LES TROPHÉES EN HÔTELLERIE : VOUS AVEZ DIT CLIENTÉLISME ?
Vous les voyiez comme des distinctions suréminentes, incontournables et valorisantes ? Vous n’y êtes pas. La plupart sont juste des opérations marchandes avec échanges de bons procédés et copinage de rigueur.
C’est tous les ans au printemps et surtout vers la fin de l’année qu’apparaissent immanquablement, comme les sapins à Noël, les nombreux trophées (ou awards, ça fait plus international, donc plus désirable) en hôtellerie (hospitality, c’est plus chic).
On ne les compte plus et chacun s’est mis à lancer son propre prix en espérant gagner beaucoup d’argent grâce aux candidatures payantes et aux sponsors.
Destinés officiellement à récompenser les efforts d’heureux professionnels — à condition qu’ils se soient inscrits et qu’ils aient payé pour leur participation —, ces derniers se ruent dessus comme des souris sur un fromage. Placer une coupe dans une vitrine fait toujours plaisir.
FAÇON OSCARS D’HOLLYWOOD
Ici, on ne parle pas des MOF et d’autres vrais concours honorables, qui demandent du travail aux concurrents et sont pour de vrais méritants.
Non, les trophées dont on parle sont des inventions pour flatter les grands décideurs de la profession, acheter leur considération (ou leur générosité) et si possible en faire de bons clients de l’organisateur des awards, qui a généralement parallèlement autre chose à vendre.
L’attribution de prix au contenu qui se veut très prétentieux — pardon, très prestigieux — est toujours accompagnée par une cérémonie étincelante façon Oscars d’Hollywood, avec éloges en veux-tu-en-voilà, petits fours et champagne à volonté (à condition, encore une fois d’avoir payé au préalable). Pourtant, cela ne doit faire perdre de vue que l’on a affaire à une mythification presque burlesque, dans la majorité des cas.
Bref… la plupart des trophées dans le secteur de l’hôtellerie sont de plus en plus perçus comme clientélistes pour plusieurs raisons liées à des pratiques qui favorisent certains acteurs du secteur au détriment d’une transparence totale et d’une évaluation objective.
Voici 15 PRINCIPAUX POINTS (au moins) souvent mis en avant pour expliquer ce sentiment de pistonnage et de compromission, de quoi discréditer ces awards :
1) – INDÉPENDANCE
Certains prix sont décernés par des organismes indépendants, tandis que d’autres sont sponsorisés par des entreprises ou des marques. Beaucoup de journaux du secteur hôtelier et touristique se sont mis à leur tour à distribuer des récompenses comme d’un char de carnaval on jette des bonbons à la foule (à la condition d’avoir payé avant). Même les salons professionnels s’y sont mis. Un trophée issu d’un organisme indépendant, sans conflit d’intérêt, a généralement plus de crédibilité. Mais, cela se fait de plus en plus rare. De facto, c’est souvent l’organisateur qui dicte directement ou indirectement au jury qui doit être récompensé…
2) – INFLUENCE DES SPONSORS ET DES GRANDES CHAÎNES HÔTELIÈRES
Les grandes chaînes hôtelières, les groupes hôteliers ou les acteurs influents du secteur sont souvent des sponsors ou des partenaires importants des cérémonies de remise de trophées. Cela peut entraîner des conflits d’intérêts, car ces grandes entreprises se retrouvent en position de favoriser leur propre candidature ou celle de leurs partenaires (franchisés, fournisseurs, architectes…). Ce type de relation peut bigrement orienter la sélection des finalistes ou des gagnants au détriment d’acteurs plus petits ou moins bien connectés.
3) – PARTICIPATION PAYANTE OU SUR INVITATION
Généralement, pour être éligible à un prix, les hôtels ou les groupes doivent payer des frais d’inscription élevés suivis d’une facture pour la participation à la soirée de remise des trophées. D’autres peuvent recevoir une invitation spéciale pour participer. Ces invitations sont remises à des bons clients de l’organisateur ou à des prospects qu’il voudrait comme de ses clients. Cela limite la compétition à ceux qui peuvent se permettre ces coûts, excluant ainsi des établissements plus modestes ou indépendants qui n’ont pas les mêmes ressources financières pour se promouvoir. Cela favorise un cercle fermé d’acteurs récurrents dans la compétition, toujours les mêmes, qui sont généralement récompensés à tour de rôle année après année. On observe même que plus on paie le prix fort (candidature premium, par exemple), plus on a de chances de gagner un trophée… sans que cela ne soit jamais dit, bien sûr.
