INFLATION : court-on vers un gros problème pour rentabiliser les hôtels ?
Avec la flambée des coûts de toutes sortes et plus globalement l’inflation, l’hôtellerie (mais aussi bien sûr la restauration) va indéniablement perdre en rentabilité. C’est autant vrai pour les hôtels en exploitation que pour les projets qui attendent d’ouvrir.
La solution ? Augmenter les prix et faire payer ces hausses de charges par les clients. Mais, ce raisonnement un peu scolaire risque de ne pas fonctionner et de faire chuter l’activité. Sans parler de prendre le risque de recevoir en boomerang une e-réputation désastreuse.
LES CHARGES DANS LES HÔTELS GONFLENT COMME DES CHAMPIGNONS :
- Eau-énergie
- Marchandises consommées (petits déjeuners, restauration, bar, entretien…)
- Personnel
- Blanchisserie
- Honoraires (sous-traitance, expertise-comptable, assurances…)
- Coûts de construction et de rénovations
- + PGE à rembourser
La Banque de France estime que la hausse de l’indice des prix à la consommation devrait s’établir à 6 % en 2023 avant de fléchir à 2,5 % en 2024, le pic se situant au premier semestre 2023. Nous en étions dernièrement à entre 0 % en 2015 et 1,8 % en 2018.
Plus spécifiquement à l’hôtellerie, ce sont des cascades de hausses de charges d’exploitation qui tombent sur la tête des hôteliers :
• L’eau-énergie : éclairer et chauffer les locaux, faire fonctionner les appareils électriques, cuisiner, porter l’eau chaude sanitaire à température, mais aussi climatiser, coûtent et coûteront de plus en plus cher. C’est un truisme. L’eau de ville, également, va voir ses prix de revient bondir à cause de l’inflation sur les énergies (récupération, traitement, assainissement…).
Jusqu’ici, l’hôtellerie avait un ratio « eau-énergie » qui allait en moyenne de 3 à 3,5 % du chiffre d’affaires. Désormais, il va falloir compter sur au moins 6 % des recettes, si ce n’est plus selon les types d’hôtels et leur localisation. Demander aux clients de s’imposer une sobriété énergétique lorsqu’ils sont à l’hôtel ne s’avère pas efficace, ni souhaitable sur un plan commercial (voir plus loin).
• Marchandises consommées : que ce soit pour la restauration, le bar ou les petits déjeuners, là encore la facture enfle comme une montgolfière. Renchérissement des coûts de fabrication et de transformation des produits et des emballages, rareté ou restrictions de certains produits, augmentation des frais de transports (livraison mais aussi importations), etc. tout cela fait boursouffler les coûts de marchandises consommées de 3 à 4 points sur chiffre d’affaires.
• Frais de personnel : pour rattraper les retards de rémunération, mais aussi pour attirer de la main d’œuvre qui manque, les frais de personnel subissent un coup de boutoir titanesque dans le secteur. Déjà, le SMIC hôtelier est passé en 2023 à près de 2.100 € mensuels brut, sur la base de 39 heures conventionnelles (dont heures majorées) et des avantages en nature (repas). Il sera sans doute autour de 2.300 € en 2025. A noter que les CHR sont le secteur qui emploie le plus de smicards (près de 40 % selon la Dares), juste avant celui des emplois d’aide à la personne.
En corollaire, les frais de personnel — salaires et par voie de conséquence les charges sociales — vont grimper d’au moins 3 à 5 points en ratio sur le chiffre d’affaires. Et encore, avec la recherche permanente de personnel qualifié, il est probable que cette charge d’exploitation va prendre encore plus de poids.
• Autres charges : tout ce qui comprend des salaires, de l’énergie, du transport… voit et verra une furieuse flambée des facturations auxquelles les hôteliers devront faire face. Cela concerne le blanchissage du linge, les produits d’entretien et d’accueil, le renouvellement du petit matériel, les fournitures, la téléphonie dont internet, les contrats d’entretien/maintenance, les réparations, mais aussi les honoraires des prestataires (expertise-comptable, juridique, assurances, etc.). — liste non limitative.
