C’est quoi ce jaillissement de nouvelles chaînes hôtelières inconnues
… et qui risquent de le rester.
FirstName, Indigo, Curio, Tribute Portfolio, Salt, Canopy, Tru, Tesptry Collection, Mantra, Greet, The Crest, Mondrian, Edition, Quartz Inn, Gaylord, Garden Inn, Voco, Even, Tribe, Sure, Avid… et tant d’autres, dont la dernière en date chez Accor : Handwritten Collection. Ce sont des noms de chaînes hôtelières.
Ils vous disent quelque chose ? Probablement pas. Voire, rien du tout. Et si vous êtes un professionnel du tourisme et que vous avez vu défiler ces marques dans la presse professionnelle, il y a peu de chance que vous sachiez dire quels concepts et styles d’hôtellerie elles couvrent.
Être connu ou inconnu des pros est une chose. Mais, le plus important n’est-il pas que les clients d’hôtels puissent reconnaître une enseigne et sachent de quoi il s’agit pour en être attirés ?
Pour les voyageurs européens et français interrogés par Coach Omnium dans le cadre de nos études régulières sur la notoriété des chaînes hôtelières présentes en France, toutes ces marques citées ont un score de reconnaissance flirtant avec le zéro. Même celles qui ont déjà quelques années.
Plus grave encore, sur près de 120 chaînes hôtelières identifiées en France, seulement une dizaine bénéficient d’une notoriété significative auprès des clients d’hôtels réguliers ou occasionnels. Une dizaine d’autres ont un score à peine passable. Les autres sont soit inconnues du public de voyageurs, soit avec une notoriété lacunaire.
POURQUOI CES MARQUES NE SONT-ELLES PAS CONNUES ?
- Quand elles sont récentes, ce qui se comprend bien. Elles n’ont alors pas eu le temps de se faire connaître et de se déployer.
- Quand leur réseau est peu implanté en France et en Europe. C’est le cas de nombreuses chaînes dont les hôtels sont surtout localisés en Amérique du Nord ou en Asie. Elles ne peuvent alors pas être identifiées par les clients d’hôtels qui ne se rendent que sur notre continent (la majorité).
- Quand elles n’engagent pas (ou si peu) de budgets de promotion et de communication pour se faire connaître. Car, certains réseaux peuvent avoir plus de 20 à 25 ans et sont absents de la mémoire des voyageurs…
- Quand le réseau est trop petit pour toucher beaucoup de clients.
Évidemment, leurs créateurs diront que c’est juste une question de temps pour que ces enseignes trouvent leur place au soleil. Cela reste à voir.
PROBLÈMES DE NOTORIÉTÉ MAIS AUSSI D’IMAGE
Ne pas être connu du grand public est embêtant. Ne pas l’être des clients réguliers et occasionnels de l’hôtellerie est bien plus gênant encore. Car la notoriété fait vendre. On achète plus facilement ce que l’on connaît, soit comme déjà consommateur, soit par le bouche-à-oreille. Mais, au-delà de la notoriété (aspect quantitatif), il y a aussi l’image (élément qualitatif). Si l’on n’a jamais entendu parler de quelque chose, il est difficile de savoir de quoi il s’agit. Et là aussi, quand un concept est indescriptible, inintelligible ou flou, on s’abstient d’acheter.
En dehors de la reconnaissance, bien des enseignes chapeautent désormais des réseaux au contenu très hétéroclite, qui sont, par conséquent, impossible à définir par manque de cohérence dans les offres et/ou dans les gammes.
Heureusement, toutefois, qu’il existe l’e-réputation, qui permet de se faire une idée grâce aux autres consommateurs, quand on doit choisir un ou des hôtels où séjourner. En cela, le résultat n’est pas toujours bien brillant. Dans notre dernier testing sur les notations des hôtels (près de 2.500 unités) des grandes chaînes de plus de 100 adresses présentes en France, le meilleur score moyen est de 8/10 sur Booking. Il est bien décevant, c’est-à-dire très moyen (la plus mauvaise note est de 6/10). Ce n’est guère mieux sur les autres sites d’avis de voyageurs.
Seuls 5 hôtels des chaînes concernées, sur près de 2.500, atteignent une note de 9/10 et …pas plus. L’e-réputation alors ne sauve même pas les chaînes qui ont une forte notoriété.
DES MARQUES ORPHELINES
Il faut essentiellement aller voir chez Hilton le principe de marque ombrelle. Le nom de la chaîne est signé « by Hilton » (par exemple, Garden Inn by Hilton). Quand le réseau n’a pas ou peu de notoriété, le « by Hilton » — nom en revanche très connu — aide grandement. La signature connue peut alors rassurer les clients et compenser en partie l’absence de notoriété de la « sous-chaîne ». Mais, avec le risque que l’on pense qu’on aura affaire à des services upgradés et des prix plus élevés qu’ils ne le sont en réalité, selon le positionnement de la chaîne.
Dans la plupart ou la presque totalité des autres groupes hôteliers, la pratique de la marque ombrelle ne se fait pas. C’est alors un gâchis et une approche marketing surprenante où le grand frère n’aide pas le petit à se faire connaître. On comprend alors que les marques orphelines auront peu de chance d’exister un jour commercialement.
Plus globalement, les catalogues de marques dans les groupes hôteliers sont désormais si riches que personne n’y comprend plus rien.
