“Hôteliers, il ne faut pas hésiter à se faire accompagner”
Yannick Aragno, fondateur d’HOPTYA et ancien hôtelier s’est prêté au jeu de l’interview : “Des hôtels, un métier, une rencontre”. Merci à lui d’avoir pris le temps de nous partager son expérience et sa vision du monde sur notre secteur.
Est-ce que tu pourrais te présenter, nous raconter ton parcours et comment tu en es venu à fonder HOPTYA ?
J’ai fait des études 100% hôtelière. J’ai intégré le Lycée Hôtelier de Marseille pour faire un BEP/CAP Hôtellerie-Restauration, je voulais être cuisinier. Je me suis assez vite rendu compte que ce n’était pas la voie qui me plaisait. À l’époque, il existait pour la deuxième année, une option hébergement, c’est grâce en cette option que j’ai découvert le secteur de l’hôtellerie. Ça m’a bien plus, j’ai enchaîné avec un BAC technologique puis un BTS dans le même secteur.
J’ai eu la chance de faire mon stage de BTS à Paris à l’hôtel Sofitel Paris Forum Rive Gauche (maintenant Marriott Paris Rive Gauche). J’ai pu découvrir Paris, ce qui fut un changement pour le jeune marseillais que j’étais. J’ai décidé de venir m’y installer après l’obtention de mon diplôme. En 2000, je suis rentré chez Accor comme réceptionniste au Mercure Paris Bercy (Ibis Style Paris Bercy maintenant). J’ai eu de la chance, j’y ai fait de très belles rencontres, j’ai pu montrer mon implication et j’ai rapidement évolué. En 2 ans je suis devenu Chef de Réception. C’était un hôtel assez grand avec plus de 300 chambres, c’est une expérience qui m’a permis de comprendre l’importance des procédures pour que les équipes travaillent de la même façon.
Suite à cette expérience, j’ai rejoint un autre hôtel Mercure plus petit avec une centaine de chambres en tant que Directeur Adjoint. C’est là que j’ai découvert le Yield Management. Ce fut une révélation. En 2003 Accor avait déjà commencé à intégrer cette stratégie avec la mise en place de TARS (le Channel Manager d’AH) qui permettait de gérer les canaux de distribution et les différents niveaux tarifaires selon les prévisions et les montées en charge des réservations.
Suite à ça, l’hôtel a été vendu, je suis devenu indépendant malgré moi, mais j’ai aimé cela, le changement d’enseigne de Mercure Opéra Lafayette à hôtel Jules a été une expérience pas facile car subie mais très enrichissante, on gagne en autonomie et surtout on a eu à gérer au quotidien beaucoup plus de choses. L’hôtel était managé par GLA Hotels qui comptait dans son équipe un revenu manager. Je me souviens à l’époque il était venu à l’hôtel pour mettre en place la nouvelle stratégie de distribution avec nous et je le vois encore nous dire “il nous faut les Pseudos City Codes pour loader les tarifs consortiaux dans les GDS” (Global Distribution System) et je me rappelle m’être dit “ mais de quoi il parle ?”. Dans un groupe comme Accor (je pense que c’est toujours le cas aujourd’hui), on ne gère pas du tout ça à l’hôtel donc intégrer un plus petit groupe m’a permis de découvrir ce monde des GDS, des Channels Managers et plus globalement de la e- distribution hôtelière.
Après quelques années dans cet hôtel, j’ai rejoint l’équipe de direction de l’hôtel Duminy Vendome comme Directeur Adjoint, j’avais comme mission principale le Revenu Management. Ma plus grosse fierté est d’avoir réussi un changement de mix client assez radical, on est passé d’une commercialisation passive avec un hôtel vendu quasiment qu’avec des Tours Operators à un mix plus varié, sans perdre niveau occupation nous avons pu augmenter significativement le prix moyen.
