LE DÉVELOPPEMENT DES CHAÎNES HÔTELIÈRES : DES PRATIQUES PAS TOUJOURS TRÈS CLEAN

Bien que de nombreuses enseignes opèrent de manière éthique, beaucoup sont régulièrement mises en cause. La méfiance et la vigilance sont donc à s’imposer avant de signer avec une chaîne.
Voici un état des lieux des problèmes les plus fréquemment soulevés par les hôteliers et investisseurs mécontents ou surpris par le catalogue des abus de chaînes :
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PROMESSES IRRÉALISTES OU ENJOLIVÉES
• Les têtes de réseau mettent en avant des taux d’occupation avantageux et des revenus flatteurs, souvent décorrélés de la réalité terrain. Comme il est interdit par le Code du commerce de remettre des données d’activité hôtel par hôtel, il est alors facile de présenter des chiffres globaux arrangeants, arrangés, voire fantasmés.
Exemple : Rejoindre un réseau qui a le vent en poupe et qui réalise de beaux scores de remplissage et de rentabilité ne peut qu’être attirant. C’est en tout cas ce que l’on veut démontrer.
• Les études de marché fournies, destinées à convaincre et rassurer le candidat, sont parfois biaisées ou trop optimistes. Soit, elles sont réalisées « maison » en n’y intégrant que ce qui favorise la situation de la chaîne, soit elles sont commandées à un ou des cabinets d’études (très) complaisants et accommodants, mais présentés comme indépendants.
Exemple : On indique au candidat à l’affiliation que le marché est porteur, y compris dans la destination dans laquelle se trouve(ra) son établissement, alors qu’il n’en est rien.
• La notoriété de la chaîne (la notoriété aide à vendre) peut être très largement gonflée, façon montgolfière. Soit, les scores de (re)connaissance de l’enseigne par le public s’appuient sur une étude sans valeur (on interroge le tout-venant qui ne va jamais à l’hôtel, l’institut qui a réalisé le sondage a bidonné les résultats, on a interrogé des hôteliers et pas des voyageurs, etc.), soit aucune étude n’a été réalisée pour démontrer une quelconque notoriété. En réalité, très peu de chaînes hôtelières détiennent une notoriété remarquable et suffisante pour convaincre : lire notre dossier.
Exemple : On promet à un hôtelier indépendant une hausse de 30 % de son CA dès la première année grâce à la notoriété de la marque.
• L’image de la chaîne auprès des clients de ses hôtels est souvent surévaluée. Mais, en consultant les notations et les commentaires des voyageurs sur différentes plateformes (Booking, TripAdvisor, Google, Expedia…) — et pas sur celle de la chaîne ou du groupe hôtelier —, on peut se rendre compte que les avis ne sont pas toujours aussi positifs que le développeur du réseau veut bien l’annoncer. Lire notre analyse.
Exemple : On avance que l’hôtelier-investisseur va rejoindre une chaîne au top en termes d’image et que cela profitera directement à son hôtel.
• Une performance maquillée de la centrale de réservations. Beaucoup de chaînes avancent que leur site génère un gros volume de réservations au profit de (leurs) hôtels affiliés. Sauf que bien souvent il s’agit des demandes émanant des OTAs (agences en ligne) qui passent par la plateforme de la chaîne, mais qui sont générées par ces OTAs. On a également vu que des chiffres fantastiques sont inventés. Facile puisqu’ils sont invérifiables.
Exemple : « Notre centrale a produit 30 % de réservations de plus sur un an » (tandis que les taux d’occupation des hôtels n’ont pas évolué).
• Un développement en trompe-l’œil. Les « recruteurs » d’affiliés/franchisés présentent souvent leur réseau comme étant un gros développeur, ce qui démontrerait que beaucoup d’hôteliers-investisseurs le trouvent crédible et désirable. Mais, il est rare que les têtes de réseaux disent combien d’hôtels les ont quittés et pour quelles raisons.
Exemple : « Nous avons agrandi la chaîne de 25 adresses cette année passée ». De facto, l’enseigne a perdu dans le même temps 44 affiliés, mais on se garde bien d’en parler.
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CONTRATS DÉSÉQUILIBRÉS
• Certains contrats de franchise ou d’affiliation favorisent largement le franchiseur au détriment de la liberté et des intérêts du franchisé.
• Durées longues (5 à 20 ans), clauses de non-concurrence et pénalités lourdes en cas de résiliation anticipée de l’affilié sont monnaie courante.
