LES RESTAURATEURS FONT-ILS TOUT POUR SE DONNER UNE BONNE IMAGE ?
Des restaurateurs qui attendent des clients qui n’entrent pas dans leur établissement.
L’été 2025 a marqué la restauration au fer par une désaffection apparemment plus prononcée qu’auparavant de la clientèle. Tout le monde se questionne sur les causes de ce désastre, qui pourtant ne date pas d’aujourd’hui.
Les restaurants auraient-ils finalement une mauvaise image — justifiée ou non —, comme de vulgaires garagistes, agents immobiliers ou taxis ?
La mauvaise réputation des restaurateurs et de leur établissement — ou du moins, la perception négative que certains peuvent avoir du métier et de l’offre — s’explique par un mélange d’origines historiques, économiques et culturelles. C’est un peu une « recette » composée de plusieurs ingrédients dont beaucoup sont anciennes :
UNE HISTOIRE ANCIENNE DE SOUPÇON SUR LA RESTAURATION
• XVIIIᵉ–XIXᵉ siècles : les aubergistes et cabaretiers étaient parfois accusés d’arnaquer les voyageurs (mauvaise qualité des produits, vins coupés à l’eau, prix gonflés, aliments d’origine douteuse…). Les récits de voyageurs et la littérature (Balzac, Zola, Hugo…) ont contribué à ancrer l’image d’un restaurateur rusé ou avare, au détriment de ses clients.
• Marché opaque : avant les normes d’hygiène et la traçabilité, il était courant de recycler ou maquiller les denrées pour éviter les pertes, ce qui nourrissait la méfiance.
• Une ignorance des bonnes conditions d’hygiène : il était fréquent que les clients subissent des intoxications alimentaires menant parfois jusqu’à la mort…
UN RAPPORT AU PRIX QUI EST SOUVENT CONFLICTUEL
• Les clients se sentent parfois « piégés » dans des zones touristiques avec des prix élevés et des portions jugées chiches.
• Prix : plus largement, de plus en plus de Français et de touristes étrangers trouvent que les prix des restaurants sont devenus exagérément élevés. Soit que le rapport qualité/prix est décevant (on paie cher pour ce que l’on nous propose), soit que le rapport budget/prix est mauvais (c’est cher pour notre budget). Quand les tarifs des plats sont limités, ce n’est alors plus le cas du vin (alors que ce produit ne réclame aucun travail de la part du restaurateur) et des desserts. Résultats : on assiste au pire à une désaffection des consommateurs et aux dépôts de mauvais avis en ligne. Au mieux, des clients qui ne prennent plus de vin ni de dessert…
=> L’addition moyenne (par repas) en restauration a augmenté de près de 25 % entre 2021 et 2025 (Insee), contre 13,7 % pour l’inflation en France.
• Répercussion des hausses de charges : les restaurateurs répondent qu’ils ont été obligés de répercuter les hausses de charges dans leurs prix (énergie, salaires, matières premières…). Mais, cet argument ne peut pas toucher le public, ni le rendre solidaire, lequel a lui aussi ses propres charges qui ont augmenté.
• Entrée facile : contrairement à bon nombre d’autres métiers, nul besoin d’un diplôme pour être restaurateur. Tout le monde peut y entrer, en passant juste par un permis d’exploiter qui dure 20 heures (vente d’alcool). Quand on pense que l’on peut risquer la vie de gens en cuisinant, cela fait réfléchir…
UN SECTEUR MAL COMPRIS
• En France, la gastronomie est un symbole national : quand la perception de la prestation ne correspond pas à l’attente, la déception se transforme vite en critique.
• Les clients ne voient généralement que ce que contient leur assiette et sont tentés de parfois (souvent ?) comparer son contenu avec ce qu’ils font chez eux, à moindre coût. Alors qu’un restaurant c’est bien sûr plus que cela : un service (achats, cuisine, plonge, service à table…), un cadre, de la vaisselle, des charges d’exploitation, un savoir-faire, etc. En somme, les restaurateurs ne savent pas forcément valoriser ce qu’ils font.
• Pour une majorité de consommateurs aller au restaurant s’est banalisé, d’autant plus avec la généralisation des titres restaurant (environ 5,5 millions de salariés en sont bénéficiaires). Il n’y a donc plus le côté exceptionnel (sauf pour les grandes tables) et l’on est blasé et donc facilement critique. D’autant plus que les cartes des restaurants et des brasseries proposent uniformément de plus en plus la même chose, avec des hamburgers et des pizzas en veux-tu-en-voilà (ce qui se vend le plus). Pas de quoi susciter un grand intérêt.
CONDITIONS DE TRAVAIL ET IMPACT SUR L’ACCUEIL
• Le métier est extrêmement exigeant, avec de longues journées, des rythmes soutenus, l’imposition des coupures d’après-midi, une pression constante et des conditions de travail difficiles, notamment en cuisine avec la chaleur et les coups de feu. Fatigue et stress peuvent se traduire par un accueil moins chaleureux envers la clientèle et, en conséquence, une impatience ressentie par cette dernière.
• Les salaires historiquement bas et la difficulté à recruter du personnel (et à le garder !) peuvent entraîner du personnel peu formé, renforçant la mauvaise perception des prestations par les clients. À noter que la restauration emploie 28 % de personnel au SMIC contre 15 % tous secteurs d’activité privés confondus. Mais, la hausse obligée des rémunérations pour trouver du personnel a fait chuter cette part de smicards qui était à près de 40 % en 2023.