4) – FAVORITISME ENVERS LES ACTEURS BIEN ÉTABLIS
Les acteurs hôteliers qui ont déjà une certaine notoriété ou une visibilité médiatique importante sont souvent avantagés dans la sélection des lauréats. Les organisateurs peuvent accorder plus d’attention aux groupes bien établis ou ayant une présence internationale, ou encore à des personnalités très connues de la profession, en raison de leur capacité à attirer l’attention médiatique et à renforcer la visibilité de l’événement. Cela peut créer un sentiment de favoritisme, où seuls les grands noms sont régulièrement récompensés — toujours les mêmes —, même s’ils n’apportent pas forcément des innovations majeures ou une valeur ajoutée à l’hôtellerie. Sinon (très) ancienne. Il reste bien entendu, encore une fois, les bons clients de l’organisateur qui ont toutes leurs chances…
5) – JURY COMPOSÉ D’EXPERTS DU MILIEU AVEC DES INTÉRÊTS CROISÉS
Les membres du jury des Awards sont souvent des professionnels, des prestataires ou des fournisseurs du secteur hôtelier, ce qui peut conduire là encore à des conflits d’intérêts ou des intérêts croisés. Ces « personnalités » peuvent être de près ou de pas loin liés à l’organisateur mais aussi à certains candidats, ce qui introduit une subjectivité dans l’évaluation. Ce biais peut influencer la décision finale, notamment si les membres du jury ont des relations d’affaires, de partenariat ou même d’amitié avec certains des nommés parmi les postulants. L’entre-soi ne favorise pas l’impartialité, laquelle est de rigueur dans ce genre de manifestation. Un jury composé de spécialistes qui ne sont en rien indépendants décrédibilise le prix.
6) – CÉLÉBRATION DES TENDANCES PLUTÔT QUE DE L’INNOVATION RÉELLE
Les trophées en hôtellerie (mais c’est vrai également dans d’autres branches du tourisme et de la restauration) peuvent parfois (souvent) privilégier des établissements qui suivent les tendances actuelles du secteur, même si ces tendances sont plus médiatisées qu’innovantes ou peu intéressantes pour le public. Par exemple, un hôtel qui investit massivement dans des concepts à la mode (technologie, design branché, crée par un architecte ou designer de renom) est souvent récompensé, même si la qualité globale de son service ou l’impact à long terme de son innovation sont discutables. Cela peut fausser la reconnaissance des véritables initiatives inédites ou visionnaires, en mettant en avant celles qui sont simplement plus visibles dans les médias. Souvent on frôle le ridicule : faire peindre « Bienvenue » sur les portes des chambres, placer des pommeaux de douches lumineuses (selon la température de l’eau qui coule) ou mettre des produits bio-éco-responsables-circuit-court au buffet de petits déjeuners peuvent suffire à annoncer que l’on tient là un concept révolutionnaire !
7) – MANQUE DE TRANSPARENCE DANS LE PROCESSUS DE SÉLECTION
La procédure de sélection des finalistes et des lauréats manque souvent de transparence. Le grand flou est même souvent sacralisé. Si les critères d’évaluation ne sont pas clairement communiqués au public, il est difficile pour les observateurs de savoir sur quelles bases les décisions sont prises. Cela renforce la perception que les récompenses peuvent être influencées par des relations personnelles ou commerciales plutôt que par une évaluation objective des performances.
8) – MODE DE VOTE
On voudrait que les membres du jury soient incontestables par leurs compétences affichées ou supposées (architectes connus, journalistes, patrons de groupes hôteliers, critiques…), mais on voit bien que cela ne suffit plus. Parce qu’on trouve de plus en plus inadmissible que l’attribution des trophées soit décidée par quelques happy fews, amis de l’organisateur, il est devenu courant de faire voter un public. Un ersatz de démocratie n’a jamais fait de mal… Cela se passe par Internet, sans savoir qui vote, avec fréquemment la possibilité de voter sans limitation de nombre de fois. C’est là que chaque candidat fait fonctionner son réseau où salariés, famille, amis, contacts sur les réseaux sociaux ou gardien de son immeuble sont sollicités. Aussi, les gagnants sont surtout ceux qui parviennent à faire voter un maximum de gens pour eux, qui est là leur seul mérite.
