Depuis vendredi dernier et l’entrée en vigueur du Digital Services Act, l’Europe franchit un nouveau cap dans la régulation des “grandes plateformes en ligne” – dont celles du voyage – qui commencent, à l’instar de Booking, à se mettre “à la page”. Sur un autre plan, Elisabeth Borne semble avoir conclu le feuilleton de l’été – chez les loueurs en meublés – en arbitrant pour la suppression de l’abattement fiscal de 71% …
1. Le DSA est entré en vigueur
Le Digital Services Act ou DSA est le nouveau règlement européen sensé faire trembler les grandes plateformes digitales depuis son entrée en vigueur, vendredi dernier.
Discuté et négocié depuis plusieurs années, ce règlement vient s’ajouter à son “grand frère” entré progressivement en vigueur, depuis le 2 mai dernier, sous l’acronyme de DMA ou Digital Market Act.
Ces deux règlements “Made in Europe” sont destinés à “mettre fin à la domination des géants de l’internet (essentiellement, américains) en leur imposant des règles destinées à mieux protéger les entreprises et les internautes européens” selon ses rédacteurs. “L’Europe est aujourd’hui la première juridiction au monde où les plateformes en ligne ne bénéficient plus d’un “passe-droit” et ne fixent plus leurs propres règles” a affirmé Thierry Breton, le commissaire européen (français) en charge du marché intérieur et donc, de cette mesure inédite de régulation.
Outre les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), les OTAs sont, de facto, également dans le viseur des régulateurs européens.
Cependant, pour des raisons parfaitement compréhensibles, ces dernières ont multiplié les tentatives d’échapper à ce règlement en affirmant ne pas remplir les conditions requises pour être considérées comme des “super-plateformes”; c’est-à-dire, des plateformes sur lesquelles, au moins, transitent 45 millions de visiteurs européens par mois.
Toutefois, Booking.com a ouvert le bal en affirmant, sur son site de relations avec ses investisseurs, que “conformément (à ses) obligations en vertu de la législation sur les services numériques de l’UE, nous estimons que le nombre moyen mensuel de destinataires du service Booking.com dans l’Union européenne, du 1er février 2023 au 31 juillet 2023 inclus, est nettement supérieur à 45 millions”.
Donc, même si l’on ressent que cela ne lui fait pas trop plaisir, le leader européen vient d’annoncer qu’il “rentrait dans le rang” et allait donc s’organiser pour remplir les nouvelles obligations qui découlent de ce règlement que les pays, dont la France, vont progressivement transposer dans leur propre loi nationale.
Pour rappel, le 7 avril dernier et alors que les plateformes avaient jusqu’au 3 juillet dernier pour indiquer si elles relevaient ou non du règlement, Booking publiait un communiqué à travers lequel elle affirmé avoir “déterminé qu’en raison de l’impact négatif du COVID-19 sur son activité, elle ne respectait pas les exigences et critères énoncés dans le règlement” …
De son côté Airbnb, justifiait son refus de se soumettre à la nouvelle règlementation en considérant que les 45 millions d’utilisateurs cité dans le texte européen concernait “les hôtes et les invités qui effectuent une transaction (c’est-à-dire une réservation) sur la plateforme” et non “les personnes qui se contentent de visiter la plateforme ou d’y faire des recherches”; ce que l’Europe, évidemment, conteste. Compte tenu de la récente position de Booking, il y a donc fort à parier que celle d’Airbnb évolue donc dans le même sens … de se plier à la nouvelle règlementation, si ce n’est pas déjà le cas.
Jusqu’à 6% du CA en amendes
Le domaine d’intervention du DSA et du DMA est très vaste et ne s’applique pas qu’aux “géants du voyage”: les sujets peuvent aller de la lutte contre le cyberharcèlement, la modération des contenus, la gestion des ciblages publicitaires ou encore celle des conflits d’intérêt entre publicité et affichage d’informations, etc …
Dans le domaine du voyage, ce domaine pourra s’étendre aux obligations de déclaration dont nous avons déjà parlé et qui ont déjà suscité des levées de boucliers chez certains OTAs à qui se regain de transparence ne plait pas beaucoup. Surtout que tous les “gros” OTAs ne sont pas au même niveau en termes d’audience et que certains acteurs (comme Booking, par exemple) seront soumis à des obligations que les autres plateformes (ayant moins d’audience) n’auront pas à respecter.
Sur ce site, par exemple, Booking confirme sa désignation en tant que “Très Grande Plateforme en Ligne” (Very Large Online Platform – VLOP) et publie, dès lors la liste de ses annonceurs en publicité ciblée sur ce site dédié.
Et Booking d’expliquer que “ce registre des publicités a été publié afin d’être en conformité avec la législation européenne sur les services numériques” et afin d’y publier “des informations sur les publicités qui ont été affichées sur le site de Booking.com”. Notamment, la liste des compagnies hôtelières qui ont acheté des liens pour se mettre en avant sur les pages du leader européen.
