Avant de commencer, je tiens à préciser que cet article a été rédigé par Guillaume Tarradellas. C’est un article invité, c’est la première fois que je vous propose ce type de contenu. Guillaume Tarradellas n’a rien à vendre, mais il a à partager. Cet article a été écrit il y a un an, avant la crise, mais il prend encore plus de sens maintenant, c’est pourquoi j’ai décidé de le partager avec vous aujourd’hui.
Guillaume à participé à ma série Les Causeries du Confinement Covidique, faites connaissance avec lui => LinkedIn
Merci à toi Guillaume pour ce partage et encore désolé du délais de publication.
Par uberisation, et hormis l’aspect racoleur du titre, j’entends par là la défragmentation de l’hôtellerie. L’arrivée d’internet a bousculé le monde de l’hôtellerie. Depuis le milieu des années 90, on vit des changements très important dans notre métier, dont les plus visibles sont dans la distribution. On est passé d’une gestion tarifaire et de distribution relativement passive à un mix de la distribution important impliquant une gestion tarifaire complexe.
Le Yield Management est arrivé en force dans notre métier à la fin des années 90, début des années 2000, il s’est complexifié avec le temps et l’arrivée de nouveau mode consommation.
Mais on a également vu la réputation d’un établissement changer du tout au tout, puisqu’avant un hôtel était noté selon des critères définis par les autorités (les étoiles) et par d’autre critères définis par les agents de voyages et magazines spécialisés. Or, aujourd’hui tout le monde est un guide de voyage potentiel influençant d’autant les clients potentiels en ligne.
On parle désormais de Revenue Management global, méthode permettant d’augmenter le revenu depuis chaque département, de la réception au F&B en passant par le housekeeping. Bref, notre métier évolue rapidement et ce n’est peut-être que le début.
La nouvelle hôtellerie
Avec l’avènement de l’économie dite de partage, dont le fer de lance bien connu se nomme AirBnB, tout un chacun ou presque peut désormais se convertir en mini hôtelier en louant son appartement à la nuitée. Des normes se mettent en place pour encadrer la location touristique mais ce marché a désormais pris une telle ampleur que des entreprises ont vu le jour et ont professionnalisé ou commencent à professionnaliser ce nouveau marché.
Je ne m’attarderai pas trop sur ce que cela implique pour l’hôtellerie dite traditionnelle, je crois simplement que c’est un nouveau mode de consommation offrant un plus ample éventail de choix au consommateur en fonction de ses besoins.
Comment est en train de se structurer ce nouveau marché ?
D’un côté nous avons les propriétaires et de l’autre côté on a vu apparaître des entreprises de gestion d’appartements touristiques. On nomme ces entreprises des Property Managers. Le propriétaire peut dès lors sous-traiter la gestion de son bien à une entreprise qui se chargera de la gestion, opérationnelle d’une part et de la distribution d’autre part. L’opérationnel avec la gestion des arrivées, des sorties, du nettoyage et de la maintenance. Et la distribution avec, comme dans un hôtel, une équipe pour gérer les réservations, le revenue et le marketing.
Il y a des entreprises globales, qui gèrent tout ces aspects et d’autres plus spécialisées qui ne géreront qu’un seul des aspects, par exemple le nettoyage seul ou le revenue management uniquement.
Un exemple concret permet de mieux visualiser la situation. Nous avons un propriétaire qui sous-traite la gestion de son appartement à une entreprise de gestion. Celle-ci, en interne, ne va gérer que la partie revenue management (distribution, marketing, revenue management et
réservations) et va à son tour sous-traiter le nettoyage à une tierce entreprise, la maintenance à une autre, la réception à une entreprise de conciergerie et la buanderie à une dernière. On a donc un total de 6 acteurs distincts pour gérer un appartement.
A chacun son métier
En tant qu’hôtelier, cette maxime me fait sourire. Surtout quand elle vient de la bouche d’un collègue hôtelier se plaignant qu’une OTA comme booking.com s’immisce de plus en plus dans sa gestion, influençant sa politique commerciale. Cela me fait sourire car l’essence même du
métier d’hôtelier est la polyvalence mariant différents corps de métier.
Si nous prenons un hôtel de taille moyenne, disons 100 chambres, un restaurant, deux bars, deux salles d’événements (réunions, mariages, salons, etc.), une réception 24/24, un parking et ajoutons-lui une boutique souvenirs. Combien de corps de métiers dans cet hôtel ? Réceptionniste, revenue manager, responsable réservations, direction générale, équipe de maintenance, gouvernante, femme de chambre, serveur, chef de cuisine, maître d’hôtel, plongeur, valet de parking, responsable MICE.
