Entretien avec Jean Pochoy, ancien Directeur Général d’Azuréva. Il revient sur le rôle du tourisme social et son impact sur le tissu économique français. Après 9 ans à la tête de la structure, il passe le relai au moment où les défis sont nombreux pour le tourisme social.
Quel bilan 2022 et quelles perspectives 2023 ?
L’année 2022 a été une année de très forte reprise, 2023 est une année moins dynamique. Nous commençons à avoir quelques problématiques, au niveau national mais nous voyons des remplissages très disparates. On s’aperçoit que certaines régions qui étaient très porteuses ont quelques problématiques et des régions qui l’étaient beaucoup moins, la Normandie ou la Bretagne, le nord de l’Atlantique, sont beaucoup plus dynamiques.
Nous ne connaissons pas vraiment les raisons de ces changements. On peut en imaginer quelques-unes et notamment la canicule de l’an dernier. En campagne en montagne aussi la fréquentation évolue très positivement. Nous avons la chance d’avoir des sites partout en France et qui sont assez exceptionnels.
Cette saison estivale s’annonce plutôt bonne sans être extraordinaire. La région Occitanie est par exemple à date (22/06/2023 NDR) en retard de 10% sur les réservations par rapport à l’année dernière. Après il ne faut pas négliger les réservations de dernière minute qui risque d’être importantes cette année également.
Azuréva cible historiquement les clientèles qui ont moins facilement accès aux vacances, comment fixez-vous vos prix ?
Nous sommes en effet un acteur du tourisme social avec toujours une volonté de travailler au juste prix. Nous n’avons pas vocation à faire des bénéfices. Les bénéfices que nous faisons sont complètement reversés, soit pour les salariés, soit pour nos clients dans les investissements. Il n’y a pas de distribution de dividendes, donc pas de course aux bénéfices. Toutefois, nous ne pouvons pas non plus nous permettre de pratiquer des tarifications qui sont par nature déficitaires du fait de l’inflation.
Pour essayer d’aller vers nos clients, nous avons décidé d’absorber une partie de cet écart, ainsi par rapport au prix public, nous avons fait des promotions qui permettent aujourd’hui à nos clients de pouvoir partir à des tarifs tout à fait cohérents.
Comment se porte aujourd’hui le tourisme social ?
Le tourisme social aujourd’hui est dans une situation compliquée. Pendant des années, depuis la création de ce mouvement, les entreprises via les CSE et CE à l’époque ou voire les municipalités étaient exploitantes et mettaient à disposition des hébergements pour le tourisme social. Ces établissements étaient financés par les aides, donc de ce fait l’exploitant était subventionné. Il avait donc la possibilité de pratiquer des prix très accessibles.
D’année en année, le système a changé et aujourd’hui c’est le salarié qui est financé. Ça n’est plus du tout la structure, ce qui veut dire que les structures hébergeurs qui font partie du tourisme social se retrouvent sur un marché complètement concurrentiel. Ils ont les mêmes charges, ils doivent faire face aux mêmes réglementations, aux mêmes augmentations tarifaires et ils ont affaire à un public aidé mais qui l’est moins qu’avant.
L’aide était ciblée aux vacances uniquement. Aujourd’hui, les chèques vacances ou d’autres méthodes, sont ciblées beaucoup plus largement. Vous pouvez payer des restaurants ou encore de l’alimentaire. Ce qui est très bien pour le citoyen, mais le fait est que cette aide n’est plus ciblée. Le tourisme social se trouve confronté à une crise.
Il faut investir, il faut entretenir le patrimoine, il faut donc qu’on trouve des clients. A date nous sommes dans un no man’s Land de l’économie, c’est-à-dire un modèle économique qui ne tourne plus.
Le droit aux vacances, ça n’est pas que le droit de rien faire, c’est aussi le droit de se ressourcer, de pouvoir oublier ses tracas. Il y a un côté médical dans le fait de partir en vacances, notamment quand on voit le taux actuel de burn-out. Je pense que le les vacances sont aussi un amortisseur.
Il y a un gros travail à faire avec le gouvernement et les institutions pour restructurer cette activité. Il y a bien de l’action sociale autour du départ des plus démunis, mais elle ne vise que certains types de populations et certains quartiers. Les autres, sous prétexte qu’ils vivent dans des milieux plus ruraux, ne sont pas pris en compte. Idem pour les séniors alors que ce ne sont pas forcément eux qui sont le plus privés de vacances.
