HÔTELLERIE : MÉFIANCE SUR LES CONTRATS DE GESTION
Les mandats de gestion sont de plus en plus proposés à des propriétaires d’hôtels, mais ce n’est que rarement la panacée. Pouvant être utiles, ils restent cependant coûteux et les dérives sont nombreuses. Je vous explique tout ça.
QU’EST-CE QUE LE CONTRAT DE GESTION HÔTELIÈRE ?
Dans ce type de contrat (appelé également Management Contract ou mandat de gestion/management), le propriétaire de l’hôtel (fonds de commerce, avec ou sans les murs) engage une société de gestion hôtelière pour exploiter quotidiennement l’établissement.
Celle-ci assure en lieu et place du propriétaire, par délégation, l’ensemble de l’opération, dont la direction de l’hôtel, son organisation, la gestion du personnel, le marketing, l’exploitation (activité et charges), la comptabilité et autres. Le propriétaire, à qui appartient le fonds de commerce, conserve la responsabilité sociale, juridique et commerciale, ainsi que la propriété de l’actif.
En somme, il reste responsable de l’hôtel et des actes du gestionnaire, quand bien même il ne tient pas/plus les rênes de l’établissement. On comprend que la confiance doit être totale envers le mandataire, car les risques de sorties de route sont nombreux. Il rémunère ce dernier en honoraires ou via une commission basée sur les performances.
QUI SONT LES MANDATAIRES DE GESTION ?
On trouve majoritairement deux cas de figure :
1) – Sociétés de gestion hôtelière : généralement, il s’agit d’anciens directeurs(trices) d’hôtels ayant monté une petite structure, avec un ou des collaborateurs, voire en statut unipersonnel. Ils ont en général travaillé comme salariés dans un ou des groupes hôteliers et détiennent un savoir-faire acquis par ce biais. Ils peuvent proposer un contrat court de remplacement, par exemple pour que l’hôtelier d’un petit établissement puisse partir en vacances ou en cas de maladie, ou un mandat long pour prendre totalement en charge l’exploitation de l’hôtel.
2) – Les groupes hôteliers produisent ce service, en plus de la franchise à l’un de leur réseau. On voit également quelques chaînes hôtelières volontaires aller dans ce sens, ce qui leur permet un élargissement de leurs revenus. Dans ces deux cas, ce sont des mandats de gestion longs (de 3 à 5 ans, renouvelables).
La plupart du temps, ce n’est pas le mandataire de gestion qui sera lui-même sur le terrain dans l’hôtel, se contentant de contrôles à distance et de visites …de temps en temps. Il installera un directeur qui lui rendra compte et qui sera cependant payé par le propriétaire (le mandant).
POUR QUELLES SITUATIONS ?
Contracter un mandat de gestion ou contrat de management peut intéresser en premier les propriétaires non hôteliers, qui n’ont pas envie de salarier un directeur d’hôtel pour s’occuper de l’exploitation ou qui ne sauraient pas le superviser. Ils voient l’hôtel comme un simple investissement et ne souhaitent pas s’occuper de son quotidien.
Cela peut également intéresser des hôteliers qui souhaitent prendre leur retraite tout en conservant le fonds de commerce ou en attendant qu’il soit vendu. On trouve également, encore une fois, des cas de remplacements pour absence momentanée pour maladie, vacances ou autre (contrats courts).
CONDITIONS POUR INTÉRESSER UN MANDATAIRE DE GESTION

AVANTAGES POUR LE PROPRIÉTAIRE DE L’HÔTEL :
- Conservation de la propriété : l’hôtel (avec ou sans restaurant) reste son actif, contrairement à une cession ou une location-gérance qui donne davantage d’autonomie au locataire.
- Revenus réguliers : il perçoit une rémunération (fixe et/ou variable) sans devoir gérer lui-même l’exploitation.
- Délégation opérationnelle : plus besoin de s’occuper du personnel, des fournisseurs, du marketing, de la réglementation… le mandataire fait sien de la gestion quotidienne, avec tout ce que cela implique comme contraintes et ennuis… On se repose sur lui.
- Maîtrise stratégique : contrairement à la location-gérance, le propriétaire garde un droit de regard, peut fixer des objectifs de performance et suivre les comptes.
- Souplesse contractuelle : le mandat peut être conclu pour une durée déterminée et plus facilement révisé ou résilié qu’un bail commercial.
- Préservation de la valeur patrimoniale : l’établissement continue d’être exploité, ce qui entretient la notoriété et la valeur du fonds.
