“Tonerre de Zeus !”, c’est le retour des “liens bleus” sur Google ! Un véritable retour vers le futur de la recherche en ligne (donc, vers la fin des années 90) que Google s’impose en guise de réaction à la mise en application du DMA (Digital Market Act) en Europe. Preuve que le débat est loin d’être clos, en particulier dans l’univers très sensible du tourisme …
Cela pourra vous semble très bizarre, mais si Google confirme l’efficience du test lancé, depuis hier soir en Belgique, il est fort probable que la recherche de voyages sur sa plateforme vous rappelle vos premières navigations web du début de l’an 2000 … ou presque !
Selon un post publié par Olivier Berthell, le directeur juridique de Google, le retour des “10 liens bleus” (voir ci-dessous) pourrait (re)devenir la méthode future d’affichage des résultats de recherche dans le voyage !
Pour beaucoup de spécialistes, cette opération pourrait même être considérée comme un sabordage; à moins qu’elle ne soit un moyen de démontrer par l’absurde les conséquences d’une directive, elle-même, critiquée par les plus grands hôteliers.
Comme vous pouvez le constater, ce changement (sous forme de test) n’est pas des plus anondins dans la manière de voir les résultats et il n’est donc pas sans conséquences sur 1) l’expérience de l’utilisateur qui est très largement appauvrie (sur la version belge versus la version française) et 2) sur les perspectives, pour un professionnel du tourisme, de continuer à être mis en valeur à juste titre. On voit bien, sur la liste publiée en Belgique, le retour en force de la suprématie des OTAs via le retour des “liens bleus”.
Mais, n’allons pas trop vite en besogne (surtout, si l’on est un opérateur belge) en considérant qu’il s’agit là d’un énième “coup” de Google pour privilégier ses annonceurs principaux que sont les OTAs. En réalité, ce n’est pas du tout cela dont il s’agit.
Si l’on prête attention au post d’Olivier Berthell, le directeur juridique de Google, on comprend que ce test – qui démontre une réelle “dégradation” est aussi une manière de prouver à l’Europe que, dans certains cas, la mise en application du DMA n’est pas forcément des plus pertinentes: “Nous allons effectuer un test rapide visant à supprimer les fonctionnalités hôtelières gratuites de la recherche Google pour les utilisateurs en Allemagne, en Belgique et en Estonie. Le test supprimera certaines des fonctionnalités qui ont fait l’objet du débat, notamment la carte indiquant où se trouvent les hôtels et les résultats des hôtels en dessous. À la place, nous afficherons une liste de liens individuels vers des sites Web sans aucune des fonctionnalités supplémentaires, à l’image de notre ancien format « dix liens bleus » d’il y a des années. Les résultats reviendront à la normale une fois le test terminé“.
Le “retour à la normale” ne devrait donc pas trop tarder car la seule vision du test (et ce retour aux temps anciens) va certainement provoquer de nombreux remous chez les hôteliers, notamment, en démontrant que l’application stricto sensu du DMA peut avoir des effets inverses au but recherché; en l’occurrence, permettre aux hôteliers de reprendre la main sur leur visibilité et de ne plus être relégué en fond de liste après les comparateurs et les OTAs. On le voit dans la capture d’écran plus haut, c’est exactement le contraire qui se passe ici puisque les “10 premiers liens bleus” affichés ne sont que des liens renvoyant vers des OTAs ! Une situation qu’avait, par ailleurs, prédit avec une certaine acuité Sébastien Bazin, le CEO du groupe Accor (voir plus loin).
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Petit retour en arrière … en mars dernier, entrait en vigueur, le DMA (ou Digital Market Act), un règlement édicté par l’Europe pour “contenir” l’influence ou l’importance de certains mastodontes du web. En ce qui concerne l’univers du tourisme, plus précisément, tous les regards se sont portés sur les conséquences directes de cette nouvelle régulation vis-a-vis de Google, d’une part, et de Booking, d’autre part; les deux plateformes étant désormais considérées comme des gatekeepers ou “contrôleurs d’accès”. En clair, compte tenu de leur trafic mensuel et de leur importance dans l’écosystème digital européen, Google et Booking (mais aussi d’autres Gafam) ont dû montrer patte blanche aux services européens et mettre en place des mesures assez restrictives destinées à protéger leur concurrents potentiels et les entreprises européennes avec lesquelles ces plateformes interagissent.
“Ce qui se passe est débile !”
Pour les hôteliers, en effet, ce que Google “teste” actuellement matérialise toutes les craintes exprimées, ces mois derniers par ses grands patrons, Sebastien Bazin en tête, le puissant patron d’Accor.
Pour lui, “le DMA oblige Google à faire place à ses concurrents (NDLR: notamment, les comparateurs de prix comme Trivago, Kayak ou TripAdvisor) et, par la force des choses, au-dessus des hôtels indépendants. En clair, on demande à Google d’atténuer sa position dominante en faisant évoluer d’autres acteurs. Le problème, c’est qu’ils sont contraints de faire évoluer exactements ceux qu’on ne souhaitait pas; à commencer par les OTAs. Tout cela est débile ! Ça a été rédigé à l’envers ou l’interprétation a été faite à l’envers … On est en train de se battre pour remettre les choses à l’endroit …“.