C’est un fait d’ici à ce que les décisions soient prises, pour peu qu’elles le soient, au niveau gouvernemental, il va se passer du temps. En attendant comment s’adapter en tant qu’acteur de l’économie de ce tourisme dit social ?
On s’adapte de plusieurs façons. La première, c’est qu’évidemment ça nous rend particulièrement créatifs sur la recherche d’économies et la gestion. Nous avons appris à gérer au plus juste, ce qui n’était pas forcément le cas avant.
Nous avons intégré une autre mission aussi qui était la mission de base du tourisme social. Faire découvrir le territoire et offrir une expérience aux clients pour qu’ils puissent aussi découvrir des choses qu’ils n’auraient pas découvertes. Nous faisons travailler beaucoup de locaux en essayant de nous intégrer le plus possible dans les territoires.
Nous faisons également des promotions par rapport aux prix catalogues fixés en début d’année pour créer un effet d’aubaine.
Nous allons également devoir investir dans la transition énergétique. Nous sommes en plein travail avec l’ADEME et Bpifrance. Nous sommes également accompagnés par la Caisse des Dépôts. Nous avons rénové 22 établissements grâce au fonds spécial du tourisme social (TSI). Ce fonds doit dégager de la rentabilité, c’est de l’argent public qui est placé. C’est notre organisme qui doit dégager la majorité de l’investissement. Cette aide est indispensable, mais il faut avoir les reins solides pour financer ces investissements néanmoins. Les régions accompagnent aussi notre transition mais avec la règle des minimis cela ne peut pas dépasser 300 000 € alors que la rénovation d’un établissement demande 1 à 3 millions d’euros.
Quel est le plan d’actions pour les années à venir ?
Nous avons programmé un plan de rénovation et d’entretien de nos biens puisque nous sommes propriétaires. A date nous avons rénové 8 villages sur nos 28.
Nous sommes une association de loi 1901 mais nous sommes en train d’imaginer une structure différente, tout en gardant notre vocation dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. Cela nous permettrait de faire rentrer des investisseurs comme Bpifrance par exemple dans notre tour de table afin d’augmenter notre capacité financière. Après les validations d’usage auprès du Conseil d’Administration, la nouvelle structure devrait voir le jour début 2024.
3e volet de cette stratégie, l’ancrage dans les territoires. Il n’est pas suffisant d’avoir un centre touristique avec des salariés dans un territoire, nous voulons apporter plus. Il faut que le territoire y trouve un intérêt également. Nous faisons découvrir le territoire, les artisans, et l’agriculture. Nous travaillons également de plus en plus avec des salariés locaux.
Pour que le tourisme social perdure, on a intérêt à ce que les régions, les communes, le gouvernement tirent un impact positif de nos actions. Nous réfléchissons à mettre à disposition des collectivités locales une partie de nos locaux par exemple.
Nous sommes très en avance sur la digitalisation que j’appelle interne, c’est-à-dire tout ce qui est la comptabilité, la gestion. Il reste en revanche encore un grand pas à faire pour nos clients. Nous avons travaillé sur l’avant séjour, il nous faut maintenant travailler sur la digitalisation du séjour en lui-même. Cela permettra de gagner aussi du temps de travail de nos collaborateurs, pas pour économiser, mais pour les mettre ailleurs. Notre slogan, c’est l’accueil par l’humain. Aller récupérer des clés dans une boîte aux lettres, ce n’est pas chaleureux.
Comment se déroule la transition avec votre successeur ?
Avec l’accord de mon président, j’ai pris soin d’engager mon successeur au mois d’avril. Depuis le mois d’avril, je suis avec lui tous les jours, nous avons fait le tour de tous les villages. Je lui donne toutes les clés et je vais rester à son écoute jusqu’en octobre. Il s’appelle Olivier Mercoli, Il a fait beaucoup de choses dans l’informatique pour les agences de voyages web. Dernièrement, il était directeur général de 2 établissements à Biarritz qui sont le l’Aquarium de Biarritz et la Cité de l’océan. Il a cette approche cliente très importante et il apprend maintenant avec moi le multisite.