ENVOLÉE DE LA DETTE
• PGE : A ces aspects conjoncturels, il faut ajouter que les hôteliers doivent désormais rembourser les Prêts Garantis par l’État (PGE) obtenus durant la crise sanitaire. 93 % d’entre eux en auraient souscrit un. Sachant que la moitié des hôtels français sont des petites unités (moins de 30 chambres) à faible rentabilité et que presque 3/4 ont moins de 50 chambres — lire notre Panorama de l’hôtellerie en France.
Voir à la fois les charges d’exploitation augmenter fortement et devoir en même temps rembourser ses éventuelles dettes et le PGE, se présente déjà comme insurmontable pour de nombreux professionnels. Dans l’hôtellerie-restauration, un entrepreneur sur quatre concerné par un PGE affirmait fin juin 2022 ne pas être en capacité d’honorer ses remboursements.
Et ce malgré une très belle remontée de la demande hôtelière depuis le 2e trimestre 2022, dépassant sur quelques mois les taux d’occupation enregistrés en 2019, année considérée comme « bonne » pour le tourisme, avant le Covid. Mais ce n’est pas tout…
• Coûts de construction et de rénovations : pour les nouveaux projets et pour les hôtels en profondes rénovations, l’inflation sur les matériaux de construction est très palpable, due en partie aux conséquences de la guerre en Ukraine, à la flambée des coûts de l’énergie et du transport, mais aussi à la spéculation. Ainsi, depuis janvier 2022, les entreprises du BTP sont confrontées à une élévation moyenne du prix des matériaux de 26 % (source CAPEB). Selon la Fédération Française du Bâtiment, le prix du fer à béton a été multiplié par trois en un an. La menuiserie-serrurerie a pris + 21,5 % ; + 19,4 % pour la maçonnerie-entreprise-générale ; + 17 % pour la couverture-plomberie-chauffage ; + 16,4 % pour l’aménagement-décoration-plâtrerie et électricité. Quant au matériau bois (construction, mobilier, décors, etc.), on assiste à une véritable explosion des prix, oscillant entre + 30 % et + 110 %.
Les salaires dans le BTP ont également été rehaussés par manque de main d’œuvre, là aussi. Les professionnels du bâtiment disent n’avoir d’autre choix que de répercuter ces surcoûts sur leurs devis et factures.
Ce qui fait que le prix de revient des réalisations hôtelières va prendre facilement 20 à 25 %. Il va s’en suivre des envolées des loyers pour les projets neufs, les propriétaires de murs devant répercuter l’inflation de leurs charges. En somme, le retour sur investissement sera parfois compliqué à trouver.
RÉPERCUTER CES GONFLEMENTS DE CHARGES DANS LES PRIX DE VENTE
Avec le boom de ces coûts additionnels de construction et de charges d’exploitation, il va bien falloir trouver le moyen de rentabiliser les affaires hôtelières. Pour cela, les professionnels ne voient comme seule solution que de majorer massivement les prix de leurs prestations. Et ils n’ont pas attendu. On a pu observer une croissance moyenne des tarifs des chambres d’hôtels de près de 20 % en 2022 par rapport à 2019. C’est environ 15 % pour les petits déjeuners.
COMMENT PERDRE DES CLIENTS ?
Pour s’en sortir, augmenter fortement les prix de son hôtel fait prendre un risque énorme. Certes, le public comprend que tout devient plus cher par les temps qui courent. Il le voit bien dans ses achats au quotidien et les médias ne cessent de parler de l’inflation.
Mais, il serait fautif d’ignorer que les voyageurs sont également des victimes des prix qui flambent, avec parallèlement des revenus (salaires, pensions de retraite…) qui n’ont pas progressé au même rythme. Bref, les clients des hôtels ont également leurs problèmes, tout comme les entreprises qui paient les voyages d’affaires et les séminaires. Croire qu’on ne peut pas tenir compte de cette situation inflationniste générale et qu’en hôtellerie on peut relever ses prix avec force et vigueur en se croyant seule victime de la conjoncture, serait une posture suicidaire.
