Comme nous l’annoncions, la guerre entre les collectivités et les propriétaires de locations de courte durée ne fait pas que commencer mais, depuis cette fin d’année, les hostilités montent d’un cran sans précédent. Dans la capitale catalane, les propriétaires crient à “l’expropriation déguisée” et réclament une somme jusque là inédite dans ces conflits pionniers …
Si Barcelone a toujours fait office de précurseur en Europe sur les coups de vis de plus en plus secs donnés à l’économie de la location de courte durée (aux US, l’équivalent serait certainement NYC), la capitale catalane sera aussi la première à affronter une réaction en chaîne des plus inédites de la part des propriétaires de “meublés”.
Petit retour en arrière avec la dernière décision politique à l’origine du courroux des propriétaires immobiliers: d’ici 2028, en effet, la ville aura mis fin à 10.000 autorisations (ou licences) d’exploitation de locations de courte durée, sans le moindre retour en arrière possible !
Il faut dire que la pression politique a atteint son paroxysme avec le suicide de deux soeurs menacées d’expulsion locative … par un propriétaire désireux de “réformer” son bien en location de courte durée. Voilà pour le plus grave.
Ce fait s’ajoute à la longue liste des complaintes des citoyens, fatigués d’entendre les bruits des roulettes de valises dans leurs “communs” à toute heure du jour ou de la nuit, les nuisances sonores des fêtes improvisées par des “locataires” vivant à fond l’expérience de la “vida loca” … et, bien sûr, la pression spéculative qui s’exerce sur le parc immobilier au détriment du logement permanent. Résultat ? En 10 ans, les loyers barcelonais ont grimpé de 68% ! Assez pour attirer des investisseurs en masse et pour décourager les loyers des habitants permanents. “Trop c’est trop !” tonnent les élus de tous bords (progressistes) depuis quelques années … avec des passages à l’acte qui ne font plus dans la nuance; d’où la dernière mesure fixant la fin des réjouissances à 2028.
Pour de nombreux propriétaires, en vertu du décret-loi 3/2023 voté par le Parlement de Catalogne, cette mesure porte atteinte à leur liberté d’entreprendre, de tirer profit comme ils l’entendent de leur patrimoine (immobilier) et donc, se réclamant aussi du droit européen, de leur droit absolu de gérer leurs investissements comme ils l’entendent. Après plusieurs attaques de fond, les représentants de ce désormais puissant “lobby” passent à l’attaque en réclamant une somme pharaonique aux édiles barcelonaises; soit plus de 4,28 Milliards d’euros !
Le conflit atteint donc son paroxysme en raison aussi du fait qu’à Barcelone, la coupe déborde: deuxième destination touristique mondiale après Paris, ville préférée des européens pour leurs départs en weekend des quatre coins du Vieux Continent, Barcelone agit depuis quelques années comme un aimant à touristes qui ne faiblit jamais; On y dénombre près de 170.000 nouvelles arrivées chaque jour !
Pour les propriétaires immobiliers, l’aubaine est donc réelle d’où le fait que le marché ait pris une ampleur incontrôlée ces dernières années. À Barcelone, le tourisme rapporte 14% de sa production annuelle (PIB) et constitue un des principaux pourvoyeurs d’emploi de la cité portuaire.
La mesure radicale prise par la municipalité (supprimer 10.000 locations de courte durée d’ici 3 ans) a, cependant, été prise en même temps que celle visant à autoriser la création de 15.000 chambres d’hôtels supplémentaires; ce qui fait dire aux élus qu’ils ne renoncent pas à faire de leur ville une (très) grande capitale touristique. Mais, à l’hôtel d’abord !
Pour autant, la mesure ne passe pas auprès des 10.000 propriétaires concernés dont plus de 7.000 se sont ligués au sein de l’Apartur (l’Association des Appartements Touristiques de Barcelone). Et de réclamer plus de 4 Milliards d’euros de réparations financières car l’association “considère la mesure comme une expropriation secrète (…). Nos réclamations tiennent compte des dépenses et des investissements réalisés par les propriétaires d’appartements touristiques au cours des cinq dernières années, de même que le rendement qui serait obtenu si l’activité se poursuivait”.
Comme c’est le cas à Paris et dans d’autres villes du monde où les locations de meublés sont montrées du doigt, les groupes de pression s’organisent et affûtent leurs arguments : selon l’Apartur, l’action municipale est inadéquate car “les logements touristiques ne représenteraient que 1% du parc immobilier total”.
Selon ses promoteurs, le lien entre les meublés touristiques réglementés et le problème du logement permanent serait donc plus que contestable: “Les appartements touristiques réglementés ne sont pas la cause du problème du logement, et leur élimination ne garantit pas non plus qu’ils deviendront des logements résidentiels, puisque l’Administration ne peut pas obliger les propriétaires à donner un usage spécifique à leurs logements privés“, déclare le président d’APARTUR, Enrique Alcántara.
Selon l’association, les taxes collectées à Barcelone sur les locations meublées s’élèvent à 160 Millions d’euros par an soit presque le budget annuel de la ville (163,5 Millions) pour le logement social. Pour les propriétaires, il suffirait de “flecher” ces taxes touristiques vers le logement social et la ville doublerait ainsi son budget (et donc, les logements construits chaque année) pour loger les personnes en difficultés …
En visant le portefeuille des gouvernements régionaux et municipaux, les membres d’Apartur entendent ouvrir un nouveau front dans leur conflit juridique. Suite à leurs précédentes réactions, la Cour constitutionnelle espagnone a accepté de traiter un recours en inconstitutionnalité sur les décisions prises en vertu du Décret-Loi. Par ailleurs, la Commission européenne a ouvert une enquête pour violation des réglementations communautaires suite à l’approbation de ces réglementations par la Generalitat de Catalogne, et la Fédération catalane des appartements touristiques (Federatur) a également dénoncé le décret-loi catalan devant l’Union européenne. Les décisions qui découleront de ces actions devraient avoir des répercussions considérables partout en Europe, compte tenu des enjeux liés aux locations saisonnières qui secouent tout le Vieux Continent.==