Panorama 2023 de l’hôtellerie en France par Coach Omnium — 32e édition annuelle
BELLE REPRISE D’ACTIVITÉ POUR L’HÔTELLERIE FRANÇAISE !
Après la crise du Covid — qui a duré pleinement 2 années et qui a affecté en premiers le tourisme et l’événementiel —, on était enclin à s’attendre sans naïveté à voir un pan entier de l’hôtellerie fermer définitivement, malgré le PGE. Dont les hôtels les plus fragiles et ceux inscrits sur des marchés touristiques peu porteurs.
La crainte s’est partiellement confirmée, même si les chiffres ne sont pas catastrophiques, compte tenu de la situation économique morbide en 2020-2021. Les données de la Banque de France indiquent que 279 hôtels ont été liquidés en 2022. C’étaient 207 en 2020 et 167 en 2021. C’est surtout la restauration qui a vu une pleine explosion des disparitions d’entreprises, avec plus de 4.000 adresses supprimées.
Mais, il n’y a pas que les liquidations prononcées par les tribunaux. D’autres hôtels ont simplement fermé pour diverses causes (retraites, transformations, etc.). Et les créations d’établissements n’ont pas compensé ces pertes. En tout, le parc hôtelier français est marqué par un solde de 870 unités en moins entre 2019 et 2023 (voir plus loin).
LES CLIENTS REVIENNENT
Si les années 2020 et 2021 ont été un désastre pour l’hôtellerie, avec respectivement 37,5 % et 48,4 % de taux d’occupation, selon l’Insee — le baromètre conjoncturel le plus fiable —, 2022 a vu la courbe d’activité se redresser fièrement. L’année s’est terminée avec un taux d’occupation de 59,8 %, soit à peine à 1 ou 2 points en-dessous des scores annuels de 2017 à 2019. De quoi s’éponger le front de sueur.
Le redressement de la demande avait commencé dès le mois d’avril de 2021, accompagnant l’allègement des restrictions. Avec 207 millions de nuitées hôtelières en 2022, nous ne sommes plus très loin du résultat de 2019 où l’on en enregistrait 215 millions.
On pouvait légitimement craindre un recul des voyages et donc des séjours hôteliers. Inflation en forte progression, prix majorés de l’essence et des tarifs des péages, baisse du pouvoir d’achat, voire l’incertitude de la guerre en Ukraine, pouvaient décourager les voyageurs.
Mais, non. Pratiquement tous les segments de clientèles sont revenus dans les hôtels. Les voyageurs d’affaires, malgré la poursuite plus ou moins patente du télétravail et la banalisation des visioconférences, se sont remis à voyager. Rien ne remplace le présentiel et la reprise économique est là pour justifier la reprise des déplacements professionnels.
Même chose pour les séminaires, conventions et congrès, libérés après les interdictions de réunions durant la crise sanitaire. La dernière enquête de Coach Omnium confirme que 57 % des prestataires MICE ont vu la demande augmenter en 2022 par rapport à 2019 et que seulement 14 % ont constaté une baisse.
Il en va de mêmes des mariages qui ont été reportés sur 2022 et 2023 et qui représentent pour certains hôtels des chambres occupées.
Enfin, la clientèle de loisirs a repris le chemin des hébergements touristiques, dont l’hôtellerie. La différence de fréquentation par rapport à 2020 et 2021 a été marquée par le retour des clientèles étrangères. Représentant seulement 18 % des nuitées hôtelières en 2021, elle a regrimpé vers les moyennes des années pré-covid, soit 1/3 de la demande ; d’où les remontées globales de taux d’occupation.
Plus en détail, les séjours dans les hôtels en zones urbaines ont pesé pour 35 % du volume global de nuitées. Quant à la durée moyenne de séjour, elle reste depuis plusieurs années à 1,8 jour, dont 1,7 pour la clientèle domestique. C’est 2,4 jours à Paris. Pour des séjours plus longs, les voyageurs et touristes optent plus volontiers pour d’autres modes d’hébergement : locations de meublés, résidences de tourisme, campings, etc.
