« Le problème est grave. » Et lorsque c’est l’économiste en chef du Fonds monétaire international qui le déclare, il y a, effectivement, de quoi en faire sourciller plus d’un. Les propos tenus par Pierre-Olivier Gourinchas, début octobre, lors d’une réunion du FMI, au Maroc, ont souligné la gravité de l’équilibre économique actuel de la Chine. La deuxième économie mondiale est confrontée à une crise immobilière sans précédent qui pourrait entraîner le pays dans sa chute.
Des promoteurs immobiliers au bord du gouffre…
Les chiffres sont stupéfiants. L’endettement combiné de China Evergrande et Country Garden s’élève à 500 milliards de dollars, ce qui, par ordre de comparaison, équivaut à la dette de la Turquie envers ses créanciers internationaux. Country Garden, qui a récemment failli au paiement d’une dette d’environ 200 milliards de dollars, compte 400 000 appartements en attente d’achèvement (Evergrande atteignait le nombre sidérant de 720 000 appartements à terminer, fin 2022).
Fondée à l’apogée de la croissance chinoise, Evergrande, dont la valeur nette s’élevait autrefois à 42,5 milliards de dollars [en anglais], est le produit d’un autodidacte digne d’un roman de cape et d’épée, Xu Jiayin, supposément assigné à résidence pour des raisons de « crimes illicites » – pléonasme singulier. Selon une estimation [en anglais], les promoteurs immobiliers chinois doivent jusqu’à 390 milliards de dollars à leurs fournisseurs et sous-traitants et Namura, société financière japonaise, a déclaré qu’il en coûterait entre 55 et 82 milliards de dollars pour terminer les appartements vendus aux acheteurs chinois sur la base de la spéculation. Country Garden était déjà en défaut de paiement à la fin de l’été.
… agitant le spectre de la déflation
Après une croissance médiocre du PIB au deuxième trimestre 2023 (+ 0,5 %), l’économie chinoise a montré des signes de reprise au troisième trimestre (+ 1,3 % par rapport au deuxième trimestre 2023). Le chômage a diminué par rapport au pic de 5,3 %, atteint au mois de juillet . Chez les 16-24 ans des zones urbaines, le taux de chômage avait atteint plus de 20 %, en juin, avant que la Chine ne décide de cesser de publier les chiffres sur le chômage des jeunes. D’ailleurs, les investisseurs s’inquiètent du resserrement de l’emprise chinoise sur les données économiques et la transparence. Pourtant, les exportations restent dynamiques : la Chine n’importe qu’un porte-conteneurs de marchandises, contre quatre expédiés à l’étranger. Ce déséquilibre, qui a longtemps apporté de l’eau au moulin des politiciens occidentaux, a récemment incité l’UE à lancer une enquête sur les subventions accordées par Pékin aux voitures électriques – les autorités indiquant qu’un relèvement éventuel des droits de douane pourrait être imminent. Effrayés par la crise du logement, les consommateurs hésitent à ouvrir leur portefeuille. Même si les ventes au détail ont augmenté, en septembre, les prix ont stagné, faisant ainsi craindre une stagnation – association mortelle d’une croissance tiède et d’une inflation faible. Selon l’institut de recherche Beike [en anglais], les prix des logements existants dans 100 villes de Chine ont chuté de près de 18 % depuis août 2021.
Le taux moyen de croissance du PIB réel a constamment chuté au cours de la présente décennie jusqu’à atteindre moins de 5 %, après s’être maintenu à 10 % pendant une trentaine d’années sur la période 1979-2010. L’économie chinoise a eu du mal à se détourner de l’industrie et de l’immobilier pour s’orienter davantage vers l’innovation et la consommation personnelle. En 2022, la croissance du PIB s’établissait à seulement 3 % – le taux le plus faible en près de quarante ans.
Le programme d’infrastructures « la Ceinture et la Route » (Belt and Road Initiative, BRI), lancé il y a dix ans pour rivaliser avec les initiatives menées par les États-Unis et la Banque mondiale, a déboursé plus de 1 billion de dollars de fonds, principalement des prêts à taux variable, aux pays en développement. Changer l’ordre mondial semble être un objectif tacite de la BRI, alors que la Chine cherche à s’affirmer sur la scène internationale. Les projets d’infrastructure massifs – souvent entrepris par des sociétés d’ingénierie et de construction chinoises – ayant résulté des investissements de la BRI ont parfois exposé les pays bénéficiaires à des dettes et à des infrastructures inefficaces [en anglais]. La hausse des taux d’intérêt a exacerbé leur niveau d’endettement. Les droits de l’homme et les préoccupations environnementales sont souvent négligés, affirment les critiques. Selon certaines estimations, cet effort a été mis à mal ; en effet, l’investissement, qui culminait à 90 milliards de dollars, en 2016, a chuté à moins de 5 milliards de dollars, en 2021.