Et ce sans subdiviser la réception en chef de réception, réceptionniste, bagagiste, concierge… On voit donc que notre hôtel est constitué de pléthores de corps de métier, chacun avec ses compétences et tâches précises.
J’ai pris l’exemple d’un hôtel relativement grand, que l’on imagine aisément être franchisé à un grand groupe, mais si l’on prenait un petit hôtel familial, où l’équipe serait réduite en comparaison, on se rend compte de la charge de travail et plus que cela du cumul de compétence pour son propriétaire gestionnaire.
Actuellement, bien souvent pour les hôtels de chaîne, on a d’une part un gestionnaire d’actifs immobiliers propriétaire des murs et de l’autre un gestionnaire hôtelier pour la gestion de l’hôtel en soi. L’un et l’autre lié par un contrat de location gestion à long terme. Puis, dans certains cas les hôtels vont s’associer avec un chef reconnu pour gérer le restaurant et sous-traiter la buanderie à une grande entreprise. Ça commence à faire un certain nombre d’entreprises pour gérer un seul hôtel. Mais allons plus loin encore.
Avenir probable de l’hôtellerie
Transposons la façon de faire des Property managers à l’hôtellerie traditionnelle. Fragmentons notre hôtel de 100 chambres en fonction des corps de métier, chacun gérer par un spécialiste ne faisant que cela.
D’abord nous aurions l’actif immobilier, aux mains d’un investisseur immobilier. Ensuite nous aurions un concierge virtuel pour la vente d’activités, des bornes de self check-in pour les arrivées
et sorties, une entreprise de nettoyage, une buanderie, une entreprise de catering pour le restaurant, une autre pour l’autre restaurant, une troisième pour le bar, une boite de travaux et peinture pour la maintenance, une entreprise de sécurité, une entreprise d’événementiels pour la gestion des salles, une entreprise externe de revenue management pour la distribution. À chacun son métier donc. 11 entreprises travaillant séparément pour la gestion d’un hôtel.
Peut-on encore parler d’hôtel ou devrions-nous plutôt parler d’actif immobilier destiné à l’hôtellerie ?
Et enfin imaginons la dernière strate de ce scénario. Chacun des employés de ces différentes entreprises est un auto-entrepreneur à son compte, payé à la prestation. Ça fait réfléchir.
Réduction des coûts au maximum, maximisation du profit pour le propriétaire des murs sans qui il n’y aurait pas d’hôtels. Le gestionnaire choisissant chaque prestataire afin de créer le plus de valeur pour son bien. Le revenue se mesure aux résultats, l’opérationnel à la réputation, les deux
étant évidemment intimement liés.
Conclusion
L’hôtellerie telle que nous la connaissons ne va pas disparaître. Mais les petits hôtels indépendants seront de moins en moins nombreux. Ces établissements garderont probablement la mainmise sur leur gestion et n’entrent pas dans ce scénario.
Cependant, les grands groupes vont gentiment mais sûrement se subdiviser pour ne se concentrer que sur les aspects qu’ils jugeront prioritaires. Le maître du jeu va devenir le propriétaire décidant de sous-traiter chacun des différents départements dans le but de maximiser la rentabilité de son actif immobilier en réduisant au maximum les coûts.
De petites entreprises vont devenir des géants dans leur domaine propre. Une entreprise de nettoyage local, à coups d’acquisition et croissance pourrait se convertir en acteur global du nettoyage.
Les grands groupes hôteliers pour leur part déjà subdivisé en marques vont également se subdiviser en départements. On peut imaginer un groupe comme Accor gérant ses marques hôtels, mais également ses marques de gestion ; on a déjà John Paul pour la conciergerie, DEdge pour la technologie, pourquoi n’aurions-nous pas Accor Cleaning pour le housekeeping, Accor Axess (en rachetant e-axess par exemple) pour le revenue management, Accor Laundry pour la buanderie, etc. Toutes ces entreprises ou plutôt toutes ces marques s’occupant de son domaine propre, Accor chapeautant le tout pour le compte du propriétaire.
Chacun se fera son opinion sur cette évolution du secteur. Une chose est sûre, les hôteliers n’ont pas fini de s’adapter aux changements qui les attendent. Ceux qui s’y attelleront avec enthousiasme, pragmatisme et courage s’en sortiront bien mieux que ceux refusant ou combattant le changement sociétal que nous vivons.
Le monde évolue, accompagnons cette évolution avec bon sens.
Guillaume Tarradellas
écrit en octobre 2019
Notes de Thomas
Image "à la une" tweakée par Thomas à partir d'un vrai logo Uber
Image "faut il mettre" réalisée par l'équipe Artiref il y a quelques années
Image "intermédiaire" de latribune.fr
Image "hotel" je sais plus d'où elle vient, mais elle est belle.
Image de l'équipe devant sur hôtel vient d'un vrai hotel