La fermentation, qui consiste à transformer les aliments grâce à des micro-organismes, n’est pas de prime jeunesse. “Avec le service de recherche et développement du Mirazur, nous travaillons avec une anthropologue et archéologue et nous faisons des études sur les habitudes alimentaires des premiers habitants de notre région : les aliments fermentés sont bien présents !”, introduit Mauro Colagreco. Dans son restaurant triplement étoilé de Menton (Alpes-Maritimes), cette technique ancestrale se retrouve dans les créations maison comme les pains au levain naturel, les boissons fermentées non alcoolisées (kéfir, kombucha, pétillants naturels), les vinaigres, les pickles et les légumes lactofermentés… Et pour cause : « La fermentation permet d’améliorer la palatabilité de certains aliments qui sans ce processus seraient difficilement consommables. Au niveau gustatif, il y a de nouvelles molécules gustatives et de nouveaux arômes qui se développent, ce qui rend les aliments fermentés très intéressants et riches dans l’expérience sensorielle. Enfin, si les aliments fermentés ne sont pas ensuite pasteurisés, ils offrent des bactéries et des levures bénéfiques qui vont avoir un impact positif sur notre santé”, enchaîne le chef.
Acidité de terroir
De son côté, Stéphane Enault, chef de l’établissement gastronomique Les Roseaux pensants à Cormery (Indre-et-Loire), décline les kimchi (de chou, radis, navet, poire peu mûre…), les légumes lactofermentés, les tempeh (par exemple, avec du quinoa du Berry), les miso (à base d’orge, de riz, de lentilles ou pois chiche)… “La fermentation nous aide au quotidien à composer nos assiettes. En cuisine gastronomique ou semi-gastronomique, il y a des repères de goût. Et l’acide en France est souvent assimilé aux agrumes ou aux vinaigres. En Touraine, pour exprimer notre terroir et avoir de l’acidité, la fermentation est une excellente option. Même en restauration rapide : j’espère pouvoir proposer un jour une deuxième adresse avec des produits fermentés dans des sandwichs. Quant au miso, on l’utilise pour relever le goût dans les bouillons ou même sous forme de glace”, précise-t-il.
Gastronomie circulaire
Autre atout de la fermentation : son aspect durable. Elle ne nécessite ni cuisson ni réfrigération, et évite tout gaspillage. “Nous utilisons toutes les parties des plantes, de fruits ou racines qui n’entrent pas dans l’élaboration des plats – celles dites moins nobles -, et essayons de les utiliser pour faire d’autres préparations comme les vinaigres, les lactofermentés, les pickles, rappelle Mauro Colagreco. Nous appliquons le même principe quand il y a un surplus de production dans nos cinq hectares de jardins en permaculture et biodynamie. C’est le cas surtout pour les fleurs, très éphémères et fragiles, comme les acacias, le tilleul, le sureau, les tagetes… Elles sont ainsi transformées et stockées dans notre cave pour les utiliser et enrichir nos préparations. Cela fait vraiment partie de notre gastronomie circulaire ! Avec les restes de poisson, nous faisons également un garum, une sauce fermentée, sans doute la première de toutes les sauces : elle était le principal condiment utilisé à Rome dès la période étrusque et en Grèce antique.” La fermentation est décidément indémodable.