Pour l’année 2023, si faire des prévisions dans le tourisme est l’affaire des divinateurs et des voyantes, on peut estimer que la demande hôtelière devrait se maintenir à un bon niveau. Malgré les grèves, manifestations et blocages de ce début d’année, avec en corollaire une mauvaise image de la France auprès des touristes étrangers qui ont vu sur leurs écrans les amoncellements de déchets, les poubelles brûlées et les émeutes dans nos villes.
UN PARC HÔTELIER QUI CHANGE DE MANIÈRE ENDOGÈNE
Comme déjà dit, le parc hôtelier français s’est réduit de 870 adresses depuis 2019. Mais, en restant autour de 17.000 unités. Les créations d’hôtels se situent désormais essentiellement en milieux urbains, et surtout dans les grandes métropoles où le tourisme d’affaires est le plus présent et où les scores de remplissage sont les meilleurs.
Rien qu’à Paris, c’est un solde de 97 hôtels en plus depuis 2014. Mais surtout, l’on compte plus d’une centaine de projets en cours dans la capitale et sa périphérie, qui ouvriront d’ici les JO de 2024 ! (voir notre Panorama de l’hôtellerie parisienne).
C’est surtout en termes de catégories que l’on assiste à des changements et à une reconfiguration interne. En voyant les chiffres, il n’aura échappé à personne que l’hôtellerie française « monterait en gamme« . Du moins sur le papier et dans les discours.
Il y a ainsi près de 4 fois moins d’hôtels économiques (3.533 hôtels 1 & 2*, hors non classés) depuis 2010, juste après la mise en place du nouveau classement hôtelier.
A l’inverse, le nombre de 4 et 5 étoiles s’est littéralement élevé comme une fusée (voir graphique plus loin). On en comptait 898 en 2010 contre 2.689 établissements à ce jour. C’est à présent 22 % des hôtels classés. Lire notre article « Des hôtels haut de gamme comme s’il en pleuvait ».
Si la capacité moyenne des hôtels français est de 39 chambres, cela monte à 65 clefs en 4 étoiles et à 60 en 5*.
DU HAUT DE GAMME COMME S’IL EN PLEUVAIT
Le classement hôtelier matérialisé par les étoiles, mis en place en 2009 et actualisé deux fois depuis, n’impose que des critères « au ras des pâquerettes ». Ils ne demandent pas d’effort particulier si l’on est un hôtelier responsable.
En allant plus loin, en les respectant à la lettre, les hôtels classés ne reverraient plus leurs clients tant ces normes sont éloignées des attentes des voyageurs que Coach Omnium interroge régulièrement.
Par exemple, en 4 étoiles, il faut des chambres pour deux personnes au minimum de 16 m2, salle de bains comprise… autant ne pas être gros et ne pas avoir de bagages… Quant aux vérifications, elles sont très discutables dans leur forme et leur process : lire notre article sur le sujet.
Le nouveau système a permis à plus de 6 hôteliers sur 10 de demander (et obtenir sans peine) une étoile supplémentaire par rapport à leur ancienne homologation. Cela s’est fait généralement, encore une fois, sans enrichir les prestations avec l’espoir secret de pouvoir relever les tarifs. Ce qui n’a pas été possible compte tenu des pressions conjoncturelle et concurrentielle, et de l’influence des agences de voyages en ligne (OTAs).
Les étoiles new look — qui ne prennent pas en compte les avis des vrais clients — n’ont pour conséquence que de brouiller les pistes pour les éventuels voyageurs qui souhaiteraient encore se fier à elles.
Mais, ils sont désormais peu nombreux à les prendre en considération au moment de rechercher un hôtel où se loger : 16 % (dont seulement 8 % des seniors) contre 64 % en 2008 (études Coach Omnium). Donc, le sujet n’a guère plus d’importance …sauf pour la majorité des hôteliers — à part 29 % dont l’hôtel n’est pas classé —, qui sont les seuls encore à voir dans les étoiles une valorisation ou une reconnaissance. Pas leurs clients.
