LES CHAÎNES HÔTELIÈRES « PREMIER PRIX » ONT-ELLE MANGÉ LEUR PAIN BLANC ?
On les connaît toutes : F1 (ex-Formule 1, la première lancée en 1987), Première Classe, Ibis Budget (ex-Etap Hotel), etc. En France, les enseignes premier prix ou proches regroupent près de 800 adresses, soit 1/4 des hôtels de chaînes intégrées, contre près de 980 en 2016. Rien que chez F1, avec plus de 300 unités en 2007, on n’en compte aujourd’hui plus qu’environ 130. Beaucoup sont devenus des « hôtels sociaux » accueillant, à la demande des préfectures, des familles de migrants en attente de régularisation de leur situation.
Plus globalement, sur l’ensemble du parc hôtelier français, la quantité d’hôtels super-économiques (chaînes et indépendants) a diminué de 24 % en 10 ans. La tendance depuis une dizaine d’années sur le marché français porte à la création d’hôtels haut de gamme et de luxe (+ 78 % depuis 2013).
L’hôtellerie de chaînes d’entrée de gamme, qui fut attractive et très rentable durant les deux premières décennies après sa création, commence à voir ses taux d’occupation s’effriter et sa profitabilité s’appauvrir, malgré le fait que les investissements sont pour la plupart amortis. Elle est condamnée à proposer une tarification plancher, par son offre minimaliste et la clientèle visée. Le public qui fréquente ces hôtels n’a les yeux rivés que sur le prix, parfois pour seul critère, comme le rappellent nos sondages réguliers auprès de la clientèle hôtelière. Donc, pour les hôteliers, répercuter intégralement dans les tarifs les récentes fortes hausses de charges d’exploitation, dont l’énergie, et faire payer intégralement ces augmentations par les clients, est risqué. De quoi les faire fuir.
Dans ces hôtels, même si le niveau de la demande n’est au global pas (pas encore ?) catastrophique, on est loin des insolents taux d’occupation annuels à 80 % et plus que l’on a connu autrefois. Avec les « day-uses » (chambres louées par des couples l’après-midi et refaites pour les clients du soir), on arrivait parfois à des journées de semaines à plus de 120 % de taux de fréquentation… Malgré le retour de l’activité hôtelière d’après-Covid, on découvre à présent — surprise ! — des hôtels chroniquement déficitaires dans cette catégorie, ce qui était rare pour ne pas dire exceptionnel. Eh oui, avec des prix bas, il faut au moins beaucoup de clients. Les deux – pas cher et pas assez de clients — ne s’accordent pas ensemble.
VIEILLISSEMENT DU PARC
Si de nombreuses enseignes ont disparu du marché ou se sont raréfiées (Nuits d’Hôtel, Etap Hotels (rebaptisé Ibis Budget), Mister Bed, Quick Palace, Marmotte, Villages Hotels, etc.), les autres réseaux historiques qui subsistent ont pris un gros coup de vieux. Soit via leur offre, soit via leur look, souvent les deux.
Leurs tarifs attrayants (moins de 40 € à 60 € la nuit, en semaines) et de bons scores de notoriété auprès de la clientèle hôtelière (étude Coach Omnium) pour les plus gros réseaux, ne suffisent plus. Ces derniers souffrent aujourd’hui d’une e-réputation détestable — parmi les pires que l’on puisse trouver — et par conséquent d’une mauvaise image qui s’est bel et bien installée. Avec des notations moyennes allant au pire de 6,2 /10 et au mieux à 6,8 /10 selon les marques, en plus des centaines de milliers d’avis et milliers de photos en ligne émanant de clients (analyse par Coach Omnium en mars 2023), le résultat est délétère. Pour mémoire, les plus basses notations moyennes sur les plateformes qui notent sur 10 commencent à 6 /10, pas à zéro. Ce score plancher de 6 /10 est donc médiocre, quand 9,5 /10 est excellent.