- Solution en attendant une vente de l’hôtel : le contrat de management permet de ne plus s’occuper de l’établissement jusqu’à l’arrivée d’un repreneur.
INCONVÉNIENTS POUR LE PROPRIÉTAIRE DE L’HÔTEL :
- Confiance : il faut être en grande confiance envers le mandataire, pour les raisons expliquées ci-après.
- Coût du gestionnaire : les honoraires de gestion peuvent être significatifs, réduisant la rentabilité nette. Il est fréquent de trouver une rémunération à hauteur d’un pourcentage sur le chiffre d’affaires HT (souvent 3 %) et sur le RBE (généralement de 6 à 8 %), hors loyer, Capex et amortissements. D’autant plus que le mandataire de gestion va travailler avec des plateformes en ligne (Booking, Expedia…) et que cela ne va pas économiser des commissions à leur payer. Plus globalement, toutes les autres charges d’exploitation ne seront évidemment pas diminuées par ce type de gestion par délégation.
- Moins de profits qu’en gestion directe : si l’hôtel-restaurant performe bien, le gain est donc inférieur à celui qu’il aurait eu en exploitant lui-même.
- Dépendance au gestionnaire : les résultats reposent sur la qualité et l’implication du mandataire, qu’on ne connaît qu’après de longs mois de pratique dans l’hôtel.
- Moins d’autonomie au quotidien : même s’il garde le contrôle stratégique, il ne prend plus les décisions opérationnelles. Il est courant que le gestionnaire interdise au propriétaire de s’immiscer directement dans l’hôtel et impose de lui rendre des comptes qu’une à deux fois par an.
- Le mandataire n’investit pas financièrement dans l’hôtel, ce qui l’engage nettement moins — pour ne pas dire pas du tout — et le rend de facto peu responsable.
- Exigences: ce dernier peut avoir tendance à demander toujours davantage d’investissements au propriétaire, souvent exagérément et de manière injustifiée, et parfois pour masquer son incapacité commerciale. Par exemple — cela s’est vu — exiger l’achat d’un billard parce que « sinon, les clients ne viendront pas en séminaires ».
- Limites de capacités: le gestionnaire par délégation détient rarement toutes les qualités requises pour exploiter et rentabiliser un hôtel. Il peut être bon commercial mais mauvais gestionnaire, ou l’inverse ; bon manager et bon meneur d’équipe mais mauvais technicien ou marketeur, ou l’inverse, etc.
RISQUES POUR LE PROPRIÉTAIRE DE L’HÔTEL
- Responsabilité : encore une fois, le propriétaire de l’hôtel reste responsable à tous points de vue (finances, gestion, comptabilité, social…) et sera poursuivi en cas de dérapage frauduleux ou par incompétence de son mandataire de gestion. Il sera alors obligé de se retourner contre ce dernier avec ce que cela comprend de lourdeur, de frais et d’agacement.
- Notoriété : se fier uniquement à la notoriété d’une société de gestion hôtelière et même d’un groupe hôtelier pour leur confier un mandat de gestion peut être trompeur. Si les contrats peuvent être cadrés, cela ne signifie pas que le travail sera fait avec implication, sérieux et professionnalisme. Se renseigner concrètement.
- Mauvaise gestion : un mandataire nul ou négligent peut dégrader l’image, la clientèle et la valeur de l’hôtel-restaurant. Heureusement qu’avec les avis en ligne, il est possible de vite s’en rendre compte. Mais souvent, il est trop tard.
- Les clefs de l’hôtel étant remises au gestionnaire, il dépense à sa guise, parfois déraisonnablement, les charges sortant de la poche du propriétaire.
- Conflits contractuels : litiges possibles (et courants) sur les frais, la répartition des charges, la transparence des comptes ou les objectifs de gestion.
- Responsabilités résiduelles : selon la rédaction du contrat, le propriétaire reste responsable de certaines dettes sociales, fiscales ou environnementales liées à l’exploitation. Par exemple, en cas de licenciement(s) à l’initiative du mandataire de gestion, c’est le propriétaire qui peut se retrouver aux Prud’hommes.
- Perte de flexibilité en cours de contrat : si les résultats sont décevants, il peut être difficile ou coûteux de rompre le mandat avant son terme. Il peut également être compliqué de démontrer en quoi le gestionnaire est fautif.