9) – PAS DE CONSTATATION SUR LE TERRAIN
On s’en tient strictement au dossier de candidature qui décrit un concept, un nouveau service, un établissement, des engagements, un CV, etc. Et aussi aux consignes données par l’organisateur ou à l’influence de membres du jury qui connaissent tel ou tel candidat (conflit d’intérêt). Il ne viendrait à l’idée de personne d’aller voir chaque hôtel candidat et de constater sur place ce qu’il en est. Cela prendrait trop de temps et coûterait bien trop cher, voyons ! Et pourquoi se donner tant de mal puisque la distribution des trophées sans tester se fait comme une lettre à la poste, sans que personne ne bronche. Et puis, se rendre compte sur place n’arrangerait souvent pas les affaires des postulants.
10) – LES VRAIS CLIENTS IGNORÉS
Il reste toujours surprenant que l’on attribue des titres de « meilleur hôtel du monde », de « concept hôtelier le plus innovant de France » ou encore de « meilleur directeur d’hôtel de l’univers » sur la base d’analyses documentaires (descriptifs dans les dossiers de candidatures), de votants anonymes via Internet acquis aux candidats et de la bonne volonté d’un jury pas forcément impartial, sans tenir compte des vrais clients, ceux qui fréquentent les établissements concernés. Dans ce sens, il suffit souvent d’aller constater l’e-réputation des lauréats, pas toujours aussi excellente que les trophées voudraient le faire croire, pour se rendre compte d’une certaine supercherie. Même chose quand on décerne un prix pour une campagne de publicité ou de communication, en ignorant son impact sur la clientèle à qui elle s’adresse. À l’inverse, des récompenses gratuites, basées sur des avis de très nombreux clients ou des évaluations indépendantes, comme les Traveller’s Choice Awards de TripAdvisor, peuvent refléter une reconnaissance plus représentative des performances réelles des établissements. Les distinctions basées sur les retours d’expérience des clients (comme celles de Booking.com, TripAdvisor, ou Google Reviews) — quand ils sont nombreux — peuvent offrir une perspective plus honnête et réaliste, bien que parfois biaisée par des avis subjectifs.
11) – RÔLE DES RELATIONS PUBLIQUES ET DU MARKETING
Les hôtels et groupes qui ont des équipes de relations publiques et de marketing bien rodées ont plus de chances de se retrouver sous les projecteurs et de se faire connaître des jurys et des organisateurs des awards. Ceux qui savent bien promouvoir leur image et leurs innovations — réelles ou imaginaires — bénéficient d’une meilleure visibilité, même si leur contribution réelle au secteur est moindre. Cela favorise les entreprises ayant de gros budgets de communication, renforçant encore une fois l’aspect clientéliste de ces récompenses.
12) – FOIRE AUX SUPERLATIFS
Selon des estimations sur l’industrie hôtelière, il y aurait probablement entre 700.000 et 1 million d’hôtels à l’échelle mondiale. Ce chiffre inclut des hôtels de toutes tailles, allant des petites auberges aux grands complexes hôteliers de luxe. Aussi, comment peut-on sans prétention dégager de cet immense lot « les meilleurs » ? La réponse se trouve dans ce qui a été énoncé plus haut : s’inscrire, payer et influencer. On devrait par conséquent dire uniquement que tel hôtel est le meilleur parmi ceux qui se sont inscrits au trophée (et ont payé leur participation). Mais, le résultat n’intéresserait personne.
13) – INCONNUS DU BATAILLON
De tous les trophées, labels, panonceaux de guides et awards, les voyageurs et clients d’hôtels n’en connaissent pour ainsi dire aucun (études récurrentes de Coach Omnium). Aussi est-il facile de comprendre qu’être primé ne rapporte rien commercialement sinon à se faire plaisir à fond perdu ou encore pour mobiliser le personnel (surtout avec des labels environnementaux). Placer son trophée dans le hall de son hôtel, and so what ? En revanche, les notations et avis des clients sur les sites et plateformes de réservations sont pris en compte par près de 80 % des voyageurs, qui les jugent crédibles. Ce qui n’est pas le cas des étoiles que seuls 16 % des voyageurs européens utilisent comme critère.