Enfin, ma dernière expérience en exploitation, le Tsuba Hôtel… J’ai participé à un projet incroyable ! La transformation d’un immeuble de bureau en hôtel 4 étoiles de 82 chambres. Le projet a commencé en 2013, l’hôtel a ouvert en mars 2017. J’ai été impliqué dans ce projet dès le début, à la création des plans et aux prémices du concept qui allait naitre quelques années plus tard. J’ai participé à l’essentiel des réunions et des visites de chantier, des décisions stratégiques, le choix des équipements ou des matériaux, au business plan, à la pré commercialisation et la pré-ouverture avec notamment le recrutement des équipes, la mise en place des procédures et le lancement de l’hôtel.
Le Tsuba Hotel
Cette aventure a continué jusqu’à la pandémie du covid 19. Les propriétaires ont à ce moment-là décidé de vendre. J’ai participé à la transition et j’ai accompagné les nouveaux propriétaires jusqu’en décembre 2021 moment où j’ai décidé d’arrêter la collaboration pour créer HOPTYA.
Avec le confinement, assez peu d’hôtels étaient ouverts, l’activité avait du mal à démarrer pour moi, j’en ai profité pour faire un travail de réseau important. J’ai mis un point d’honneur à aller sourcer énormément de fournisseurs afin d’avoir une bonne idée de ce que l’on trouve sur le marché et pouvoir proposer à mes clients des solutions qui s’adapter à leurs établissements et à leurs besoins.
Y a-t-il un projet ou une mission qui t’a marqué ?
La mission la plus folle fut sûrement l’expérience du Tsuba. Je n’ai pas investi financièrement dans cet hôtel, mais j’y ai mis mon cœur et mes tripes. Aujourd’hui encore, s’il y a une fuite d’eau, je suis capable de dire où se trouve le robinet d’arrêt d’eau tellement j’étais impliqué dans la construction de l’hôtel. Il y a eu trois ans de travaux, c’était un chantier assez lourd, à un moment donné, il ne restait plus qu’un tiers du plancher et la moitié des murs.
J’ai d’ailleurs une anecdote, hier, j’avais rendez-vous vers les Champs Elysée et la directrice du Tsuba (COO) m’appelle et me dit qu’ils n’ont plus de téléphone depuis une semaine. Je lui dis “écoute, je suis sur les Champs, dès que j’ai fini mon rendez-vous, je passe”. J’y suis allé et on a réglé le problème en quelques minutes.
HOPTYA c’est un cabinet de conseil et d’accompagnement pour les hôteliers. Comment as-tu eu cette idée et qui sont tes clients ? Des gens de ton réseau, des hôteliers indépendants qui se lancent ?
De par mon parcours, j’ai acquis une certaine expérience, avec des techniques qui me semblent importantes pour une activité opérationnelle quotidienne plus fluide et optimisée. Mon expérience m’a permis de construire une logique avec des méthodes et des outils qui peuvent manquer à certains hôteliers.
Mon accompagnement s’adresse aussi bien à des hôteliers déjà installés mais qui n’ont pas eu le temps de se poser pour réfléchir sur l’optimisation de leur quotidien, trouver le “truc” qui va faire que ça va se passer mieux, plus rapidement et avec moins de ressources, qu’aux nouveaux hôteliers qui n’ont pas encore toutes les clés du métier.
Ces techniques, beaucoup d’hôteliers ne les ont pas ou n’ont pas eu le temps de les déployer. Généralement, on sous-estime ce qu’il y a à faire quand on prend un hôtel et qu’on le gère au quotidien. Avec HOPTYA, je propose un audit fonctionnel complet, grâce à ce constat et à mon expertise, je peux lister les points qu’il faut optimiser, on dégage des tendances et des pistes d’améliorations.
En résumé, on fait un constat grâce à l’audit, on établit une feuille de route, l’hôtelier peut “simplement” suivre seul les points à améliorer, ma mission s’arrête là, s’il a besoin d’un support, d’être aidé sur la mise en place, alors on met en place un accompagnement sur la durée.
