
Stéphane Guenaud est l’un des derniers représentants d’un art discret… mais essentiel à la diplomatie française.
Maître d’hôtel – Argentier à l’Élysée, c’est d’ailleurs là que j’ai eu l’occasion de le rencontrer.
Nous partageons cette conviction : le service, quand il est bien fait, devient un art. Et aujourd’hui, je suis très honoré d’en parler avec lui.
Depuis plus de 25 ans, il est le gardien discret d’un patrimoine inestimable (dont 56 000 pièces de Sèvres et 16 000 pièces d’orfèvrerie) et l’un des derniers représentants d’un art essentiel à la diplomatie française.
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Comment cet expert de la « gastrodiplomatie » orchestre des dîners de 2 à 350 couverts ?
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Comment assurer un service d’une rigueur absolue ?
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A-t-il déjà cassé une assiette ?
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Comment cet art est transmis aux jeunes générations ?
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Quelle est la logistique derrière son service ?
Stéphane, qui a servi quatre présidents, partage ses anecdotes et celles du Palais de l’Élysée.
Ensemble, nous allons plonger dans les coulisses du protocole républicain !
La mission de l’argentier : entretien et gastrodiplomatie
La mission principale de l’argentier est double : l’entretien du matériel et, surtout, sa conservation. Stéphane Guenaud et ses quatre collègues ont la lourde charge de nettoyer, de désoxyder, de dresser la table et de tout laver à la main.
Ce travail s’effectue sur des pièces d’une qualité exceptionnelle, provenant de manufactures françaises de renom, essentielles à la mise en valeur du patrimoine national. Parmi les maisons citées, on trouve la manufacture de Sèvres (dont les pièces sont un prêt), Bernardaud, Haviland, Pulivie (célèbre pour le bol à soupe VGE), ainsi que Christofle, Puiforcat, Hercu et Eurofélix pour l’argenterie. Pour la verrerie, l’Élysée fait appel à Baccarat et Saint-Louis.
L’argentier est au cœur de ce que Stéphane appelle la « gastrodiplomatie ». Leur rôle est crucial, car le service, le décor, l’accueil, et la cuisine contribuent tous à cette diplomatie qui peut mener à la signature de contrats avec des pays étrangers. Les tables réalisées au palais d’Élysée sont d’ailleurs renommées dans le monde entier.
Leur capacité d’adaptation est remarquable. Si les dîners officiels peuvent accueillir jusqu’à 350 couverts, il arrive aussi qu’il n’y ait que deux couverts, comme lors d’un dîner officiel du 14 juillet. Les choix de table sont validés par l’intendant, l’épouse du président (ou le président lui-même), en coordination étroite avec la cuisine, les pâtissiers, les fleuristes (qui adaptent les décors à la saison) et les lingères.
Un patrimoine historique et des chiffres vertigineux
L’Élysée abrite un trésor d’arts de la table qui témoigne de l’histoire française :
- Vaisselle de Sèvres : L’Élysée possède 56 000 pièces de Sèvres. Ces pièces peuvent inclure des collections rares, comme des coupes à fruit datant de 1822, de la vaisselle estampillée « château des Tuileries », ou des assiettes portant le « N » de Napoléon III. Certaines assiettes datent des premières centaines de pièces de 1880-1885.
- Orfèvrerie : La collection compte 16 000 pièces d’argenterie, allant de la simple cuillère à sel aux imposants candélabres Christofle de 35 kg, créés pour l’Exposition Universelle de 1889.
Face à ce patrimoine inestimable, l’argentier travaille avec une exigence extrême. Stéphane révèle que son équipe s’est déplacée pour le dîner du roi à Versailles, transportant 1 700 assiettes et 1 200 verres, réalisant quatre jours de vaisselle à la main sans aucune casse. Stéphane lui-même n’a cassé qu’une seule pièce en 28 ans. Il insiste sur le fait que l’attention doit être la même, qu’il s’agisse d’un verre Baccarat ou d’un verre du réfectoire, par respect pour le matériel et la personne qui l’a fabriqué.
L’excellence sous pression et les rôles présidentiels
Les plus grands défis du métier résident dans la logistique des déplacements et l’adaptation constante. Lorsqu’il faut organiser des événements majeurs à l’extérieur, comme la COP 21 ou les sommets à l’étranger, l’équipe doit emporter le matériel, faire des listes de location et former les maîtres d’hôtel locaux rapidement, souvent en une demi-heure, aux règles spécifiques du service à la française ou du service miroir.
L’adaptation aux changements de dernière minute fait partie du quotidien, même au niveau protocolaire. Il est déjà arrivé qu’un repas prévu pour 50 couverts se transforme en un déjeuner rapide pris par les deux présidents sur un coin de table.
Concernant l’implication présidentielle, Stéphane, qui a connu quatre présidents (Chirac, Sarkozy, Hollande, et Macron), note que les épouses des chefs d’État ont toujours eu une implication importante dans le choix de la vaisselle, apportant souvent des informations sur les goûts des hôtes étrangers. Les relations avec le couple présidentiel sont caractérisées par la discrétion et le professionnalisme.
Transmission du savoir et avenir
Contrairement à leurs prédécesseurs, les argentiers actuels sont souvent issus des écoles hôtelières. Stéphane Guenaud, par exemple, a un CAP de cuisine et pâtisserie et un Brevet d’aptitude professionnelle. Ses collègues viennent d’écoles reconnues comme Ferrandi.
La transmission du savoir-faire est essentielle, d’autant plus que les méthodes d’entretien de l’argenterie ne sont pas écrites et se transmettent « d’argentier en argentier ». L’équipe utilise des méthodes traditionnelles comme l’électrolyse (eau chaude, gros sel, feuille d’aluminium) pour désoxyder, mais aussi des innovations, comme une nouvelle pâte de nettoyage créée par le responsable de l’argenterie, Sylvain Pomard.
Stéphane Guenaud insiste sur l’importance de transmettre le respect (des collègues, du matériel, des horaires, de la tenue) aux jeunes générations dans les lycées hôteliers où il intervient fréquemment. Il encourage également les jeunes à être curieux et à oser.
Le métier d’argentier, bien que physiquement exigeant (avec le transport de lourds plateaux d’argent) et actuellement majoritairement masculin, est ouvert aux femmes, dont la vision est jugée « extrêmement intéressante ».
Si l’avenir du métier dépend de la volonté de conserver ce patrimoine, Stéphane est convaincu que le rôle de l’argentier est indispensable pour maintenir l’excellence et cet art de vivre à la française.
Le bonus de l’épisode
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Notes et références
Le livre
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