Signe des temps, le digital aura-t-il eu la peau des offices de tourisme ? La semaine prochaine, Paris, la première ville touristique au monde, fermera son dernier bureau d’accueil au public. Certes, l’iPhone et Google sont devenus les nouveaux offices de tourisme, mais la situation parisienne illustre une tendance générale à la remise en question de modèles … qui ne se sont que trop tardivement remis en question. Explications …
Les temps changent ! Le 13 janvier prochain, Paris fermera son dernier bureau d’accueil au public situé non loin de la Tour Eiffel. Un symbole de ce qui est en train d’advenir dans l’univers (public) du tourisme ? Probablement. Car d’autres villes françaises pourraient lui emboîter le pas.
Même si la décision est dictée par des impératifs budgétaires (Paris a réduit sa subvention de 2 Millions d’euros en 2 ans), personne ne peut ignorer la réalité d’un touriste lambda: pour se renseigner, trouver son chemin, activer son pass-mobilité, vérifier l’heure d’une séance ou réserver son billet d’entrée sur son mobile, comme disait Brigitte Bardot, “plus besoin de personne” … avec mon iPhone !
Dans une note interne rédigée par la directrice générale de l’office et dont le site EnContact a publié les extraits, il est expliqué que : “Dans une ville comme Paris dans laquelle les sites d’attractivité sont répartis de façon diffuse sur l’ensemble du territoire, le modèle du point d’accueil centralisé, présupposant que les touristes vont effectuer plusieurs kilomètres à l’heure du digital, pour obtenir de l’information, apparait à la fois obsolète et peu efficace, ne touchant in fine qu’une infime portion de touristes”.
Et d’expliquer que le digital – notamment les plateformes créées par l’office – feraient désormais “le job”. Sans compter sur le lancement, à venir, de deux autres projets : “le lancement d’un service de conciergerie touristique digitale et le maillage du territoire grâce à des points d’information touristique avec les kiosques à journaux et certains bureaux de poste”.
La décision – qui devrait aboutir à la suppression de 9 postes supplémentaires – sera mise en oeuvre dès le 13 janvier prochain et devrait faire des émules dans de nombreuses destinations où la même interrogation questionne de nombreux élus confrontés à des remises en question budgétaires, sur fond de crise d’argent public.
D’autant plus que les offices de tourisme (mais aussi, leurs partenaires départementaux et régionaux que sont les ADT et les CRT) sont dans le radar des magistrats de la Cour des Comptes. À Paris, par exemple, les magistrats s’interrogent encore sur le “bilan annuel qualitatif et quantitatif de son action (…) puisque la chambre n’a pu obtenir ces bilans pour les années 2019 à 2021”. Et ce genre d’interrogations est, en général, évité comme la peste par les élus municipaux à quelques mois des prochaines municipales.
Et de mettre aussi le doigt sur la difficulté chronique de ces structures à générer des fonds propres (billeterie, adhésions et services aux professionnels, etc) qui peinent à venir gonfler les caisses et à éviter les déficits historiques de ces structures (souvent) associatives.
La décision prise à Paris a valeur de symbole car elle pourrait démontrer aux élus qu’avec ou sans un office, l’impact sur le volume de touristes accueillis est presque (sinon) nul. Dans ce cas, pourquoi continuer à injecter autant d’argent public ? Pour quelles (nouvelles) missions et quels résultats ?
Pour autant, la condamnation des organismes touristiques n’est pas si évidente: beaucoup d’entre eux ont senti le vent (du digital) venir et ont abandonné, avant ce mur, une grande partie de leurs anciennes prérogatives et donc, de leurs charges courantes. Des structures départementales ou régionales ont réduit leurs charges de personnel dans des proportions jamais vues pour bâtir des modèles d’affaires plus en phase avec la réalité.
Car ces structures (et leurs élus) se sont souvenues qu’elles évoluent – aux côtés de milliers d’autres entreprises – dans un monde concret que l’éphémère gouvernement Barnier avait justement intitulé “l’économie du tourisme” … car le tourisme n’est rien d’autre que de l’économie.
Normal, dès lors, qu’en ces temps de profonds changements dictés par le digital et les mutations des comportements des touristes, et en cette période de grande crise, ces organisations aient revu de nombreux postes de charges (à commencer par le personnel, le principal, à plus de 70%), puis la promotion et le digital lui-même (comment rivaliser avec un Google ou un Booking ?) ou encore en focalisant leurs actions sur l’accompagnement des professionnels de leur destination. Mais, rassurons-nous, pour beaucoup, nous ne sommes pas encore “à l’os”…
Se couper un doigt plutôt que la main (ou le bras) fait partie des décisions courageuses que de nombreuses de ces structures ont dû prendre ces derniers mois. D’autres suivront. Tandis que d’autres continueront d’expérimenter, au frais du contribuable, des projets et des missions de redéfinition de leur avenir, de dépenser en conseils onéreux pour des orientations fumeuses comme seul le tourisme institutionnel a su en produire, de créer des plateformes où le digital confine à la vacuité, inventer des expressions “tellement inspirantes…“. Bref, à jouer du violon pendant que le navire coule.
Dans d’autres pays, comme les US ou le Québec, souvent pris en exemple depuis nos terres gauloises, ces structures sont souvent montrées comme des exemples de résilience. Cependant, il ne faut pas oublier ce paramètre: dans ces contrées, les offices sont de véritables “machines” privées dont l’autofinancement (c’est-à-dire, les moyens en provenance des professionnels) dépasse, en général, les 90%. Par ailleurs, ces structures ne sont pas gérées par les élus locaux ni par les pouvoirs publics. Une conception “normale” du tourisme qui reste, avant tout, une affaire économique, point-barre.
En conclusion, les structures territoriales du tourisme ont encore leur raison d’être à la condition de trouver les clés de leur propre autofinancement, en justifiant d’une valeur ajoutée reconnue (et payée) par les professionnels et en abandonnant des missions qui ne sont plus que de lointains souvenirs du passé. Paris est une première … et ne sera certainement pas une dernière.