Et l’on peut être sûrs que le “test” mis en place en Belgique devrait particulièrement documenter les récriminations des hôteliers vis-à-vis des décideurs européens. Car le “test des 10 liens bleus” est particulièrement parlant quant aux conséquences (in)attendues de la mise en place d’une directive plutôt destinée à protéger les producteurs touristiques …
L’Europe devra-t-elle revoir sa copie ou lâcher du lest à Google ?
En effet, au départ, le DMA est pensé pour “réguler” l’ordre d’apparition des résultats dans Google et, plus précisément, pour atténuer sa position dominante en l’obligeant à dissoudre la place qu’il accordait jusque là à ses propres services de voyages (Google Maps, Google Travel, Google Réservation …).
Dans l’univers du tourisme, Google était donc jugé sur son métier de comparateur (de meta-moteur) et pas seulement de moteur de recherche: selon l’Europe, son devoir était donc de faire un peu plus de place à ses concurrents comme Trivago ou Kayak, etc …
Pour le directeur juridique de Google: “Au cours de l’année écoulée, nous avons apporté de nombreuses modifications pour nous y conformer, notamment en repensant considérablement certaines fonctionnalités et en en supprimant complètement d’autres en Europe. Cela comprend plus de 20 modifications apportées à Google Search (…). Nous avons également supprimé des fonctionnalités utiles de la page de résultats de recherche, comme les fonctionnalités qui affichent des informations sur les vols, et réduit les fonctionnalités de certaines de nos cartes cliquables – des changements qui ont eu un impact négatif sur l’expérience de nos utilisateurs européens“.
Car, c’est là que le bât blesse: oui, du point de vue de l’utilisateur, le service “Voyages” de Google s’est considérablement appauvri et, par exemple, ne plus pouvoir cliquer sur un extrait de carte Google Maps pour accéder à d’autres résultats est particulièrement frustrant …
D’ailleurs, pour Google: “Il est désormais plus difficile les hôteliers et les petits détaillants d’atteindre leurs clients. Ils ont signalé que les clics de réservation directe gratuits ont diminué jusqu’à 30 % depuis que nous avons mis en œuvre nos changements initiaux.
Pour Google, cependant, ses “concurrents” considèrent que la plateforme ne va pas encore assez loin dans le “sabordage” de ses propres services et de rajouter: “Si de nombreux acteurs sont satisfaits de nos changements, certains sites continuent d’exiger davantage, comme l’interdiction totale de tout ce qui est plus sophistiqué qu’un simple lien bleu vers un site Web. Cela empêcherait Google de montrer aux internautes des informations utiles comme les prix et les notes“.
Une démonstration par l’absurde
Google a donc pris les devants et, d’une certaine manière, transforme ce “test” en pied de nez; une forme de démonstration par l’absurde qui dit: “Voulez-vous vraiment que votre expérience de recherche – si utile au quotiden – devienne aussi rudimentaire qu’il y a 20 ans ?”. Avouons-le, poser la question, c’est déjà y répondre !
On peut dire, qu’avec ce test, Google monte d’un cran après ses premières alertes lancées en avril dernier par Adam Cohen, son lobbyiste en chef: “*Les hôtels craignent que les clics de réservation directe aient chuté de 30 % depuis la mise en œuvre de nos changements de conformité. Ces entreprises doivent désormais communiquer avec leurs clients via une poignée d’intermédiaires qui facturent généralement des commissions importantes, alors que le trafic provenant de Google était gratuit. Les compagnies aériennes européennes et les entreprises locales ont exprimé des inquiétudes similaires”.
Même son de cloche en ce qui concerne les utilisateurs au quotidien de Google: “Les consommateurs ont exprimé des avis négatifs sur les changements apportés à l’affichage de Google Maps dans la recherche. De nombreux utilisateurs européens expriment leur inquiétude sur les forums de discussion et dans nos forums d’aide car ils ne voient plus d’onglet Google Maps utile sur notre page de résultats de recherche”.
Depuis mars dernier, Google fait l’objet d’une enquête des services européens (sur dénonciation de ses rivaux réunis au sein de l’UE Travel Tech) sur sa manière de mettre en application les contraintes résultant de la mise en oeuvre du DMA et ce test a vocation, très certainement, à animer les prochains échanges entre la plateforme mondiale et ses homologues bruxellois.
Selon Olivier Berthell, qui vient d’annoncer ce test en forme de “sabordage”: “Le test vise à supprimer les fonctionnalités hôtelières gratuites de la recherche Google pour les utilisateurs en Allemagne, en Belgique et en Estonie (…). Il supprimera certaines des fonctionnalités qui ont fait l’objet du débat, notamment la carte indiquant où se trouvent les hôtels et les résultats des hôtels en dessous (…). Nous sommes très réticents à franchir cette étape, car la suppression de fonctionnalités utiles ne profite ni aux consommateurs ni aux entreprises en Europe. C’est pourquoi nous avons consacré autant de temps à la conception et à l’ingénierie de produits pour mener des discussions constructives fondées sur des données objectives. Nous pensons que la dernière proposition est la bonne façon d’équilibrer les compromis difficiles qu’implique le DMA. Nous espérons toujours pouvoir parvenir à une solution conforme à la loi et qui continue à fournir aux utilisateurs et aux entreprises européennes un accès à une technologie utile”.
Pas sûr que, sur la base du test dont les résultats sont attendus avec curiosité, les discussions aillent vraiment dans le sens de l’apaisement …