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En décembre 2020, la Commission européenne a initié la mise en place d’un cadre réglementaire : le Digital Markets Act (DMA), visant à réglementer les marchés numériques. Il a pour objectif de promouvoir une concurrence plus équitable entre tous les participants de l’écosystème numérique, tout en incitant à l’innovation au sein de l’économie digitale.
Bien qu’il s’agisse d’un changement de paradigme dans les règles du jeu régissant le e-commerce, il semble que la plupart des médias, dans le secteur hôtelier en particulier, n’en aient jusque-là pas tenu compte.
Mirai a suivi de près l’évolution de ce règlement dont les premiers effets se feront sentir en janvier 2024. Dans cette publication, nous tenterons de clarifier la question, en anticipant ses possibles répercussions.
Qu’est-ce que le DMA et en quoi vous concerne-t-il en tant qu’hôtelier ?
La réglementation sur les marchés numériques est une proposition de l’Union européenne (UE) qui vise à garantir l’équité ainsi que la protection des utilisateurs au sein de l’environnement numérique. Son objectif est de limiter le pouvoir des grandes plateformes technologiques désignées comme « gardiens » (gatekeepers en anglais) de l’accès à l’information. Il s’agit des entreprises qui contrôlent l’accès aux marchés numériques, dans le but que celles-ci n’abusent pas de leur position dominante sur le marché.
Ce règlement contient un ensemble d’obligations et d’interdictions pour ces “gardiens”. Par exemple, ne pas favoriser leurs propres services par rapport à ceux des concurrents sur leur propre plateforme, leur interdire d’utiliser les données recueillies sur leurs plateformes pour exercer une concurrence déloyale, ou les obliger à permettre l’interopérabilité (faciliter l’accès et l’intégration) avec d’autres plateformes, permettant ainsi une concurrence plus loyale et plus ouverte.
En dépit d’une certaine prudence dans le secteur, cette réglementation peut avoir un impact majeur sur l’écosystème numérique hôtelier. D’une part, en permettant aux hôteliers de mieux contrôler leur distribution en ligne et de négocier des conditions plus équitables avec les plateformes. D’autre part, les changements que ces gardiens devront apporter pour répondre aux exigences du DMA, auront des conséquences que nous ne pouvons pas encore mesurer, mais qui n’auront probablement pas toujours le résultat escompté par les hôteliers.
Qui sont les gardiens selon la Commission européenne ?
L’un des principaux objectifs de cette loi est d’identifier et de contrôler les grandes plateformes technologiques, les gardiens. Ces plateformes doivent répondre à certains critères, notamment en ce qui concerne la gamme et la portée des services proposés par l’entreprise dans l’UE, son rôle d’intermédiaire entre les utilisateurs finaux et les fournisseurs de services et enfin son influence à long terme sur le marché.
Un gardien est spécifiquement défini comme suit :
- C’est une entreprise qui fournit des services de plateforme dans l’Union européenne.
- Il joue un rôle prédominant sur le marché intérieur et est actif dans plusieurs pays de l’Union européenne.
- Il fonctionne comme un « point d’accès » important qui permet aux utilisateurs professionnels d’atteindre les utilisateurs finaux.
- Il exerce une influence significative sur le fonctionnement du marché numérique et a un effet durable sur les utilisateurs et les entreprises qui dépendent de ses plateformes.
Tous ces critères ont été quantifiés[1] par la Commission européenne en détaillant les seuils qu’elle fixe pour chacun d’entre eux. Mais ces gatekeepers peuvent également être nommés par la Commission elle-même, même s’ils ne répondent pas strictement à tous ces critères[2] .
Après avoir défini ce qu’est un gardien, voyons comment il peut affecter les entreprises du secteur de l’hôtellerie :
- Une plus grande transparence : les plateformes devront être plus transparentes dans la manière dont elles classent et présentent les options d’hébergement aux utilisateurs. Cela pourrait nécessiter des changements dans les algorithmes et les politiques des plateformes.
- Restrictions d’utilisation des données : restrictions sur la manière dont les plateformes utilisent les données recueillies par l’intermédiaire de leurs services. Par exemple, il pourrait leur être interdit d’utiliser les données générées par un hôtel pour le concurrencer directement.
- Une plus grande interopérabilité et portabilité des données : cela signifie qu’un hôtel pourrait facilement transférer ses listes et ses données clients d’une plateforme à une autre.
- Interdictions de pratiques commerciales déloyales : par exemple, il est interdit d’obliger les hôtels à proposer les mêmes tarifs sur toutes les plateformes (clauses de parité tarifaire).