La clientèle de cette hôtellerie se compose principalement de voyageurs de passage pour qui, encore une fois, le prix est décisif. On s’y rend rarement par pur plaisir. Il s’agit de commerciaux et VRP, de routiers, d’ouvriers et de techniciens travaillant dans des entreprises locales ou sur des chantiers voisins. Certains établissements accueillent également des groupes, surtout scolaires, motivés par les prix bas.
LE DÉCLIN ? ALORS QUE S’EST-IL PASSÉ ?
La majorité de ces réseaux sont restés dans leur jus. Ils n’ont procédé encore une fois ni à de sérieuses rénovations de leur offre, ni à la modernisation de leur concept. Ou si peu… C’est tout juste si certains hôtels ont pu bénéficier de petits coups de peinture cache-misère. De manière récurrente, les clients se plaignent presque toujours des mêmes choses dans les chaînes hôtelières super-économiques, ici et là : du bruit, de la vétusté des lieux, du manque de propreté et d’entretien, de décors glauques et froids, d’équipements cassés / abîmés, d’éclairages glaçants, des petits déjeuners jugés pauvres et décevants, de l’absence de sanitaire dans la chambre (chez F1), de l’exiguïté des chambres (à partir de 9 m2), de mauvaises odeurs (tabac froid, renfermé, moisissure, etc.)…
De facto, le secteur des chaînes premier prix est bien obligé de s’avouer dépassé. Il ne s’est pour ainsi dire pas renouvelé depuis ces dernières années.
Il y a au moins une exception : la chaîne Eklo (photo du haut) lancée récemment sur le marché, contre toute attente. Elle s’est donné une orientation astucieuse d’hôtels écologiques, avec dortoirs et chambres (avec sanitaire intégré) à prix très abordables, lobby-bar sympathique, food-truck, cuisine à l’usage des clients, etc. Elle n’a encore que 9 adresses, mais rencontre déjà un certain succès.
UNE RELÈVE : LES HOSTELS
Pour les backpackers et clients à petits budgets, ce sont les hostels (Generator, The People, Joe & Jo, etc.) qui sont la grande nouveauté, réveillant les auberges de jeunesse poussiéreuses et se substituant petit à petit aux hôtels super-économiques de chaînes pour un certain pan de leur public. Ils s’ouvrent de plus en plus en villes et non plus dans les périphéries, contrairement initialement aux chaînes low-cost soucieuses de s’installer proches des axes de passages et sur un foncier à bas coût.
L’hostel, avec ce genre d’emplacement urbain, est une alternative intéressante pour les séjours des jeunes et des familles, notamment. Mais également pour les commerciaux. Ils apportent convivialité, rencontres et des décors au goût du jour et ludiques, loin des concepts froids et impersonnels, il faut bien le dire, des chaînes premier prix. Sans compter que leur joyeuse offre en restauration et leurs bars musicaux plaisent.
Si leurs chambres pour deux ou familiales ne sont généralement pas bon marché (de 80 à 130 € en moyenne, mais cela peut monter jusqu’à 240 €, loin de la gamme économique), les lits en dortoirs-boxes sont plus abordables (de 26 à 34 € en moyenne/jour). Mais, il faut aimer ce type de confort collectiviste. Ces établissements sont évidemment plus chers dans les grandes capitales.
Déjà, leur e-réputation est à la hauteur de leur ambition, avec des notations souvent supérieures à 8,2 /10, ce qui reste bon. Voir le site sur les hostels : https://www.french.hostelworld.com.
L’hôtellerie super-économique pourrait avoir à nouveau de beaux jours devant elle, car une vraie demande existe toujours en sa direction. D’autant, que 76 % des clients d’hôtels européens interrogés par Coach Omnium trouvent que l’hôtellerie française est (trop) chère. D’autant, également, que l’on crée de plus en plus d’établissements inscrits dans le haut de gamme et le luxe. Mais pour faire revenir les voyageurs ou en attirer de nouveaux, il lui faut sans doute tout revoir de fond en comble pour (re)devenir sexy et attractive.
Mark Watkins