OTA(*) : UNE CHANCE POUR LES HÔTELIERS INDÉPENDANTS ?
(*) agences de voyages en ligne & plateformes de réservations
Les OTAs font depuis des années les gorges chaudes de la profession hôtelière.
A juste titre. Ce qui suit va sans doute agacer au premier coup d’œil beaucoup d’hôteliers qui jettent volontiers la pierre aux OTAs. Mais prenez le soin de lire la suite et vous jugerez ce point de vue à partir de cet autre regard sur ces intermédiaires.
Les OTAs, on peut les regarder de plusieurs façons avec des avis souvent opposés les uns aux autres.
De leur propre côté, elles ne font pas dans le détail. L’hôtellerie et d’autres hébergements touristiques sont leur marchandise et elles sont là pour vendre et engranger de belles recettes. Et elles sont trèèèssss efficaces commercialement : un modèle du genre que même les groupes hôteliers ne parviennent pas à copier. Booking.com a réalisé un record de 17 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2022.
Ses concurrents, Expedia et autres agences de voyages en ligne, loin derrière, ne sont toutefois pas en reste. Le temps d’écrire cette phrase et ce sont des dizaines de milliers de transactions qui ont eu lieu entre ces sites et des voyageurs pour leurs réservations de séjours hôteliers. Il faut dire que Booking, encore lui, a dépensé près de 6 milliards de dollars en marketing en 2022, dont le référencement. Qui peut dire mieux ?
LA CRISPATION DES HÔTELIERS
De l’autre côté, on trouve les hôteliers qui baignent aujourd’hui dans un océan de crispation et dont beaucoup disent carrément détester les OTAs, tout en travaillant massivement avec elles. C’est « je t’aime, moi non plus ». Il est ainsi de plus en plus courant que les réservations qui passent par les OTAs représentent jusqu’à 40 % des volumes de chambres louées. Pour 1/4 des hôteliers indépendants, c’est même entre 70 et 90 % de leurs chambres qui sont vendues via ces plateformes (voir notre étude sur la commercialisation hôtelière).
Dans ces conditions, avec 70 % des chambres louées, les commissions payées à ces intermédiaires (17 % en moyenne sur les prix TTC des chambres) peuvent grimper à plus de 150.000 € par an pour un hôtel de milieu de gamme de 60 chambres. Une manne ! C’est le salaire moyen annuel de 3 commerciaux, charges et frais de fonctionnement compris…
Si ces montants de commissions sont élevés, les hôteliers ont vu au fil des ans leur barque se charger de contraintes nouvelles et additionnelles que les OTAs leur glissent sans complexe de manière unilatérale dans leurs contrats. C’est à juste titre que les propriétaires d’hôtels râlent face à toute l’iniquité dans leurs relations avec ces intermédiaires, lesquels ne cessent d’inventer de nouvelles combines pour s’enrichir sur leur dos.
Il est inutile de rédiger un inventaire des obligations que leur imposent les OTAs, tant on les connaît. C’est la lutte du pot de fer contre le pot de terre, même si personne n’est obligé d’adhérer à ces centrales de réservations. La seule évolution favorable aux hôteliers fut la suppression de la parité tarifaire.
En ce domaine, les OTAs méritent haut la main la palme, avec les félicitations du jury, pour l’imagination qu’elles déploient pour gonfler leur compte en banque. Si bien que les hôteliers sont totalement écartelés entre :
– l’envie forte — et que l’on peut comprendre — de se soustraire de l’emprise des agences de voyages en ligne pour retrouver une paix, mais avec le risque craint ou avéré de perdre beaucoup de réservations,
– et le besoin d’y rester, quitte à payer cher ce choix ou « non-choix », selon la façon de voir la chose.
Au mieux, certains tentent de limiter à 20 % le volume de chambres louées concédées aux OTAs. Mais, cela n’est possible qu’en sachant développer une commercialisation musclée, ce qui n’est pas à la portée de tout hôtelier.
LA VÉRITÉ PAR LES CLIENTS D’HÔTELS
Enfin, et c’est sans doute là le plus important, il faut regarder les OTAs du côté des clients d’hôtels qui s’en servent. Quelques données fondamentales, qui frappent les esprits, recueillies par Coach Omnium au travers de plusieurs études de clientèles sont instructives pour comprendre comment cerner l’impact commercial des agences de voyages en ligne :
- 93 % des clients d’hôtels recherchent régulièrement ou ponctuellement via le Net des hôtels où séjourner.
- 83 % des voyageurs-internautes recherchent un hôtel par mots-clés sur Google (premier moteur de recherche en Europe) et tombent obligatoirement sur les sites des OTAs en premières lignes de réponses des moteurs de recherche.