- Permettre l’accès à des tiers : les gardiens pourraient se voir contraint à permettre à d’autres prestataires de services de voyage d’accéder à leurs plateformes pour offrir des services complémentaires, tels que l’assurance voyage.
La réglementation prévoit également une surveillance régulière et des contrôles stricts pour garantir son respect par les gardiens. Elle prévoit aussi la possibilité de sanctions sévères, d’interdictions de comportements spécifiques et d’amendes pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires global annuel en cas de non-respect avérés de cette nouvelle réglementation.
[1] Règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre sur les marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et qui modifie les Directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 (Législation sur les marchés numériques). Journal officiel de l’Union européenne, série L 265/30-31, (chapitre 2, article 3, paragraphe 1. ) 12 octobre 2022.
[2] Comme prévu dans l’article 3, chapitre 2, paragraphe 8 du règlement.
Booking.com se positionne comme non-gardien
Au cours de la mise en œuvre de la réglementation, la Commission européenne a identifié un certain nombre de plateformes comme des gardiens potentiels, permettant à chacune d’entre elles de présenter leurs positions et arguments avant le 3 juillet 2023. Le lendemain, Booking.com a rendu public, au moyen d’un communiqué de presse, sa prise de position en tant que non-gardien sur la question du DMA[3].
Sur la base des critères mêmes de la législation sur les marchés numériques décrits ci-dessus et du point de vue des hôteliers, il ne semble pas logique que Booking.com se positionne du côté de la partie « faible » de la chaîne (d’autant plus que d’ici la fin de l’année, elle aura largement rempli tous les critères) et non comme un acteur ayant un contrôle clair sur les utilisateurs, les données et l’hégémonie sur le marché européen.
Si la Commission accepte l’auto désignation de Booking.com, la plateforme se trouvera dans une position avantageuse dans ce nouveau cadre réglementaire, échappant au contrôle que la loi exercera sur les gardiens et bénéficiant des réglementations imposées à d’autres grandes plateformes (telles que Google, par exemple), augmentant ainsi son hégémonie et son pouvoir sur les hôteliers.
Heureusement, comme nous l’avons vu précédemment, le règlement prévoit la possibilité pour la Commission européenne elle-même de désigner le statut de gardien à une plateforme, même si celle-ci ne remplit pas tous les critères. Cela représente une lueur d’espoir pour les hôteliers que de voir Booking.com reléguée du côté des gardiens. Cette décision de la Commission bouleverserait les règles du jeu de notre secteur et redonnerait aux hôtels le contrôle sur leurs prix et leur data, laissant ainsi place au développement des ventes directes.
[3]Dans son communiqué, Booking indique ne pas remplir tous les critères définis par la Commission dans le DMA (la COVID-19 a affecté ses chiffres de sorte qu’elle n’atteigne pas le seuil défini pour 2020) et qu’elle ne peut donc pas revêtir le statut de gardien. Tout au long de cette année 2023, elle répondra – amplement – aux critères.
Conclusion
Cette nouvelle législation sur les marchés numériques représente une avancée importante dans la réglementation de l’écosystème digital, visant à promouvoir une concurrence équitable entre les acteurs du marché ainsi qu’une meilleure protection de l’utilisateur.
Du côté des hôteliers, cette réglementation a le pouvoir d’équilibrer les règles du jeu en favorisant un meilleur contrôle de leur e-distribution et de meilleures conditions négociées avec les plateformes. Cependant, la position de Booking.com en tant que “no gatekeeper”, en ce qui concerne le DMA, soulève des questions quant à sa conformité aux critères établis et à sa volonté de se soumettre aux réglementations imposées aux gardiens.
Il pourrait en résulter un avantage déloyal pour Booking.com qui pourrait accroître encore davantage sa domination du marché et, par conséquent, la dépendance de nombreux établissements à son égard.
Compte tenu du poids de l’industrie hôtelière dans les économies européennes telles que l’Espagne, la France, le Portugal ou la Grèce, une application erronée du concept gatekeeper du DMA pourrait affecter la distribution directe et la rentabilité des établissements hôteliers. Ceci entraînerait irrémédiablement une dégradation de la compétitivité pour l’ensemble de l’écosystème hôtelier, soit tout le contraire de ce que recherche la Commission européenne.
Les éventuelles répercussions de cette réglementation ne sont pas encore claires mais nous ne pouvons ignorer que son application affectera directement la distribution des hébergements touristiques, mais aussi la manière dont les informations et les données sont présentées aux clients finaux. Les premiers changements apportés par le règlement sont imminents et il sera nécessaire de rester vigilant afin que les hôteliers ne soient pas pris au dépourvu. À suivre…