DMA n’est pas l’acronyme d’une nouvelle maladie de la vue, mais il pourrait faire tourner de l’oeil à plus d’un professionnel du tourisme pour lequel se distinguer sur les moteurs de recherche (Google en tête !) va devenir de plus en plus difficile … Et tout démarre le 6 mars prochain !
Pour faire simple, l’application de cette nouvelle loi européenne (voir plus bas) ne sera pas sans conséquence sur la manière dont les résultats vont s’afficher sur Google (1ère porte d’entrée des voyageurs cherchant à réserver). Car c’est bien là que tout commence quand il s’agit de réserver … ou de recevoir une réservation !
En clair, pour Google (qui s’est déclaré comme gatekeeper, voir plus loin) auprès de l’Europe, la première conséquence de l’application du nouveau règlement consistera, dès le 6 mars prochain, à ne plus privilégier l’affichage prioritaire de ses propres services de voyages (Google Hotels, Google Activités, etc) mais de faire en sorte que les services proposés par des “tiers” aient les mêmes “chances” de s’afficher en haut de page.
Concrètement, cela signifie que Google devra afficher moins souvent son propre comparateur de prix hôteliers, par exemple, et afficher plus fréquemment les offres comparées par ses concurrents comme Trivago, TripAdvisor, Kayak (qui est aussi sa filiale) ou d’autres, moins célèbres.
Pour mémoire, en 2017, Google avait écopé d’une amende de 2,42 milliards d’euros pour avoir donné la priorité à son propre service de comparaison de prix et donc d’avoir abusé de sa position dominante au détriment des services touristiques comme les comparateurs de prix cités plus haut; des comparateurs concurrents qui risquent donc d’être pris d’assaut par les hébergeurs compte tenu de leur nouvelle mise en valeur sur le premier moteur de recherche au monde.
Pour le CEO d’Accor, un règlement “rédigé à l’envers”
Pour Sebastien Bazin, le CEO d’Accor interviewé sur BFM Business le 22 février dernier, “le nouveau règlement oblige Google à faire remonter les plateformes de réservations au dessus des hôtels indépendants”. En clair, selon lui, “on demande à Google d’atténuer sa position dominante en faisant évoluer d’autres acteurs au sein de son propre système de distribution. Le problème c’est qu’ils font évoluer exactement ceux qu’on ne souhaitait pas, c’est-à-dire les OTAs”.
Pour le patron d’Accor, ce règlement est rédigé “à l’envers” et ce dernier ne compte pas en rester là, tout comme le principal syndicat hôtelier, l’UMIH. ==Même son de cloche, en effet, du côté du principal syndicat hôtelier: selon Véronique SIEGEL, la “patronne” de la branche hotellerie du syndicat présidé par le Chef Thierry Marx, “cette situation va rendre le référencement naturel des hôteliers indépendants encore plus difficile et devrait mettre plus en valeur comparateurs et OTAs; ce qui augmentera inéluctablement le montant des commissions et les coûts de distribution…”. Et d’annoncer que l’Europe est déjà saisie de ces incohérences et d’une injonction formelle à revoir sa copie rapidement …
💡
La conséquence immédiate de la mise en oeuvre du nouveau règlement par Google, dès le 6 mars prochain, pourrait donc aboutir à un renchérissement de la valeur des liens cliquables et donc, pour les OTAs qui en sont les principaux acheteurs, des commissions qui sont payées, au final, par les hébergeurs.
À l’inverse, cette nouvelle situation devrait profiter aux hébergeurs indépendants qui ont déjà investi les offres gratuites de Google (MyBusiness, Hôtel Direct ou Activités) car l’Europe incite à la mise en valeur des liens indépendants et gratuits …
Enfin, la position de Booking est observée avec intérêt car, selon sa décision, rejoindre l’Europe en tant que gatekeeper pourrait aussi avoir des conséquences positives pour les “indépendants” (voir plus bas).
Booking pourrait devenir “gatekeeper”
En effet, alors que l’UE n’avait considéré ni Booking ni Airbnb comme des gatekeepers (au titre du règlement DMA), le CEO de Booking, Glen Fogel a annoncé la semaine dernière que son entreprise prévoyait “de déposer prochainement (sa) notification de désignation en vertu du DMA”. En clair, devenir gatekeeper pour pouvoir se conformer à d’autres obligations, mais aussi d’autres facilitations juridiques, par exemple. Se placer sous ce “régime” garantit à un gatekeeper de ne dépendre que d’une réglementation (le DMA) et non pas d’autant de règlementations que de pays que compte l’UE: “Nous sommes convaincus qu’il s’agit du cadre le plus pertinent, une opportunité de convenir de solutions applicables à toute l’Europe plutôt que pays par pays” a déclaré un porte-parole de la plateforme, à la suite des déclarations de son big-boss.
La semaine dernière, par exemple, Booking a écopé d’une amende monstre en Espagne, soit 500 millions d’euros, suite à une plainte pour “pratiques déloyales” déposée par deux associations d’hôteliers. La société a fait appel de la décision, mais elle considère que “les principales préoccupations soulevées par les autorités espagnoles chevauchent celles du DMA”. D’où, certainement, sa démarche consistant désormais à se faire considérer au plus vite comme un gatekeeper.
Si la Commission accepte que Booking s’auto-désigne, la plateforme bénéficiera d’un avantage significatif dans ce nouveau cadre réglementaire. Elle évitera ainsi le contrôle réglementaire, pays par pays, appliqué aux gardiens et profitera des réglementations imposées à d’autres grandes plateformes comme Google. Cette situation ne donnerait pas que des avantages à Booking: selon certains spécialistes, elle changerait fondamentalement les règles du jeu dans le secteur en redonnant aux hôtels le contrôle sur leurs prix et leurs données, favorisant ainsi les ventes directes et donc, une concurrence plus équitable et une meilleure protection des utilisateurs.
À date, il est évident que les répercussions potentielles de cette réglementation ne sont pas encore claires, mais les syndicats semblent veiller au grain de peur que les hôteliers ne soient pris au dépourvu et que l’Europe obtienne, finalement, des effets inverses à ceux attendus…