- Peu d’obligations contractuelles : en principe, dans le cadre d’un contrat de gestion hôtelière, le mandataire a une obligation de moyens et non de résultat. Et encore, ce sont les moyens payés par l’hôtel exploité.
Le mandataire doit agir conformément aux règles de l’art, avec loyauté et diligence (art. 1992 du Code civil sur le mandat), mais n’est pas tenu de garantir le succès économique de l’exploitation hôtelière. Si un contrat devait obliger l’exploitant à atteindre des objectifs de gestion/activité (remplissage, CA et/ou RBE), ce dernier aura la plupart du temps de nombreux arguments pour expliquer que cela ne lui a pas été possible, indépendamment de sa volonté : « le propriétaire n’a pas consenti à augmenter les moyens pour y parvenir », « la conjoncture », « l’arrivée locale d’un (méchant) concurrent », « les problèmes universels pour trouver du personnel », « les hausses exogènes de charges (salaires, énergie, marchandises, etc.) ». - Triche : on a fréquemment vu des gestionnaires s’arranger pour réduire au maximum les charges d’exploitation dans le dessein d’augmenter le RBE sur la base duquel ils sont rémunérés (plus le RBE est gros, plus ils gagnent). Pour cela, il est facile de diminuer les coûts de personnel (salaires bas, moins d’effectif…), d’entretien-maintenance et d’énergie, le budget de promotion, les achats, etc. Le résultat est que ces économies vont très rapidement engendrer une insatisfaction des clients mais aussi du personnel (en surcharge de travail) et générer des dysfonctionnements et une mauvaise image pour l’hôtel. Cet écart de conduite est d’autant plus courant quand les mandats de gestion sont délimités dans un temps court ou que le mandataire sent que le contrat va se terminer bientôt (non renouvellement).
- Parasitisme : dans le cas des groupes hôteliers assurant la gestion d’hôtels en franchise, des critiques récurrentes, justifiées ou non, portent sur des détournements de clients vers des hôtels filiales du groupe se trouvant dans la même destination.
8 CONSEILS (au moins) POUR ÉVITER LES DÉCONVENUES ?

- Avant de confier son établissement hôtelier à un mandataire de gestion, il est prudent de se renseigner sur lui, et notamment auprès d’autres propriétaires ayant eu affaire à cet exploitant par délégation.
- Demander à recevoir par le gestionnaire, chaque mois, les comptes d’exploitation avec les explications idoines sur les écarts et évolutions (activité et charges). Ne pas se contenter des ratios (comparés en général aux moyennes du secteur) mais analyser les données en valeurs absolues, dont les frais de personnel (organigramme, effectifs, salaires).
- Exiger que les grosses dépenses envisagées par le mandataire fassent l’objet d’une autorisation préalable du propriétaire.
- Vérifier en permanence l’e-réputation sur l’hôtel et obtenir des éclaircissements sur les cas de clients exprimant leur mécontentement.
- Faire réaliser au moins deux visites-mystère dans l’année (sans que le gestionnaire ne soit prévenu) par un consultant indépendant ou des amis pour se rendre compte de l’état de l’hôtel et de la qualité de l’accueil, voire pour vérifier sur place des avis critiques de vrais clients.
- Rencontrer des membres du personnel pour sonder leur satisfaction, l’ambiance et les moyens qu’on leur donne pour travailler correctement.
- Fixer des objectifs de remplissage avec le gestionnaire en se basant sur une étude de marché réalisée de façon indépendante par un autre prestataire (et pas par celui recommandé par le mandataire). Un mandataire aura fréquemment la tentation de promettre des résultats miraculeux et irréalistes juste pour se voir attribuer le contrat de gestion.
- Faire rédiger ou vérifier le mandat de gestion par un avocat d’affaires.
Si le propriétaire n’est pas compétent pour comprendre l’exploitation hôtelière, il peut être assisté par un consultant indépendant spécialisé en hôtellerie (par exemple, Coach Omnium) qui pourra l’assister et l’éclairer.
EN RÉSUMÉ :
Pour un propriétaire, le mandat de gestion est intéressant s’il veut garder son patrimoine, percevoir un revenu et éviter l’opérationnel.
Mais, il doit être vigilant sur le choix du gestionnaire, la rédaction du contrat et mettre en place des outils de suivi et de contrôle pour limiter les risques. Le mandat de gestion peut éventuellement être un bon service (payant) ou une solution provisoire / transitoire, le temps de trouver un exploitant durable.
Pour autant, je ne recommande surtout pas cette solution sur du long terme.
Mark Watkins