D’OÙ VIENT CETTE BOULIMIE DE CRÉATIONS DE MARQUES ?
On compte presque une vingtaine de marques chez Hilton, une quarantaine chez Accor, une trentaine chez Marriott ou encore une quinzaine chez IHG. Et ainsi de suite dans d’autres grands groupes hôteliers à dimension internationale. On peut estimer qu’il existe plus de 2.500 à 3.000 enseignes de chaînes dans le monde avec une inflation de créations de nouveaux noms qui a furieusement commencé depuis une quinzaine d’années et s’accélère depuis 2 à 3 ans.
Il y a principalement deux explications à cet inventaire à la Prévert. L’acquisition de chaînes concurrentes venues enrichir le portefeuille de marques des groupes hôteliers. Mais, ce n’est pas nouveau. On l’a connu dès les années 1980. En revanche, le lancement à tout va et à tout vent de nouvelles enseignes (avec de plus ne plus des noms à coucher dehors) est plus récent.
Officiellement, les responsables de ces innovations — qui n’en sont pas toujours, car pas forcément accompagnées de concepts nouveaux — expliquent qu’il s’agit d’adapter les offres à des niches de clientèles pour qui l’attente de personnalisation serait primordiale. « À ce rythme-là, ils vont lancer des chaînes pour clients unijambistes, pour allergiques au pollen ou pour anciens fumeurs-alcooliques-amateurs-de-romans-photos… », s’amuse un observateur.
En réalité, il s’agit à la fois de donner l’impression pour chaque groupe qu’il est créatif (de quoi rassurer les milieux financiers et impressionner les concurrents), que le nombre de marques indique une certaine puissance et que leurs réponses à tous les besoins des voyageurs est un gage de professionnalisme.
Mais, avant tout, il s’agit de pouvoir proposer à des franchisés des solutions variées, de manière à n’avoir pas à standardiser les hôtels et de permettre d’intégrer des nouveaux membres pour qui on respecte l’ADN, sans que le groupe n’impose le sien.
Bref, c’est une approche surtout faite pour faciliter et accélérer le recrutement de nouveaux affiliés, quand la création d’hôtels en filiales et en constructions neuves se fait de moins de moins. Cela demande des fonds importants et aboutit à un développement trop lent.
Rien qu’en France, il y avait près de 2.700 adresses de chaînes hôtelières intégrées en 2000, contre à peine environ 3.200 aujourd’hui, plus de 20 ans plus tard. Il leur faut donc trouver des astuces pour croître encore et la franchise est celle qui a été majoritairement choisie depuis ces deux dernières décennies. Cela rapporte beaucoup aux franchiseurs pour peu de frais et peu de risques.
Dans ce dessein, on trouve par conséquent des marques avec plus ou moins de caractéristiques et de thèmes, ne serait-ce que sur le papier, pour capter des franchisés : boutique-hôtels, premium, lifestyle (le fameux), hôtels écoresponsables, design contemporain, bien-être et santé, familles…
QUELLES CONSÉQUENCES ?
• Pour les groupes hôteliers détenant de nombreuses marques : c’est augmenter considérablement les coûts de gestion de l’ensemble de ces enseignes. Plus on doit s’occuper de marques, plus cela coûte cher. C’est mathématique, même si l’on peut mutualiser des moyens. En contrepartie, en offrant un éventail large de réseaux, ils peuvent effectivement plus facilement séduire des investisseurs et franchisés qui voudraient conserver une forme de personnalisation de leur hôtel et se retrouver entre hôteliers ayant les mêmes caractéristiques.
La déstandardisation des produits hôteliers est la règle depuis les années 1990, les clients et les franchisés étant de moins en moins adeptes de l’uniformité.
• Pour les clients d’hôtels : on ne voit pas bien l’intérêt de lancer sans cesse de nouvelles enseignes de chaînes hôtelières qui désormais auront peu de chance de trouver une notoriété significative auprès du public, d’être comprises par ce dernier et de pouvoir développer une performance commerciale. Quand en plus les concepts sont flous — majorité des cas —, le ratage est complet. D’autant plus qu’avec la puissance commerciale des OTAs et plateformes de réservations en ligne, seules les (rares) chaînes bénéficiant d’une forte notoriété (mais elles ont plus de 40 ans, généralement) et d’un réseau très étoffé peuvent encore leur résister. Pour les « pas connus », c’est « no future » en tant qu’entité monolithique.
• Pour les franchisés : c’est le plus préoccupant. Faire adhérer des franchisés et des investisseurs — souvent avec des contrats longs de 10 à 20 ans — à des marques inconnues de la clientèle hôtelière, dont on ne sait même pas si elles ont un avenir, est presque une supercherie. C’est faire payer des droits d’entrée et des redevances (parfois jusqu’à 300.000 euros par an !) pour qu’une marque se fasse connaître en s’agrandissant grâce aux franchisés. Le donnant-donnant n’est pas respecté.
Quand, encore une fois, on peut travailler avec des Booking, Expedia et autres OTAs qui peuvent générer un gros trafic de clientèle, en ne payant des commissions que proportionnelles aux ventes réalisées, pourquoi alors s’affilier — avec des redevances forfaitaires élevées — à une marque qui n’a pas de notoriété et dont l’impact commercial sera insignifiant ?
Mark Watkins