Plus de 70 % des clients d’hôtels européens interrogés dans les études de Coach Omnium ont le prix pour premier critère, qui leur permet désormais de se faire une idée bien plus fiable que les étoiles sur la gamme des hôtels auxquels ils ont affaire. C’est Internet qui a tout changé dans la préparation des voyages, avec ses incontournables plateformes en ligne et comparateurs, proposant d’autres informations plus réalistes et plus utiles que les étoiles. Le prix, comme critère de sélection, est complété par les avis en ligne de clients et leurs photos publiées, consultés par près de 3/4 des voyageurs avant de choisir un hébergement.
Curiosité : les deux hôtels classés 4 étoiles les plus grands en France sont l’hôtel Disney’s Newport Bay Club (1.097 chambres) et le Méridien Étoile (1.022 clefs). Les hôtels les plus petits dans ce classement n’ont que 3 chambres… même chose en 5 étoiles.
LES NON-CLASSÉS, PAS TOUJOURS CE QUE L’ON CROIT
Le classement hôtelier d’Atout France n’a toujours pas la cote auprès de tous les hôteliers. Si les Parisiens ont 89 % de leurs établissements qui arborent des étoiles, en province, en revanche, ils ne sont que 62 % à être homologués. Les non-classés en France sont 4.875 hôtels en 2023 contre à peine 1.911 en 2010.
Il faut dire que d’une part, les hôteliers sont de plus en plus nombreux à savoir que les étoiles ne peuvent pas leur servir objectivement dans les ventes, à part éventuellement dans le luxe. Un hôtel dynamique commercialement avec un bon produit peut trouver ses clients en affichant ou pas un classement. Les étoiles ne rapportent aucun client par elles-mêmes. Encore une fois, les voyageurs sont peu nombreux à en tenir compte ou à s’y fier.
D’autre part, beaucoup d’hôteliers avaient demandé un classement pour obtenir des subventions auprès des collectivités locales imposant souvent ce préalable. Une fois reçues, il n’y avait plus de raison de renouveler l’homologation (cela se fait tous les 5 ans).
Ce nombre d’établissements sans étoile — près de 4.900 — ne correspond pas nécessairement à des hôtels n’ayant pas pu satisfaire aux nouvelles règles du classement (pourtant très minimalistes en termes de critères) ou qui seraient médiocres. On y trouve de tout. À la fois des établissements qui sont en voie / attente de fermer (départ à la retraite des propriétaires, redressements judiciaires, difficultés économiques…), et qui n’entament plus aucune mise aux normes, ni rénovations. Et, dans une moindre mesure, des hôtels de grande qualité qui n’ont tout simplement pas souhaité arborer les nouveaux panonceaux rouges ou qui les ont abandonnés, pour s’éviter toute contrainte. Et de nombreux hôteliers disent que devoir payer (les audits) pour être reconnu est absurde.
Cela explique que les hôtels non classés, parce que souvent en milieu rural et de petite capacité (24 chambres en moyenne) et donc peu profitables, enregistrent selon l’Insee quelques points de taux d’occupation en moins par rapport aux hôtels classés. Mais, ce n’est en aucun cas parce qu’ils n’arborent pas d’étoiles, qui ne peuvent rien pour eux commercialement !
L’HÔTELLERIE INDÉPENDANTE, FAROUCHEMENT MAJORITAIRE
L’hôtellerie indépendante — par rapport aux chaînes intégrées — est très majoritaire en France (82 % des hôtels, soit près de 14.000 unités) et même en Europe. Sans compter les franchisés des groupes hôteliers qui sont également des indépendants, mais avec un régime statutaire particulier. Les indépendants sont formés par une grande quantité d’établissements de type familial, donc généralement de petite capacité (hors franchises, qui sont plus grands).
Comme dans la plupart des pays d’Europe, la taille moyenne de ces hôtels français indépendants est trop réduite sur un plan économique : 26 chambres en moyenne. Si bien sûr la clientèle aime les petits hôtels de charme pour ses week-ends, cette situation pose à la profession un problème de plus en plus imposant pour dépasser le seuil de rentabilité (charges fixes) et pour joindre les deux bouts. Surtout que les petits hôtels sont souvent situés dans des marchés faiblement à peu porteurs.