Pour ceux qui lancent leur hôtel, on fait la check-list de ce qu’il y a à faire pour gérer un hôtel, et on met en place une stratégie sur- mesure avec ce que l’hôtelier doit apprendre à faire, ce qu’il peut sous-traiter, les impératifs…
Il y a aussi des taches ponctuelles qui n’ont pas besoin d’être faites par l’hôtel au quotidien. Par exemple, pour un site internet, je conseille toujours de confier son site à un professionnel qui connait un minimum le monde hôtelier. Dans ce cas mon rôle est de sélectionner 2 ou 3 acteurs du marché qui sont les plus adaptés à leur établissement/budget, on les consulte ensemble, avec l’hôtelier, on les compare et je les accompagne jusqu’à la prise de décision voire jusqu’à la mise en ligne si besoin.
Mon objectif final est que, quand je pars, l’hôtel soit indépendant sur tous les points traités ensemble.
Au niveau des challenges, quelle est la plus grosse difficulté pour toi dans cette aventure entrepreneuriale ?
La plus grosse difficulté est sûrement que le consultant n’est pas encore perçu à sa juste valeur dans l’hôtellerie. Dans certains secteurs comme le marketing, la tech ou le digital, c’est bien plus reconnu. Je ne sais pas pourquoi, peut-être, car c’est vu comme une charge, une dépense, que le retour sur investissement est difficile à calculer. Gagner en efficacité, c’est une valeur très abstraite.
Alors que tâtonner sur certains sujets peut coûter cher. “Ne restez pas seuls face aux problématiques complexes de votre métier”, c’est cette vision que je défend depuis 1 an déjà.
Les missions du consultant peuvent être un simple constat pour comprendre un dysfonctionnement, un accompagnement plus ou moins long selon les besoins ou très ponctuel sur un sujet en particulier ou sur un choix à faire.
Exemple, on parle souvent de choix de PMS qui est crucial, car il va être au coeur de la vie de l’hôtel et accompagner l’équipe au quotidien. On ne change pas tous les ans de PMS et donc il est important de prendre le temps de la réflexion pour choisir la solution la plus optimale tout en acceptant d’être prêt à faire certains sacrifices au profit d’autres qui sont plus intéressants, faire appel à un consultant pour analyser les besoins et les offres peut faciliter le choix.
Aujourd’hui le challenge, c’est de prouver aux hôteliers qu’il y a une vraie valeur ajoutée et qu’on peut gagner énormément de temps et d’efficacité en faisant appel à un consultant. C’est du one to one, le consultant s’adapte à la situation et apporte un regard extérieur qui est nécessaire, car quand on est pris dans ce quotidien, on ne voit plus certains problèmes.
Le Covid a fait qu’on sort de deux années compliquées pour le secteur. Quels sont selon toi les plus gros défis que les hôtels vont devoir relever ?
Le premier, c’est le recrutement. Aujourd’hui, on le voit, tous les hôteliers avec qui je discute ont énormément de mal à recruter. Il y a parfois un problème au niveau du salaire, mais ce n’est qu’une partie de la problématique. Il y a d’autres enjeux qui sont les conditions de travail et la qualité de travail. On dit qu’en hôtellerie, on doit travailler tous les week-ends, tous les jours fériés, mais aujourd’hui, on doit trouver des aménagements et gérer les plannings différemment pour rendre nos métiers plus attractifs.
Le deuxième point c’est l’enjeu écologique, car il faudra impérativement que les hôtels agissent sur ce sujet. Ils doivent changer par obligation, avec par exemple les nouveaux critères de classement, mais surtout, car ça devient une évidence, on ne peut pas continuer comme ça. Je pense d’ailleurs qu’il faut retirer le mot industrie dans ”l’industrie du tourisme”. Ce n’est pas parce qu’on est dans un hôtel qu’on doit changer les draps et les serviettes tous les jours.