• Peu ou pas de garanties de performance : la chaîne n’est pas tenue pour responsable si les résultats ne suivent pas. En cas de contestation, elle aura à cœur de démontrer que toute la faute en revient à l’hôtelier.
• La chaîne peut accepter d’autres hôtels, y compris en filiales, dans le secteur géographique du franchisé/affilié, qui risquent de représenter une concurrence interne.
• Si l’investisseur signe un contrat de gestion/management avec la chaîne, son principe étant de dégager une rémunération sur la base du chiffre d’affaires et du résultat brut d’exploitation, le mandataire peut s’arranger pour réduire au maximum les charges (personnel, énergie, entretien…) afin d’augmenter sa marge. Au détriment de la satisfaction des clients fréquentant l’hôtel et de la pérennité de l’établissement.
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PRESSION COMMERCIALE
• Les chaînes pratiquent parfois une pression insistante pour convaincre des hôteliers à s’affilier, notamment lors de salons professionnels ou de visites de prospection (stress marketing).
• Certains petits hôteliers se sentent manipulés ou mal informés au moment de signer.
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FRAIS CACHÉS OU MAL EXPLIQUÉS
• Outre les redevances de marque (souvent entre 4 et 10 % du chiffre d’affaires total) pour les franchises, il existe :
- Des droits d’entrée, basés la plupart du temps sur le nombre de chambres disponibles,
- Des frais de réservations sur chaque nuitée vendue via les canaux de la chaîne,
- Des frais marketing globaux et autres charges additionnelles (contribution aux campagnes de publicité, sales blitz, visites-mystère, participation aux conventions annuelles, etc.),
- Des coûts de mise aux normes non négligeables (dont enseigne et pré-enseignes).
• Compte tenu de la faible notoriété, de la mauvaise image et/ou du peu de moyens commerciaux engagés par de nombreuses chaînes, les redevances/cotisations qu’elles réclament peuvent très fréquemment être considérées comme abusives et injustifiées, pour des retombées et retours sur investissement faibles à décevants.
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MAUVAIS ACCOMPAGNEMENT APRÈS SIGNATURE
• Une fois l’hôtel affilié, certains franchisés/adhérents dénoncent un manque de soutien, voire une forme d’abandon.
• Les promesses de formation, d’accompagnement marketing ou de visibilité ne sont pas toujours suivies d’effets.
• L’hôtel peut être intégré dans un réseau surchargé, où il devient un établissement de plus sans réel levier de différenciation. Beaucoup d’hôteliers se plaignent d’un manque de contacts humains et de n’être plus que des numéros.
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CONFLITS ET LITIGES
• Des procès opposant chaînes et franchisés ne sont pas rares, notamment pour :
- Résiliation anticipée du contrat,
- Défaut d’accompagnement par le franchiseur,
- Fausses déclarations commerciales.
Exemple réel (de manière anonymisée) :
Un hôtelier indépendant signe avec une chaîne en pensant augmenter sa clientèle, dont étrangère. Il investit pour rénover ses chambres selon le cahier des charges du franchiseur. Trois ans plus tard, l’établissement n’a pas gagné en visibilité, ni en occupation, les commissions sur les réservations sont élevées et la relation avec le siège est distante. Le contrat court encore deux ans, avec des frais de sortie trop élevés pour partir.
CONSEILS AUX HÔTELIERS ET INVESTISSEURS AVANT DE REJOINDRE UNE CHAÎNE :
- Faites relire le contrat, dont les clauses de sortie, par un avocat-conseil spécialisé.
- Contactez d’autres franchisés/affiliés du réseau pour avoir un retour d’expérience objectif, mais uniquement choisis par hasard et non à partir d’une liste remise par la chaîne. Trouver des affiliés ayant quitté la chaîne peut être un plus pour en savoir davantage.
- Évaluez les coûts totaux (pas seulement les frais d’entrée ou fixes).
- Demandez des preuves concrètes de performance (chiffres, études).
- Faites établir une liste (écrite et à conserver) des moyens commerciaux et de marketing que la chaîne développe au profit de ses membres.
- Faites-vous conseiller par un consultant (réellement) indépendant spécialisé en marketing hôtelier, qui vous donnera un avis sur l’efficacité commerciale de la chaîne.
- Vérifiez l’e-réputation d’un gros échantillon d’hôtels du réseau sur les plateformes d’avis en ligne (commentaires et notations).
- Demandez à rencontrer le ou les contacts qui seront en relations permanentes avec vous, si vous vous affiliez. Si un bon feeling peut exister avec le développeur, lui est juste de passage dans la transaction.
Mark Watkins