Plus on se tourne vers le milieu rural, plus les hôtels ont encore une fois des faibles scores de fréquentation et sont de petite capacité : 19 chambres en moyenne par établissement.
Or, on sait qu’en dessous de 35 à 45 chambres environ, selon les gammes (et 50 à 60 en hôtellerie super-économique), il est difficile de s’y retrouver dans ses comptes. Nos études économiques sur ce thème le confirment constamment. Et la période de l’après-Covid, révèle la vraie situation économique et financière des petits hôtels… Même si beaucoup de ceux-là sont également et parfois avant tout restaurateurs, avec une clientèle locale fidèle.
Par ailleurs, paradoxalement, plus un hôtel est grand, meilleur est généralement son taux d’occupation car, encore une fois, il peut travailler avec plusieurs segments de clientèles complémentaires, dont des groupes et des séminaires, le cas échéant. Et… meilleure est sa profitabilité parce que l’hôtelier amortit mieux ses charges fixes d’exploitation, qui représentent la majorité de ses frais (entre 85 et 90 %).
Ce phénomène de la hausse des seuils de rentabilité — où les trop petites structures ne s’en sortent plus économiquement, situation aggravée par la hausse des salaires et des coûts d’énergie, notamment — se retrouve dans pratiquement tous les autres secteurs d’activité : commerce, agriculture, viticulture, industrie, etc.
Bien entendu, la profitabilité d’une affaire hôtelière lui permet de durer, de réinvestir, de soutenir la qualité de ses équipements et de son confort, de motiver ses exploitants, d’acheter une liberté vis-à-vis des banques… et, par conséquent, de favoriser le remplissage et la satisfaction du consommateur.
Cette petite taille de notre hôtellerie et l’insuffisant rendement des unités modestes a conduit l’offre hôtelière à accuser un sérieux retard de modernité et à imposer une prestation souvent inadaptée aux attentes de la clientèle. Même si la situation semble aller en s’améliorant, au moins en milieux urbains, pour les raisons déjà évoquées.
LES CHAINES HÔTELIÈRES INTÉGRÉES S’IMPOSENT TOUJOURS
Les chaînes hôtelières intégrées (les réseaux qui réunissent des filiales de groupes hôteliers et/ou des franchisés) sont toujours la force vive dans notre paysage hôtelier. Elles continuent à se développer, mais d’une manière désormais « molle » : solde de + 77 adresses entre 2018 et 2021 contre une moyenne annuelle de + 100 à + 150 avant 2000 — étude exclusive de Coach Omnium sur les chaînes hôtelières intégrées (24e année).
Si les 90 enseignes recensées par Coach Omnium en 2021 ne représentaient que près de 18 % du nombre d’hôtels français (soit 3.166 hôtels en filiales, franchises et mandats de gestion), elles réunissent 42 % du nombre de chambres (leur capacité moyenne est de 85 chambres contre 26 chez les indépendants).
Malgré leur faible représentativité en nombre d’hôtels, elles accueillaient tout de même un peu plus d’une nuitée hôtelière sur deux en 2019 (51,7 % des nuitées hôtelières). Cependant, cette part de marché est tombée à 49 % en 2022.
Les chaînes hôtelières intégrées bénéficient souvent de taux de remplissage supérieurs de 6 à 8 points à ceux des indépendants, selon les destinations, à hôtels comparables. Sauf dans les moyennes et grandes villes, dont Paris, où cet écart est bien plus faible, voire inexistant. Elles sont également en moyenne plus chères de 20 à 22 %, malgré les nombreuses promotions tarifaires appliquées selon les périodes creuses. Mais là aussi, cette différence tarifaire avec l’hôtellerie indépendante est moins vraie en agglomérations.