INFLUENCE DES MÉDIAS ET RÉSEAUX SOCIAUX
Des restaurateurs qui se font livrer des plats industriels à réchauffer.
• Les émissions de type Cauchemar en cuisine (Gordon Ramsay, Philippe Etchebest en France) ou les reportages sur les « arnaques à touristes » entretiennent l’idée qu’il y a beaucoup de restaurants mal gérés ou malhonnêtes.
• Les plateformes d’avis (TripAdvisor, Google, Thefork…) amplifient les avis négatifs qui peuvent jouer sur la réputation et en corollaire sur la fréquentation des restaurants concernés.
• L’esprit « Thénardier » : de très nombreux employés se plaignent depuis des lustres des caractères exécrables des chefs de cuisine et/ou des exploitants, des cas de violence et de harcèlement moral et sexuel (y compris par de grands chefs étoilés) ou encore du non-respect du Code du travail. Cela s’ébruite et les médias en font l’écho de plus en plus souvent. Quelques livres ont même été consacrés à ce phénomène, dont « Violences en cuisine » de Nora Bouazzouni. À noter que près de 450.000 salariés ont quitté le secteur pendant la crise du Covid pour ne pas revenir travailler en restauration.
• Des reportages réguliers dénoncent les plats industriels servis en tout ou partie par de nombreux restaurateurs (on les estime à 8 sur 10). Les Français sont choqués qu’il n’y ait pas de vrais cuisiniers sur place et que l’on se contente d’ouvrir des sachets sous-vides et de les réchauffer au micro-ondes…
• Le faux fait-maison contribue au manque de transparence de la profession : on fait croire que tout est cuisiné sur place alors qu’il s’agit soit de cuisine d’assemblage, soit de plats industriels.
• Les fermetures administratives pour manque d’hygiène largement annoncés dans la presse régionale.
• La polémique sur la baisse de la TVA dans la restauration : bien qu’elle date de 2009, elle est restée dans la mémoire collective. À l’époque, en contrepartie d’une baisse de la TVA passant de 19,6 % à 5,5 %, les restaurateurs avaient promis qu’une partie de cette réduction se traduirait par une diminution des prix sur les cartes. Sachant que ce sont les consommateurs qui paient la TVA et pas les entreprises qui la collectent. La réduction des prix n’a pas eu lieu et on a accusé les restaurateurs ne garder pour eux le différentiel de la taxe (payée par leurs clients).
• Black : il arrive encore souvent que des restaurateurs prétextent une panne du terminal de paiement par carte bancaire pour demander le règlement des additions en espèces. On devine que ce chiffre d’affaires ne sera pas déclaré, ni la TVA payée.
• Titres-Restaurant : le fait que les porteurs de titres restaurant, dont généralement la moitié de la valeur est payée par les salariés, puissent acheter des produits alimentaires dans les supermarchés énervent gravement les restaurateurs. Si on avait appelé ces bons « titres-repas » au lieu de « titres-restaurant » cela aurait réglé le problème depuis longtemps ! Cette polémique ne contribue pas à valoriser les restaurateurs, qui d’un côté veulent qu’on ne dépense les titres-restaurant que chez eux et qui de l’autre côté râlent contre des entreprises qui les éditent et les gèrent.
• De grands plaintifs : plus largement, il ne se passe plus une semaine sans que les restaurateurs et leurs syndicats se lancent dans des jérémiades sans fin, ce qui arrive aux yeux et oreilles du grand public. Pas de quoi séduire quand on revendique en permanence et que l’on parle de ses problèmes dans un métier qui devrait faire rêver. Imagine-t-on un acteur de théâtre s’arrêter soudainement de jouer la pièce et parler au public présent dans la salle de ses problèmes ?
Les sujets réels ou fantasmés de mécontentement sont aussi nombreux que les pâtes dans un plat de spaghettis : titres-restaurant (voir ci-dessus), para-concurrence, problèmes pour le remboursement des PGE (Prêts Garantis par l’État datant du Covid), TVA, difficultés à recruter (et à payer), liquidations, inflation dans les charges, clients qui déposent des avis négatifs, contrôles administratifs, etc.
UNE MINORITÉ QUI NUIT À LA MAJORITÉ
On a envie de croire que la plupart des restaurateurs sont passionnés et honnêtes. Mais quelques pratiques douteuses (plats industriels revendus comme « maison », surgelé non signalé, additions gonflées…) suffisent à alimenter une réputation globale.
En résumé, cette mauvaise image est le fruit d’une méfiance ancienne, renforcée par des attentes élevées et des perceptions ponctuelles négatives qui se diffusent vite. Historiquement, c’est un peu le même problème que celui des hôteliers ou des taxis : quand le client est de passage et qu’il ne reviendra pas, la tentation de le « charger » a laissé des traces dans l’imaginaire collectif.
QUID DES FERMETURES DE RESTAURANTS ?
Les organisations professionnelles parlent de 25 fermetures de restaurants par jour en France. C’est sans compter les créations de restaurants. Car s’il y avait 103.200 établissements en 2019, il en existait 137.830 en 2024, soit 33 % de plus (source Insee). On compte 9.388 restaurants traditionnels avec service à table à avoir fermé depuis 2022.
Mark Watkins