Le leader européen a bien l’intention de se comporter comme le “premier de la classe” en appliquant – sans délai – les dispositions règlementaires européennes. Ce dernier avait largement pris position sur ces textes depuis 2021. Dans un communiqué de sa direction des “Affaires Publiques”, Booking expliquait déjà que/ “Les pouvoirs publics pourraient mettre en place et maintenir une base de données d’enregistrements (de locations saisonnières) auprès desquelles les plateformes (NDLR: comme Booking ou Airbnb, par exemple) seraient tenues de demander et de valider les numéros d’enregistrement officiels (des propriétaires) soit lors de l’inscription d’une propriété, soit lors d’une réservation. La base de données indiquerait si une réservation pour la propriété particulière est autorisée ou non. Chaque fois qu’une réservation réussie est effectuée via un intermédiaire (ou un autre canal), elle est signalée à la base de données, y compris des informations sur le nombre de nuits pendant lesquelles l’appartement a été réservé. Des registres en ligne accessibles ou la combinaison de registres en ligne accessibles et de systèmes de vérification automatisés permettraient aux plateformes d’identifier et de réagir à toute inscription illégale, avec un effort raisonnable et sans avoir à s’engager dans une surveillance active ou une enquête active”. C’est dire si la mise en application de ces règlements peut aller loin.
En France, d’ailleurs, l’ARCOM (ex-CSA) et la DGCCRF (Concurrence et Fraudes) seconderont les équipes du régulateur européen (qui se garde, à son niveau, les actions à condamner des très grandes plateformes) pour accélérer la mise en oeuvre des dispositions prévues par les deux “règlements”. Parmi celles-ci, l’obligation de déclarer les revenus générés pour les propriétaires de meublés, par exemple, de les communiquer aux administrations ou, plus intéressants, de permettre aux hébergeurs de connaître intégralement les noms et les adresses mails de “leurs” clients (et non plus, de recevoir un e-mail anonymisé de la plateforme). Enfin, des obligations renforcées de retrait des annonces jugées illégales par les autorités locales (comme des meublés non enregistrés) pourraient aussi se mettre en application au plus tard, le 1er mars 2024, soit très en amont de la prochaine saison estivale. Il faut dire que les enjeux sont élevés … et les risques, aussi, pour les OTAs.
En effet, toute plateforme (reconnue VLOP) qui ne se conformeraient pas à ces nouvelles dispositions pourraient se voir condamner à des amendes pouvant aller jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires mondial …
2. Fin de l’abattement, Elisabeth Borne aurait tranché pour la fin des 71%
Fin du suspense qui a surchauffé cet été … selon le Canard Enchaîné de mercredi dernier, Elisabeth Borne aurait rendu son arbitrage sur la disparition ou non de l’abattement fiscal de 71% sur les “locations saisonnières” … pour faire court.
Le Palmipède indique que :“L’arbitrage a été rendu (…) : dès le 1er janvier 2024, les propriétaires de biens loués via Airbnb vont devoir passer un peu plus à la caisse. Pile l’année où les JO, qui ont lieu à Paris, vont faire exploser les affaires de la plateforme … Jusqu’à maintenant, la plupart des loyers tirés d’une habitation commercialisée via Airbnb bénéficiaient d’un abattement de 71%. Il va être limité à 30% comme pour une location non meublée” souligne l’auteur de “La Mare aux Canards” dans son encart intitulé “La foire aux taxes est ouverte“.
Jusqu’à présent, en effet, pour prétendre à cet abattement de 71% (au lieu de 50% pour les meublés), le bien locatif doit être classé en chambre d’hôte ou en meublé de tourisme et les recettes totales annuelles, dans ce cas, ne doivent pas excéder 170 000 €. Quant aux “gîtes”, l’abattement avait été précédemment limité à 50%.
Cette mesure fait suite au vote – à l’uninamité en novembre 2022 – d’un amendement sénatorial proposé par l’élu (LR) des Pyrénées-Atlantiques, Max Brisson qui proposait déjà le retrait de l’abattement forfaitaire de 71 ou 50% sur les locations de meublés touristiques. À l’époque, le sénateur LR s’en était réjoui sur Twitter (voir plus bas) en considérant qu’il s’agissait d’une mesure fiscale “rétablissant une concurrence plus équitable pour les hébergeurs professionnels” … ce que sont, en priorité, les propriétaires de maisons d’hôtes impactés par sa réforme.
Nul doute que, en dépit de cet arbitrage, des discussions se poursuivent entre l’Etat et les représentants des différentes catégories d’hébergeurs même si les maisons d’hôtes ne sont pas formellement représentées dans les discussions par une organisation professionnelle “traditionnelle”.