Aujourd’hui, les phénomènes de concentration s’intensifient dans l’hôtellerie, comme dans les autres secteurs d’activité économique. Les deux groupes hôteliers leaders en France — Accor et Louvre Hotels — contrôlent près de 3/4 des hôtels affiliés à des chaînes hôtelières intégrées, dont une domination sans surprise du premier, qui en fédère près de 48,5 %.
On constate depuis peu de temps une recherche de rajeunissement et de remodélisation de l’hôtellerie de chaînes intégrées, qui s’inspire clairement — sans le dire — des auberges de jeunesse nouvelle génération (hostels) et d’Airbnb, pour redonner un coup de jeune à leur offre. L’entrée du lifestyle et la généralisation de la déstandardisation dans les designs marquent cette tendance pour tenter de relancer les enseignes et leur donner un nouvel attrait. Même si on constate que les concepts originaux sont souvent (mal) recopiés et dupliqués à outrance — ce qui tue l’originalité voulue au départ — et que l’innovation vient principalement des décors, parfois tape-à-l’œil ou trompe-l’œil.
Sans parler de « l’éco-responsabilité », du « tourisme durable », du « commerce équitable » (achats) ou encore de la « sobriété énergétique » mis à toutes les sauces, sans trop savoir comment cela se met vraiment en place dans les hôtels. Sinon, juste par des auto-proclamations inondant toute la communication. Greenwashing, quand tu nous tiens…
On a également vu arriver des nouvelles marques aux nouveaux concepts comme Okko Hotels, Eklo Hotels, Moxy Hotels, Mob Hotel, Curio, Garden Inn ou encore Nomad Hotel, pour n’en citer que quelque unes. En tout, ce sont près d’une trentaine de nouvelles enseignes qui s’installent sur le territoire français, s’ajoutant à celles recensées par Coach Omnium.
Enfin, notre dernière étude sur l’e-réputation des plus grandes chaînes hôtelières intégrées en France (plus de 100 adresses) laisse apparaître un vrai problème d’appréciation par le public. Les notations des hôtels (près de 2.500 établissements pris en compte dans notre enquête) par les clients sur les principaux sites de commentaires clients sont systématiquement moyennes à carrément médiocres. Aucun réseau important ne sort du lot. En somme, on peut être connu (notoriété = aspect quantitatif) mais souffrir d’une mauvaise image (aspect qualitatif).
Il faut dire que les chaînes ont laissé de nombreux établissements vieillir et le personnel souvent réduit ne compense pas la déception portée sur les produits.
LES RÉSEAUX VOLONTAIRES POUR LES INDÉPENDANTS
Ils se présentent sous une vingtaine d’enseignes et de labels dans l’Hexagone, qui regroupent 3.823 hôtels en 2022, dont près de 10 % environ adhèrent à deux ou à trois réseaux différents. Lire notre Panorama des chaînes hôtelières volontaires.
Plutôt déboussolées face à l’efficacité commerciale et à l’omniprésence des OTAs (agences de voyages et plateformes de réservations en ligne — voir ci-après), les chaînes hôtelières volontaires perdent massivement des adhérents. Ils étaient près de 6.500 il y a 10 ans pour 42 % de moins à présent. De plus, seule une poignée, soit 3 marques à peine, détiennent une notoriété honorable auprès des clientèles hôtelières européennes que Coach Omnium interroge régulièrement (voir notre étude sur la notoriété des chaînes hôtelières). Les autres sont inconnues et ne peuvent pas prétendre être des apporteurs d’affaires à leurs hôteliers affiliés.
LE FURIEUX IMPACT COMMERCIAL DES PLATEFORMES DE RÉSERVATIONS
L’influence extrêmement forte commercialement des agences de voyages en ligne (OTAs) et plateformes de réservations a clairement remis en question le monopole des chaînes hôtelières intégrées (en France depuis le premier Sofitel en 1964, puis Novotel en 1967) et bien sûr, a fortiori, des chaînes volontaires (voir notre analyse « Les OTAs pervertissent le modèle commercial des chaînes hôtelières »).