14) – LES CANDIDATS AUX TROPHÉES SONT LÉGION
Le manque souvent décrié de transparence de beaucoup de trophées en hôtellerie, le fait de devoir payer (si l’on ne s’inscrit pas et si on ne paie pas, on n’est pas un bon pro ?), l’absence d’impartialité et de sérieux des organisateurs, le bénéfice commercial nul ne découragent pas les hôteliers et les chaînes de s’y inscrire comme un seul homme. On y court ventre à terre en espérant être invité sur la scène pour recevoir sa coupe dorée ou sa statuette en plexiglas. La recherche de reconnaissance, même en simulacre, fait partie des petites faiblesses du métier. Et les organisateurs de trophées l’ont bien compris : « Flattez, flattez… il en restera toujours quelque chose ». Pour attirer les prétendants, outre la soirée de prestige dans un bel hôtel, on fait venir des personnalités destinées à valoriser le public présent. Tel ministre (qui se demande presque toujours ce qu’il fait là), tel fondateur de groupe hôtelier ou tel présentateur très connu de la télévision font l’affaire.
15) – AND THE WINNER IS…
On ne sera pas surpris de voir que ce sont souvent des hôtels de luxe qui sont les gagnants (à condition d’avoir payé avant) ou encore des chaînes internationales qui sont les triomphateurs de ces awards. Même chose pour les dirigeants de ces entités. Comme si les hôtels de catégories inférieures ne pouvaient pas être méritants et de qualité.
CONCLUSION
Les trophées en hôtellerie peuvent être crédibles et fiables, mais il est essentiel de considérer la réputation de l’organisateur, la transparence du processus et l’indépendance du jury. Pas gagné ! Les distinctions basées sur des avis clients ou des critères impartiaux sont souvent plus représentatives de la qualité d’un établissement (à condition d’être nombreux), tandis que celles qui nécessitent une participation payante ou sont moins transparentes peuvent être vues avec plus de scepticisme.
Le sentiment de clientélisme autour des trophées en hôtellerie provient du fait que certains acteurs ont des avantages liés à leurs connexions, à leur notoriété ou à leurs ressources financières, ce qui peut fausser l’impartialité des prix. Bien que ces distinctions aient pour but de récompenser l’excellence dans le secteur, elles sont parfois perçues comme servant des intérêts spécifiques, plutôt que d’être basées uniquement sur la qualité et l’innovation.
Il existe de nombreux trophées et awards qui se veulent plus distingués les uns que les autres dans l’industrie hôtelière, récompensant différents aspects comme la qualité des services, l’innovation, l’accueil ou la durabilité. Voici une liste des plus connus, sans garantie toutefois sur leur processus d’attribution et leur sérieux…
• World Travel Awards
Créés en 1993, ces prix se présentent volontiers comme les plus prestigieux de l’industrie touristique et hôtelière. Ils récompensent des hôtels, resorts, agences de voyages et compagnies aériennes à l’échelle mondiale.
Catégories : Meilleur hôtel du monde, Meilleure chaîne hôtelière, Meilleur hôtel de luxe, etc.
• Condé Nast Traveler Readers’ Choice Awards
Ces prix sont attribués sur la base des votes des lecteurs de Condé Nast Traveler. Ils récompensent les meilleurs hôtels, complexes, croisières et destinations du monde entier.
• The Hotelier Awards
Récompense les professionnels exceptionnels de l’industrie hôtelière à travers l’Asie et le Moyen-Orient. Ce sont des prix qui valorisent les carrières individuelles dans l’hôtellerie.
• Forbes Travel Guide Star Awards
Forbes attribue des étoiles aux hôtels, restaurants et spas les plus luxueux au monde. Un hôtel 5 étoiles Forbes se veut synonyme d’excellence.
• Green Key Award
Récompense les hôtels pour leur engagement en faveur du développement durable et de la gestion responsable de l’environnement.
• Travel + Leisure World’s Best Awards
Attribués sur la base des sondages de lecteurs, ces prix récompensent les meilleurs hôtels, resorts, spas, compagnies aériennes et plus encore.
• Boutique Hotel Awards
Ce prix est dédié aux petits hôtels et boutiques hôtels. Il reconnaît les hôtels indépendants qui se démarquent par leur design, service et individualité.
• European Hotel Awards
Récompense les hôtels et établissements hôteliers en Europe qui ont excellé dans différents domaines : design, architecture, hospitalité, etc.
On trouve par ailleurs des trophées décernés par des réseaux, associations ou chaînes à leurs membres, tels que Relais & Châteaux, The Leading Hotels of the World, Skal International, etc.
Mark Watkins