En ce début d’année 2024, la Cour de cassation a déjà rendu 4 décisions relatives au temps de travail :
- Attention au suivi des forfaits jours
La Cour de cassation a rendu 2 décisions le 10 janvier 2024 sur les carences de l’employeur dans le contrôle du temps de travail de salariés en forfait jours.
Dans une première décision, elle a considéré qu’une convention individuelle de forfait en jours était nulle lorsque :
- les tableaux de suivi ne reflètent pas la réalité des jours travaillés par le salarié, peu importe qu’ils aient pu être renseignés par l’intéressé dès lors que ceux-ci doivent être établis sous la responsabilité de l’employeur ;
- l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation d’organiser avec le salarié un entretien annuel pour évoquer sa charge de travail.
Dans ces conditions, il apparaissait impossible à l’employeur de s’assurer que la charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires.
En outre, en cas de recours à un forfait annuel en jours, l’employeur doit s’assurer que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail, notamment par la tenue régulière d’un entretien au cours de l’année.
Dans cette seconde décision, rendue à l’encontre d’un employeur hôtelier, la Cour de cassation a considéré que celui-ci avait manqué à ses obligations légales et méconnu son obligation d’assurer un suivi de l’organisation du travail dans la mesure où :
- le salarié, Directeur d’hôtel, avait parfois travaillé “plus de 6 jours de suite (en 2016, janvier, mars, octobre, novembre 2017, janvier, juin, août 2018)”
- le salarié avait signalé l’impact sérieux de sa charge de travail et le non-respect ponctuel du repos hebdomadaire, lors d’un entretien réalisé en 2017,
- le salarié avait alerté le service des ressources humaines sur sa fatigue et sur la surcharge de travail, par mails des 26 juin 2018, 6 juillet 2018 et 20 août 2018
- le repos hebdomadaire n’avait pas été respecté à plusieurs reprises en 2016, 2017 et 2018
- les convocations pour l’entretien pour 2018 n’avaient été adressées qu’en mars 2019
- le forfait annuel avait été dépassé de 25 jours en 2016, 26 jours en 2017 et 30 jours en 2018, et l’employeur s’était abstenu de mettre en place des mesures de nature à remédier en temps utile à la charge de travail incompatible avec une durée raisonnable de travail dont il avait été informé.
Cass. soc. 10-01-2024 n° 22-15.782
Cass. soc. 10-01-2024 n° 22-13.200
💡 Les conseils du département social du GHR
Dans la branche HCR, seules des convention de forfait annuel en jours peuvent être signées, et ce, pour les cadres uniquement (niveau V de notre convention collective), sous certaines conditions.
La signature d’une convention de forfait annuel, en heures ou en jours, doit être précédée d’un accord collectif qui fixe le cadre du forfait, ses limites et les garanties offertes aux salariés.
L’employeur doit s’assurer régulièrement que la charge de travail de ses salariés en forfait jours est raisonnable et qu’elle permet une bonne répartition de leur travail dans le temps, notamment par la tenue régulière d’un entretien au cours de l’année.
Concernant les modalités de l’évaluation et du suivi régulier de la charge de travail, il convient d’établir un document de contrôle avec le nombre et la date des journées travaillées (le document peut être renseigné par le salarié) ; de vous assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ; et d’organiser un entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l’organisation de son travail, l’articulation entre activité professionnelle et vie personnelle.
Vous pouvez vous rapprocher du département social pour obtenir nos modèles de convention forfait jour, de suivi des forfaits jours ainsi que d’entretien annuel de suivi du forfait jour.
- Charge de la preuve des seuils et plafonds en matière de temps de travail
En cas de litige relatif à l’existence d’heures supplémentaires, la charge de la preuve est partagée entre l’employeur et le salarié (article L.3171-4 du Code du travail).
Pour autant, la Cour de cassation a considéré que s’agissant du respect des seuils et plafonds en matière de temps de travail, la charge de la preuve incombe au seul employeur.
La Cour de cassation a donc rappelé que l’employeur doit justifier du respect des principes suivants :
- Dès que le temps de travail quotidien atteint 6 heures, le salarié bénéficie d’un temps de pause d’une durée minimale de 20 minutes (article L.3121-16 du code du travail)
- La durée quotidienne du travail effectif par salarié ne peut excéder 10 heures (article L.3121-18 du code du travail).