Si les OTAs ne créent pas de surplus de demande hôtelière, elles répartissent naturellement les réservations et donc les nuitées hôtelières avec un bénéfice direct, plus ou moins patent, aux indépendants les mieux en vue. D’où peut-être un recul en 2022 de la part de marché des chaînes intégrées : 49 % en 2022 contre 51,7 % en 2019… Le choix très large de l’offre d’hébergements (pas seulement en hôtels) sur ces plateformes plaît bien mieux à la clientèle que les centrales de réservations des chaînes qui n’ont fatalement qu’une panoplie plus réduite à proposer. Et ces plateformes apportent des garanties aux voyageurs et donc les sécurisent.
Booking, par exemple, met en vitrine un catalogue de plus de 2,5 millions d’établissements dans le monde, quand on dispose en France de près de 17.000 hôtels. Cela donne l’échelle. Le portail a enregistré jusqu’à 896 millions de nuitées en 2022, contre 845 millions en 2019 (avant Covid) mais seulement 355 millions en 2020 ! Malgré ce recul bien normal face au sort du tourisme durant la crise sanitaire, ces chiffres vertigineux apportent la mesure de sa puissance. Le sérieux problème des chaînes hôtelières se constate d’autant plus quand leurs centrales de réservations ne sont tout simplement pas toujours aussi sexy, ni aussi bien référencées sur les moteurs de recherche, ni aussi performantes et ergonomiques que peuvent l’être celles des OTAs, ce qui est courant.
Nos études auprès des clientèles hôtelières européennes confirment que 66 % des voyageurs passent occasionnellement ou régulièrement par les OTAs pour réserver à l’hôtel. Ils étaient 13 % en 2009… 30 % préfèrent encore réserver en direct auprès des hôtels. Ils étaient 41 % en 2013. 16 % seulement passent par les plateformes et centrales de réservations des chaînes hôtelières, contre 32 % en 2010.
Bref, la clientèle hôtelière aime de plus en plus passer par des intermédiaires connus sur le Net (près de 9 voyageurs sur 10 font leurs recherches d’un hébergement sur Internet), parce qu’elle les trouve « pratiques », « efficaces », « rapides », « disposant d’un large choix d’offres » et « apportant de nombreuses promesses tenues » (citations recueillies auprès des voyageurs dans nos enquêtes).
LES SITES DES HÔTELS ET DES CHAÎNES NE DONNENT PAS TOUJOURS ENVIE…
Mais aussi parce que les sites des hôtels « ne donnent pas toujours envie », « ne rassurent pas toujours », « ne sont pas forcément très vendeurs ou séduisants » et « certains hôtels obligent à téléphoner pour réserver (leur site ne permet pas de réserver en ligne en temps réel — pas de moteur de réservations) » — citations de clients interrogés par Coach Omnium.
Faire campagne pour favoriser la réservation en direct auprès des hôtels est légitime. Mais, c’est sans effet et vain, si on en croit l’observation de l’évolution du comportement du public depuis ces dernières années au profit des OTAs.
Et toutes les tentatives, souvent naïves et utopiques, pour enrayer cet entrisme commercial des OTAs et les concurrencer ont (évidemment) échoué. La dernière en date : celle de la Market Place du groupe Accor. Elle n’a duré que près de 2 ans avant d’être retirée avec pertes et fracas. On s’y attendait dès sa naissance. Tout comme on ne donne pas cher de l’initiative de « créer une plateforme qui visera à renforcer la coordination, le pilotage et l’articulation des offres touristiques françaises, et qui pourra constituer un outil de souveraineté numérique », annoncée le 15 mai 2020 par le Premier ministre pour relancer le tourisme en France et représenter un bouclier contre les OTAs et autres plateformes de distribution.
Car, l’avance a été prise depuis longtemps et la solution n’est pas que technologique, contrairement à ce que croient de nombreux observateurs un peu candides. Encore faut-il disposer de suffisamment de budgets de marketing, de publicité et de référencement pour exister, ce qui est totalement sous-estimé, voire ignoré ou nié par les opérateurs historiques. Booking, encore lui, a dépensé 5,99 milliards de dollars de publicité en 2022 (source Booking), soit près de 16 millions de dollars par jour pour trouver ses clients ! Qui dit mieux ? Mettre au point un outil est une chose, mais il faut pouvoir le commercialiser, et le faire connaître et apprécier auprès des consommateurs, ce qui en est une autre.
