avec chaque projet et chaque personne qui me sollicite.
Aujourd’hui comment ça se passe si je veux te demander des services pour recruter quelqu’un dans mon équipe?
Je n’ai même pas encore de site internet (mais bientôt !) mais je suis très présente sur LinkedIn et j’ai une petite page sur Solinki qui est le réseau qui me présente et où on peut prendre rendez-vous.
Je travaille avec le moins d’administratif possible donc en général je reçois un message, je téléphone pour cadrer le besoin et on voit ensemble ce qu’on peut faire, sous quelle forme, à quel tarif. Je travaille de manière très directe, on cadre le besoin ensemble je dis oui ou je dis non par contre si je dis oui j’y vais à fond.
On voit que le secteur est en pleine mutation et que les difficultés à recruter sont nombreuses… Qu’as-tu identifié de difficile du point de vue candidat et du point de vue entreprise ?
On a perdu plus de 250 000 personnes dans la profession depuis le Covid. On s’est pris le ciel sur la tête. Pour moi, c’était quelque chose qui nous pendait au nez depuis très longtemps.
Comme j’ai un papa qui vient du métier, on peut comparer nos deux écoles. Pour lui, si tu ne travailles pas 90h par semaine et que tu n’as pas de vie alors tu ne peux pas tenir dans les métiers de l’hôtellerie et la restauration. Il en revient d’ailleurs aujourd’hui en me disant que ce n’est pas la bonne manière de faire.
On a explosé en vol car les gens se sont rendus compte qu’on peut avoir une vie, qu’on peut s’occuper de ses enfants, qu’on peut prendre l’apéritif et que tout va bien. On constate une tension et un revirement de situation parce qu’aujourd’hui ce sont les candidats qui choisissent leur entreprise.
C’est quelque chose qui est un peu inhabituel et difficile à comprendre pour certaines entreprises qui ont eu l’habitude d’être des mastodontes du secteur et qui ne comprennent pas qu’on ne veuille pas rejoindre leur restaurant qui ferme à 2h du matin.
Il y a un vrai travail de pédagogie, avec chaque client avec qui je collabore on travaille ensemble sur la fiche de poste, les problématiques de fond et je n’ai aucun mal à leur dire que le salaire n’est pas adapté.
On appelle ça la marque employeur. Ce sont des choses qui sont fondamentales : comme le respect du code du travail. On a une convention qui n’est pas du tout adaptée dans l’hôtellerie et la restauration car elle permet de tendre à des dérives. Elle n’est pas assez cadrée, on travaille sur le sujet et des choses ont changé mais ce n’est pas suffisant.
Aujourd’hui je me bats avec des candidats qui “ghostent”, qui sont submergés d’offre donc n’ont plus les codes de la politesse basique : répondre à un mail, se présenter, ne pas envoyer une photo de leur CV qu’ils ont sorti de la poubelle comme un brouillon, avoir la correction de dire qu’ils ont trouvé autre chose…
De l’autre côté, des entreprises qui ont du mal à prendre le virage et à comprendre qu’on ne dit plus à un candidat “ ça fait qu’un an que vous êtes dans tel ou tel hôtel et vous voulez déjà partir? Mais pourquoi? “ Tout simplement parce que vous lui proposez autre chose et que vous avez une meilleure offre, c’est tout.
Donc une grosse partie de mon travail c’est de mettre tout ça en perspective et c’est pour ça aussi que je ne prends pas beaucoup de clients à la fois.
Qu’est-ce que tu penses de l’utilité du digital dans le secteur?
Pour moi le digital nous a fait passer dans une autre ère de l’hôtellerie et de la restauration.
On ne gère plus du tout les choses de la même façon. On automatise beaucoup de choses et souvent il faut prendre cette automatisation comme l’opportunité de redonner du temps au salarié pour qu’il se concentre sur son cœur de métier c’est-à-dire le service.
Aujourd’hui le digital on ne peut pas s’en passer, il offre des perspectives de parcours client, d’automatisation et de structuration qui sont extrêmement intéressantes mais je pense quand même qu’il doit être la conséquence d’une stratégie.
C’est un outil, un levier, parce que derrière on a une culture d’entreprise, on a des objectifs, on a une politique salariale et donc on va se servir du digital.
Dans mon métier (le recrutement), je m’en sers tous les jours, je suis chasseur de tête 3.0. Je ne fais aucun entretien physique, je fais tout à distance. Je fais des voices sur whatsapp avec les patrons des hôtels & restaurants pour lesquels je travaille. Ça a changé ma vie : avant le covid quand j’étais en auto-entreprise et que tout le monde n’avait pas encore cette habitude là on essayait de se revoir. Je passais des heures dans le train, dans les transports pour aller voir les clients.
Aujourd’hui, j’habite à Orléans j’ai un jardin, j’ai quitté Paris, je fais tout à distance et ça se passe très bien.
Si tu avais un conseil à donner à quelqu’un qui voudrait se lancer dans l’hôtellerie et ouvrir son hôtel ?
Déjà bravo, c’est une superbe aventure !
Ensuite ça serait de très bien s’entourer. Parce que ce n’est pas que le recrutement, c’est l’opérationnel, c’est ton PMS.
Si tu veux te lancer et que tu es bon, t’as beau être bon, tu ne peux pas l’être partout. Il faut vraiment s’entourer en fonction de sa stratégie et d’où tu veux emmener ce projet car un hôtelier qui se lance, il faut qu’il ait une ligne conductrice.
Le vrai conseil que j’ai c’est de s’entourer d’experts.
Le problème c’est que beaucoup de personnes veulent tout faire en même temps et ça crée des carences à plein de niveau.
Je pense qu’on est suffisamment de jeunes et de moins jeunes motivés et un peu tous experts de notre domaine pour proposer un accompagnement cohérent.