- Au cours d’une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de 48 heures (article L.3121-20 du code du travail).
- Tout salarié bénéficie d’un repos quotidien d’une durée minimale de 11 heures consécutives (article L.3131-1 du code du travail).
En cas de contentieux sur le dépassement des durées maximales du travail et le non-respect des temps de repos, la preuve revient donc à l’employeur uniquement !
Cass. soc. 17-01-2024 n° 22-20.193
Rappel Convention collective HCR – salariés majeurs uniquement :
Durée maximale journalière :
• Personnel administratif hors site d’exploitation : 10 heures
• Cuisinier : 11 heures
• Autre personnel : 11 h 30
• Veilleur de nuit : 12 heures
• Personnel de réception : 12 heures
Durées maximales hebdomadaires :
• Moyenne sur 12 semaines : 46 heures
• Absolue : 48 heures
- Mode de preuve des heures supplémentaires
Dans un arrêt du 7 février 2024, la Cour de cassation s’est intéressée aux modes de preuve des heures supplémentaires par l’employeur.
Dans cette affaire, une salariée avait saisi le Conseil de prud’hommes, en sollicitant notamment le paiement d’heures supplémentaires.
Au soutien de sa demande, la salariée versait aux débats les éléments suivants :
- un tableau récapitulant les heures invoquées,
- un décompte hebdomadaire,
- des relevés d’heures qu’elle effectuait chaque jour, qu’elle aurait établis après avoir déduit les récupérations dont elle avait bénéficié et les heures supplémentaires qui lui avaient été effectivement réglées,
- deux témoignages indiquant qu’elle « mangeait en 10 minutes » le midi et réalisait « beaucoup d’heures supplémentaires »
L’employeur, quant à lui, produisait les éléments suivants :
- les bulletins de salaire,
- un cahier de relevés d’heures produit par l’employeur, qui mentionnait chaque jour de manière manuscrite les heures accomplies par sa salariée,
- des témoignages selon lesquels la salariée prenait « au moins une heure de pause pour déjeuner » et n’accomplissait pas d’heures supplémentaires.
Or, la salariée faisait valoir qu’en l’absence d’un système de décompte du temps de travail « objectif, fiable et accessible », l’employeur ne pouvait pas produire d’autres éléments pour contester la réalisation d’heures supplémentaires.
Pour autant, la Cour de cassation n’a pas suivi le raisonnement de la salariée.
Ainsi, en cas de litige, l’absence de mise en place, par l’employeur, d’un système « objectif, fiable et accessible permettent de mesurer la durée du temps de travail effectué par chaque travailleur » ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve, pour démontrer l’existence ou le nombre d’heures de travail accomplies.
Cass. soc. 07-02-2024 n° 22-15.842
💡Les conseils du département social du GHR
Rappelons que l’employeur est tenu d’établir des documents pour permettre le décompte de la durée du travail pour les salariés qui ne sont pas soumis à l’horaire collectif.
Ce décompte doit être effectué pour chaque salarié selon les modalités suivantes :
- Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d’heures de travail effectuées.
- Chaque semaine, par récapitulation, selon tous moyens, du nombre d’heures de travail effectuées par chaque salarié. Ce document doit être émargé par le salarié et par l’employeur. Il est tenu à la disposition de l’inspection du travail.
- Chaque mois, un document dont le double est annexé au bulletin de paie, sera établi pour chaque salarié. Ce document comportera les mentions suivantes :
- le cumul des heures supplémentaires effectuées depuis le début de l’année,
- le nombre d’heures de repos compensateur acquises au cours du mois en distinguant, le cas échéant, le repos compensateur légal et le repos compensateur de remplacement,
- le nombre d’heures de repos compensateur effectivement prises au cours du mois.
La mise en place d’un système de décompte du temps du travail répondant aux exigences rappelées ci-dessus permet de limiter les contentieux sur les heures de travail (rappels de salaire, indemnité de 6 mois de salaire pour travail dissimulé, rappels des cotisations sociales auprès de URSSAF, etc…) ; d’éviter une amende administrative (4.000 €) ou une contravention de 4e classe (750 €) et d’éviter les peines encourues pour délit de travail dissimulé (3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (225 000 € s’il s’agit d’une société), voire des peines complémentaires pouvant aller jusqu’à la fermeture de l’entreprise.