- 73 % des clients passent en 1er, 2e ou 3e réflexe par une OTA dans leur recherche d’hôtel, dont en large premier Booking.
- Enfin, dans leur recherche, 80 % des internautes ne vont pas au-delà de la première page de réponses de Google et 20 % ne dépassent pas la seconde page (ou 40 lignes de liens). C’est dire comme il est important de s’y trouver pour ce mode de recherche, surtout sur la première page.
Les OTAs sont par conséquent incontournables et happent les clients d’hôtels comme un immense aspirateur sur une fourmilière. Il est difficile de les contrer et le cas échéant, pour y parvenir, cela coûte cher. Du coup, 65 % des voyageurs réservent régulièrement ou occasionnellement via les OTAs, contre 42 % en 2015.
Pour autant, si cette hégémonie fait légitimement peur aux hôteliers qui y voient une dépendance commerciale dangereuse, on peut porter un autre regard sur cette situation au profit des indépendants.
En premier, si les OTAs ne génèrent pas de surplus de demande hôtelière sur le marché — la preuve en est que les taux d’occupation globaux de l’hôtellerie française sont plus ou moins les mêmes depuis une douzaine d’années (lire notre Panorama de l’hôtellerie en France) —, elles ont un rôle de fait de régulateur et de répartiteur de réservations, dont les hôteliers indépendants les mieux notés en e-réputation, voire en prix, profitent.
UNE ÉGALITÉ DE PLACE ENTRE CHAÎNES ET INDÉPENDANTS
Pourquoi les gagnants de l’action des OTAs sont les indépendants au détriment des chaînes ? En 2005, selon les études de Coach Omnium, 21 % des clients d’affaires et 38 % des clients de loisirs n’avaient pas de préférences entre chaînes et indépendants. Ils sont aujourd’hui respectivement 62 % et 78 %.
Lorsqu’ils entament leurs recherches d’hôtels sur Google, les clients sont plutôt ouverts quand ils visent une destination et ne se fixent pas nécessairement de type d’hôtel par avance, sauf à respecter un budget maximal à ne pas dépasser, voire une localisation (centre-ville, proche d’un axe routier ou d’un aéroport, etc.).
C’est la raison pour laquelle, les hôtels indépendants — sans s’en rendre compte — commencent à reprendre un avantage après s’être pendant tant d’années pliés devant la puissance commerciale des chaînes. Les OTAs, encore une fois sans le faire exprès, leur offrent cette chance, quand on sait que tant de voyageurs en préparation de leurs séjours hôteliers tombent dans leurs filets et se tournent vers la diversité. Les Booking et compagnie offrent des garanties aux clients que seules les chaînes proposaient auparavant. Donc, les indépendants, on n’en a même plus peur !
Enfin, dès lors où près de 1 site d’hôtels indépendants sur 5 n’offre pas la possibilité de réserver en ligne en temps réel (ce qui fait fuir de nombreux clients) et où 3 hôteliers sur 5 ont seulement une commercialisation passive pour leur établissement, voire aucune, on peut penser que l’abandon dans les bras des OTAs peut être une solution pour ces attentistes dans les ventes. En quelque chose, malheur est bon et les plateformes de distribution sont une aubaine pour ces exploitants.
DES SITES D’OTAS COMME SIMPLES VITRINES ?
Mais un phénomène nouveau vient d’apparaître que Coach Omnium a mesuré. 70 % des clients d’hôtels français et européens interrogés par Coach Omnium déclarent réserver en direct auprès des hôteliers, contre seulement 30 % en 2017.
Que s’est-il passé ? Dès lors où les hôteliers ont compris qu’il allait de leur intérêt de proposer des chambres moins chères que sur les sites des OTAs — ce que bon nombre font à présent —, que le prix est le 2e critère de choix des hôtels par les voyageurs (72 % des clients trouvent les hôtels trop chers) et que les candidats aux séjours hôteliers comparent les prix, ces derniers toujours à la recherche de bons plans, font leur repérage sur les plateformes et partent ensuite réserver auprès des hôteliers en direct. Voilà la revanche des hôteliers qui tombe à point nommé.
Ce n’était pas la peine de culpabiliser les clients d’opter pour les OTAs. Sans n’avoir rien à devoir à qui que ce soit, ils ont trouvé tout seuls ce qui pouvait les arranger.
La vérité vient des clients, qui auront toujours le dernier mot et pour qui ces agences de voyages en ligne restent pratiques, rapides et fiables, selon ce qu’ils en disent abondamment.
Mark Watkins