Certes, si les charges gonflent, chercher à donner un bon coup de pouce à ses prix de vente est logique. Mais, il ne faut pas oublier que 56 % des voyageurs trouvaient déjà les hôtels chers avant la crise du Covid et 42 % le pensent encore en 2022 — voir notre sondage. Fermer les yeux sur cela, c’est donner le bâton pour se faire battre et s’exposer à subir une e-réputation détestable. Le prix est un sujet sensible pour les voyageurs d’affaires comme de loisirs, qui ont vite fait tendance à exprimer leur déception sur les plateformes en ligne…
LES FAUSSES BONNES IDÉES :
• Chambres à 19°C : si les températures sont parfois une question d’impression — à la même température, certains se trouvent bien en t-shirt et d’autres se couvrent de trois couches de vêtements —, 19°C dans une chambre d’hôtel (annonce par le groupe Accor) c’est quand même limite à imposer. Infliger la même sobriété énergétique à tous (comme si nous étions tous pareils), ne pas laisser le choix de la température et du confort, quand dans un même temps on fait payer les mêmes tarifs qu’auparavant, voire plus chers, ne peut vraiment pas plaire.
Un client qui s’est laissé prendre ne se laissera pas prendre deux fois. Et puis, les efforts que l’on fait chez soi quand on paie soi-même l’électricité ou le fuel, ne sont plus ceux que l’on accepte de faire quand on séjourne ailleurs. Surtout quand les voyageurs trouvent que le prix du séjour est élevé (voir plus haut). Et proposer en compensation de températures basses des plaids et des couvertures de lit (hum, vraiment propres ?) ne peut pas être compris comme une solution acceptable.
• Ampoules à faible éclairement : s’il fait trop sombre dans les chambres, les occupants allumeront toutes les lampes disponibles. L’économie attendue ne sera pas au rendez-vous et les clients se sentiront floués.
• Limiter les consommations d’eau : mettre, par exemple, des briques dans les réservoirs des WC (vieille habitude datant du premier choc pétrolier des années 1970 !) pour en réduire la quantité d’eau ne fera qu’encourager les clients à tirer plusieurs fois la chasse d’eau pour évacuer convenablement la cuvette !
• Retirer les machines à café dans les chambres : une petite économie de bouts de chandelles alors que ce service est apprécié… Débrancher le mini-bar : même chose. On s’en sert pour mettre au frais ses propres boissons.
• Culpabiliser les clients — officiellement, les sensibiliser — en les incitant par des affichettes placées ici et là à n’utiliser que peu de linge de toilette, à fermer la lumière en sortant ou à ne pas utiliser la climatisation peut clairement agacer. Encore une fois, tout cela consiste à réduire la prestation et la qualité tout en conservant les mêmes prix. Vrai pour toutes les gammes d’hôtellerie.
• Couper le chauffage entièrement lorsque la chambre est inoccupée. Le résultat est que le client qui arrive en hiver a froid et qu’il faut du temps pour que sa chambre monte à une température convenable. Même chose en été pour la climatisation. Et l’économie d’énergie que l’on peut espérer par cette initiative est négligeable tout en rendant l’offre désagréable.
• Remplacer le personnel par des machines. C’est la grande tendance technologique du moment des hôtels qui se présentent comme progressistes : placer des bornes d’accueil ou des tablettes que les clients doivent utiliser eux-mêmes pour leurs check-in et check-out. On en profite pour réduire le personnel de réception. Voire (on l’a vu) le supprimer carrément par le truchement de textos que l’on envoie aux arrivants pour indiquer le numéro de chambre où se rendre directement en arrivant, avec un code d’accès.
Si certains voyageurs se sont faits à cette nouveauté, ils sont pourtant 69 % à juger indispensable et 31 % à trouver appréciable que l’hôtel ait un staff permanent pour accueillir et renseigner les clients (études par Coach Omnium).
Il existe de nombreux moyens techniques pour faire faire quelques économies sans contraintes pour les usagers. Il en va de la carte-clef qui éteint tout en quittant la chambre, des économiseurs d’eau par les pommeaux de douches en maintenant la même pression, des bons choix d’énergie, des détecteurs de mouvement pour la lumière des couloirs ou encore d’une bonne isolation thermique par des travaux et investissements idoines.
BUSINESS PLANS DES PROJETS HÔTELIERS
Tenant compte de tout cela, les business plans de l’hôtellerie vont changer profondément tant la situation conjoncturelle donne du fil à retordre dans la gestion hôtelière quotidienne. Les comptes d’exploitation prévisionnels devront désormais intégrer toutes ces données conjoncturelles inflationnistes, pour un recalcul de la rentabilité qui risque d’être moins prometteuse, voire absente… Cela ne va pas faciliter non plus la modernisation des hôtels si les moyens financiers manquent.
Mark Watkins