« Le plus grand collecteur de dettes officiel au monde »
Au lieu des prêts de la BRI, la Chine renfloue désormais de nombreux gouvernements qu’elle avait autrefois endettés [en anglais]. Les prêts dits de sauvetage représentent désormais bien plus de la moitié de tous ceux accordés aux pays les plus pauvres, contre 5 % il y a à peine dix ans. Selon les dires d’AidData [], institut de recherche de William and Mary, un petit collège de Williamsburg, en Virginie, Pékin est devenu « le plus grand collecteur de dettes officiel au monde ».
Vieillissement de la population et baisse du taux de natalité : une tendance irréversible ?
Une crise démographique imminente pourrait encore compromettre la croissance. Pour la première fois depuis les années 1960 et le Grand Bond en avant de Mao, en 2020, les décès ont dépassé les naissances. Malgré les efforts du gouvernement, notamment l’assouplissement de la politique de l’enfant unique en 2016, la société chinoise a évolué : les jeunes sont tout simplement moins disposés à devenir parents. Le vieillissement de la population risque de mettre encore davantage le système de retraite à rude épreuve. Dans une décennie, un tiers de la population chinoise devrait être âgé de plus de 60 ans [en anglais]. Cette tendance suit les normes mondiales : à mesure que les niveaux d’éducation et de revenu augmentent, les taux de natalité baissent. Les couples aisés sans enfants portent même un nom : les sans enfants, double salaire, SEDS. Les couples SEDS évoquent toute une série de facteurs pour motiver leur décision de ne pas procréer. Dans le cas de la Chine, le coût de la vie est l’une des raisons. Selon un article publié en 2021 [en anglais], le revenu disponible nécessaire pour acheter un bien immobilier est passé de 18,9 %, en 1998, à 110,8 %, en 2016 ! Ajoutez à cela le coût exorbitant des soins aux personnes âgées et des services de garde d’enfants, ainsi qu’une incertitude accrue quant à l’orientation de la société chinoise, et vous comprendrez aisément pourquoi tant de couples résistent à la pression sociétale en renonçant à la parentalité.
Quel sera l’impact du ralentissement chinois sur l’économie mondiale ?
Moteur indéfectible de la croissance économique depuis des décennies, la Chine est passée, en moins d’un demi-siècle, du statut de pays frappé par la pauvreté à celui de leader mondial. Tout ralentissement prolongé aura de profondes répercussions sur le reste du monde.
Pour plus d’informations, nous nous tournons vers M. Yong Chen, professeur agrégé d’économie à l’École hôtelière de Lausanne.
« Un grand choc »
D’après le professeur Chen : « les États-Unis et la Chine représentent près de la moitié de l’économie mondiale ; de ce fait, une récession voire un ralentissement entraînera un choc important ». Concernant les exportations, « le terme “usine mondiale” a été inventé vers 2010, parce que les exportations, qui étaient l’un des principaux piliers de l’économie chinoise, avaient considérablement diminué en raison du découplage », déclare Chen en référence à la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis. En effet, ces derniers tentent de se sevrer des exportations chinoises bon marché.
Cependant, prévient Chen, l’avenir est plus sombre pour la Chine : « Mon intuition est que la présente décennie 2020-2030 sera une période de protectionnisme et de démondialisation. Pourtant, ce dont les consommateurs ont besoin, ce sont les meilleurs produits au prix le plus bas. La concurrence est donc un élément positif. Prenons l’exemple de l’industrie automobile américaine dans les années 1970 : l’entrée des Japonais sur le marché a incité les entreprises américaines à innover. Mais avec des politiques protectionnistes, tout le monde est perdant, y compris les États-Unis et l’Europe. »
« Les dirigeants doivent être des brise-glaces »
Pour le professeur Chen, « les relations américano-chinoises n’ont pas été aussi mauvaises depuis les années 1970 ». La rencontre très attendue du président américain Joe Biden et du chef du parti communiste chinois Xi Jinping, à la mi-novembre, était donc « un signe positif indiquant que les deux pays dialoguaient ». Même si les deux parties ont pu être fortement en désaccord sur de nombreux sujets, cela reste malgré tout un bon point de départ. Les dirigeants doivent être des brise-glaces. Peut-être que les chefs d’entreprise suivront ».
« La planète Terre est assez grande pour les deux superpuissances »
Tels étaient les propos de Xi Jinping dans son allocution d’ouverture, lors de la réunion de l’APEC, à San Francisco. Cette ouverture annonce-t-elle le dégel des relations ? Quoi qu’il en soit, la réunion a eu le mérite de rétablir des contacts directs entre les forces armées, de réduire la production de fentanyl et de faire progresser les objectifs climatiques. Mais la percée la plus importante était apparemment modeste : poursuivre le dialogue. Conflit ou coopération ? Adversaires ou partenaires ? Selon Xi, les relations américano-chinoises pourraient « décider de l’avenir de l’humanité ».
Compte tenu de l’importance des deux pays, tout signe de réchauffement constitue, en effet, un pas en avant positif.
Dans le deuxième volet de cette série en trois parties, le Dr Chen discutera de l’importance de la Chine pour l’industrie hôtelière mondiale…
Restez à l’écoute !