C’est d’ailleurs la même chose pour tous les labels. Une fois lancés, ils restent inconnus du public parce que les budgets pour le faire n’existent pas… Fabriquerait-on des coûteuses voitures, sans mettre en place les moyens pour les vendre ?
Autrement dit, les OTAs discréditent la force commerciale des chaînes hôtelières et leur puissance d’autrefois. Et seules les enseignes les plus garnies en nombre d’adresses, les plus fortes dans leur concept et leur distribution, les plus connues et les plus solides peuvent encore leur résister, plus ou moins. Mais, elles sont peu nombreuses et cela un coût. Sur près de 120 chaînes hôtelières (intégrées et volontaires) présentes en France, seulement une quinzaine détiennent une notoriété bonne à correcte auprès des voyageurs européens. Or la notoriété fait vendre.
C’est surtout vrai pour les réseaux intégrés, car les chaînes hôtelières volontaires sont incapables de tenir sur le plan commercial et sont ainsi bel et bien disqualifiées, comme déjà dit plus haut. Aussi, de plus en plus d’affiliés à des réseaux les quittent en étant convaincus de pouvoir se débrouiller seuls dans les ventes, pour faire des économies significatives sur les redevances et pour vivre moins de contraintes. Du coup, les réseaux volontaires ont, encore une fois, perdu près de la moitié de leurs effectifs en 10 ans.
LA PROBLÉMATIQUE DE L’HÔTELLERIE EN FRANCE
1) – Hôtels trop petits : Si la capacité moyenne des hôtels français est de 39 chambres, il va de soi que cela cache une grande diversité. En réalité, les hôtels français sont encore une fois plutôt (trop) petits. 29 % des classés ont moins de 20 chambres, sans compter la majorité des 4.400 non-classés. Plus largement, 9.253 établissements classés ont moins de 50 chambres soit 72 % du parc étoilé ! Voir graphique plus haut.
Avec à peine près de 3.500 hôtels d’une jauge de plus de 50 chambres — ceux qui intéressent les chaînes intégrées — mais dont une grande partie en fait déjà partie, les réseaux qui espèrent attirer de nouveaux indépendants pour en faire des franchisés en seront pour leur frais. Il n’y a pas de réserve d’hôteliers avec suffisamment de chambres pour entrer dans leur modélisation économique. Leur seule option est de fédérer des hôtels à construire, de bonne capacité… ou de piquer des franchisés aux concurrents.
On est donc à presque 3/4 d’établissements qui ont moins de 50 chambres. Or, comme déjà expliqué, les études économiques que réalise Coach Omnium démontrent qu’avec moins de 35 à 45 chambres, selon les gammes et les localisations, il est compliqué de trouver une rentabilité. Même sur un marché porteur. A l’opposé, seulement 4 % des hôtels en France ont plus de 100 chambres. A noter que près de mille hôtels se sont fait classer en ayant moins de 10 chambres, à peine.
2) – Soucis de rentabilité : près de 1 hôtel indépendant sur 2 est en déficit ou à peine en équilibre dans ses comptes, selon les enquêtes que Coach Omnium réalise. Et la crise liée au Covid a immanquablement aggravé cette situation déjà dramatique.
3) – Isolement : dans l’ensemble, près de 6 hôteliers français sur 10 n’adhèrent à aucun réseau, ce qui les isole et les fragilise parfois. Même si on peut désormais admettre, encore une fois, qu’en sachant bien commercialiser, fidéliser ses clients et profiter des OTAs, un professionnel peut souvent se passer d’adhérer à un réseau. L’on préfère de plus en plus payer des commissions proportionnelles pour des clients visibles plutôt que des redevances forfaitaires à une chaîne pour un impact commercial pas toujours identifiable ni mesurable.