Il y a plein d’autres points d’améliorations sur le côté écologique. À la fin de l’année, les tickets de caisses seront optionnels et imprimer une facture sur papier doit devenir une option et la facture par mail une norme. Autre sujet, le petit déjeuner, le client veut avoir un buffet et manger ce qu’il ne mange pas habituellement chez lui, mais est-ce que c’est le bon modèle en termes d’écologie et de gestion de déchets quand on sait tout ce qui part à la poubelle à la fin d’un service pour des raisons évidentes d’hygiène.
Je suis en train de finaliser une formation en partenariat avec une association qui encourage les entreprises à engager une transition éco-responsable. On a travaillé sur une manière simple et ludique qui implique les collaborateurs pour répondre aux besoins du classement Atout France mais aussi pour amorcer un véritable changement.
Quel est ta vision sur la place du digital dans le secteur ?
Pour quasiment tout le monde, même les plus anciens, le digital est omniprésent dans la vie quotidienne. Je ne vois pas pourquoi il ne devrait pas être présent dans l’hôtellerie. On gagne en efficacité et en service client. Par exemple, aujourd’hui, il est difficile d’imaginer d’avoir à remplir un formulaire sur le site internet d’un hôtel et attendre des heures que l’hôtel donne les disponibilités et les tarifs pour que réserver. Ça existe encore chez certains malheureusement, et ces hôtels perdent beaucoup de réservations.
Aujourd’hui, tout ça peut être automatisé. Toutes les tâches chronophages et sans valeurs ajoutées peuvent disparaître pour proposer une meilleure expérience client et rendre les métiers plus enrichissants.
Au Grand Quartier (hôtel où nous réalisions l’interview) par exemple, le check in se fait sur des bornes. D’un côté, il y a le client qui est totalement autonome, il est familier avec ça et l’utilise efficacement. De l’autre côté, il y a celui qui l’est moins et qui va être accompagné par le réceptionniste toujours présent. Finalement, ces deux clients cohabitent très bien ensemble.
Pour que la digitalisation marche bien, il faut que ça soit réfléchi en amont. Il faut avoir analyser les besoins et surtout l’interconnexion de l’ensemble des outils. On voit tellement d’hôtels, victimes du syndrome de l’objet brillant, dirent « oh il faut impérativement que je l’ai » en parlant du dernier outil sorti soit parce qu’ils sont très focus sur la nouveauté ou soit parce qu’ils ont été influencés par un mauvais consultant ou un très bon commercial. Malheureusement, c’est après que l’on se rend compte que cette solution-là ne se connecte pas ou se connecte mal avec le PMS et donc finalement pas exploitée correctement et devient un handicap plutôt qu’un atout.
Hôtel Le Grand Quartier
Le digital est donc indispensable, mais doit être interconnecté avec l’ensemble des écosystèmes et tout ça se réfléchit en amont et prend du temps. L’équipe doit également être mobilisée. Il n’y a pas longtemps, j’ai eu l’occasion de faire une formation pour le déploiement d’un PMS. L’hôtelier avait décidé qu’il voulait changer de solution de gestion sans que cela ne soit préparé ni pensé. L’équipe n’avait pas été mobilisée pour l’événement. La formation s’est passée avec très peu de personnes. Il devait y avoir quatre ou cinq réceptionnistes, mais finalement, ils étaient seulement deux !
Forcément la transition s’est mal passée, il a fallu des semaines pour retrouver un fonctionnement « normal ».
Est-ce que tu aurais un conseil à donner à quelqu’un qui souhaite ouvrir son hôtel ?
Il ne faut pas hésiter à se faire accompagner.
Soit il a déjà une expérience en tant qu’hôtelier, ce n’est pas sa première ouverture ou sa première gestion. Dans ce cas, il aura seulement besoin de se faire assister ponctuellement sur les points les plus complexes ou s’il manque de connaissances sur un sujet.
Soit il démarre dans l’aventure hôtelière et là, il est important de comprendre ce que représente la gestion d’un hôtel dans son ensemble. On ne peut pas se lancer sans réfléchir à comment faire face à la complexité. Le regard extérieur et l’oreille attentive du consultant prend là toute son importance.