4) – Retard de modernité de l’offre hôtelière : il est dénoncé par la clientèle hôtelière (en la comparant avec l’évolution de l’habitat, le design automobile et l’immobilier de bureau), même s’il tend à s’atténuer.
5) – Contraintes extérieures : tout n’est pas seulement du fait des hôteliers eux-mêmes, la profession est également handicapée par un grand nombre de phénomènes extérieurs ou d’influences exogènes, qu’elle subit de plein fouet. Ainsi, le système monopolistique des ventes sur le Net, les changements dans les habitudes de consommer et dans les modes de vie, les fluctuations imprévisibles et incessantes du tourisme, la mise en place de la RTT dans les entreprises (moins de déplacements), la chasse aux notes de frais (clientèle d’affaires), les dysfonctionnements dans la concurrence, l’accès compliqué aux crédits, les conditions d’exercice (dont de nouvelles règlementations aux conséquences coûteuses et souvent non productives) et les importants prélèvements fiscaux et sociaux obligatoires,… pèsent considérablement sur les possibilités d’équilibrer son affaire hôtelière.
Il faut ajouter à cette liste — non exhaustive — les (fortes) augmentations des salaires (dont le SMIC hôtelier), des charges d’énergie et des matières premières, les difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel (rappelées de surcroît à l’occasion de la crise du Covid), le télétravail et les visioconférences qui réduisent les voyages professionnels, l’insuffisance de fonds propres, une hausse massive des coûts de créations hôtelières (+/- 20 % de surcoût dans les investissements), une carence dans l’innovation et dans la prise en compte de la demande…
Sans compter les crises diverses qui traversent le pays depuis ces dernières années : gilets jaunes, grèves, manifestations, blocages, baisse du pouvoir d’achat… qui impactent défavorablement directement ou indirectement l’hôtellerie.
6) – Les prix des chambres qui s’envolent : conséquence de l’inflation, mais aussi d’une envie de rattrapage des pertes dues à la période Covid de deux années, avec une remontée de la demande, les hôteliers se sont permis un gros coup de pouce sur leurs tarifs. Et pas seulement en périodes de forte demande. Les prix ont pu jusqu’à tripler à Paris. Sauf que les clients d’hôtels interrogés régulièrement par Coach Omnium étaient déjà 3/4 à trouver les hôtels (trop) chers (par rapport à ce que cela valait ou à leur budget). Si les prix s’alourdissent, la corde risque de casser et l’image de l’hôtellerie ne devrait pas s’améliorer auprès des voyageurs, qui préféreront d’autres modes d’hébergement. Ce qui est déjà le cas, même le volume de nuitées se maintient encore.
7) – La création tous azimuts d’hôtels haut de gamme à luxe : comme déjà expliqué ci-dessus. Le problème est que de nombreuses créations dans ces gammes n’ont pas la clientèle pour les remplir convenablement et ne les auront jamais. Elles ont été souvent réalisées sans vraies études de marché ou avec des études de complaisance. Du coup, on casse les prix — pour sauver les taux d’occupation — avec pour conséquence une dégradation de la profitabilité et une concurrence déloyale envers les catégories inférieures
Il est certain qu’une grande professionnalisation de l’hôtellerie est en train de s’opérer, avec un avenir réservé uniquement aux plus compétents, aux plus grandes entreprises et aux hôteliers qui parviennent à s’adapter aux attentes des clientèles, en innovant.
Et surtout en sachant commercialiser leur offre, clef de voûte de la réussite en hôtellerie, avec la proposition d’un (bon) produit adapté aux clientèles. Si les chaînes les plus connues ont encore du succès, il y a bien de la place pour des hôteliers indépendants imaginatifs, volontaires et entreprenants, en étant surtout de bons commercialisateurs.
Car, si près de 2 hôteliers de grandes villes sur 3 réalisent une commercialisation active, c’est seulement 1 sur 5 dans les autres localisations. Les autres exploitants, sont soit passifs (pas de ventes offensives, attente aléatoire des clients, site Internet peu attractif…), soit ne font pas de commercialisation.
Mark Watkins