Cour d’appel de Chambéry, 1ère chambre, 15 septembre 2020, n° 18/01692 | Doctrine
La cour d’appel de Chambéry aura, dans le cadre d’un jugement rendu en date du 15 septembre 2020, écarté l’application de principe de la règle de plafonnement du loyer de renouvellement en qualifiant l’hôtel de local monovalent, dans le cadre d’un litige qui portait :
(1) – D’une part sur le fait de savoir si le caractère monovalent d’un local commercial pouvait être retenu ;
(2) – D’autre part de savoir si cette qualification pouvait entraîner l’exclusion de la règle du plafonnement du loyer renouvelé, selon l’article R.145-10 du Code de Commerce.
1 – Sur le caractère monovalent du local commercial
À l’origine de la procédure, le bailleur indiquait que selon lui, la qualification de son local commercial (un hôtel-restaurant) en local monovalent était infondée.
Selon lui, n’était pas établie l’impossibilité d’affecter les locaux à une autre destination sans procéder à des transformations profondes et coûteuses, seul critère pris en compte pour retenir le caractère monovalent d’un local. Il avait notamment pour projet de créer un accès différent de celui de l’hôtel pour implanter un restaurant.
En droit, la fixation du loyer, lors de sa révision ou lors du renouvellement du bail est en principe plafonnée. Créé par le décret n°72-561 du 3 juillet 1972, ce mécanisme très protecteur a été instauré en faveur des locataires, afin de mieux les protéger d’une éventuelle hausse trop importante de leur loyer. Il signifie que la variation du loyer ne peut dépasser la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux (ILC) ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT).
Par exception, le loyer du bail renouvelé peut être fixé sans respecter la règle de plafonnement du loyer ; on parlera alors de « déplafonnement », le loyer déplafonné sera alors par principe fixé à la valeur locative, lorsqu’il existe une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33.
En plus du critère légal, la jurisprudence a prévu une liste limitative des causes de déplafonnement, parmi lesquelles figure la monovalence des locaux. Au sens de l’article R.145-10 du Code de commerce, un local est dit monovalent s’il est construit ou aménagé en vue d’une seule utilisation commerciale. Il s’agira par exemple d’un cinéma, d’un hôtel ou d’un garage.
À la lumière de cet article et de l’application qu’en fait le juge d’une jurisprudence constante, la monovalence répond pour être caractérisée à la réunion de deux critères : (1) le local doit être adapté à un usage unique ; (2) la destination du local ne peut être modifiée sans engager des travaux importants.
Une conception extensive de la monovalence est, depuis plusieurs décennies, adoptée par la Cour de cassation, cela dans l’objectif de permettre aux bailleurs de fixer leurs loyers de renouvellement aux prix du marché, sans tenir compte de la règle de plafonnement.
Cette qualification fait apparaître un grand enjeu, puisque comme nous l’avons précédemment énoncé, la monovalence d’un local entraînera l’évincement de la règle de plafonnement posée à l’article L.145-33 du Code de Commerce, ce qui aura très récemment été confirmé par la Cour de cassation (Cour de cassation, Chambre civile 3, 5 octobre 2017, 16-18.059, Publié au bulletin | Doctrine).
En l’espèce, le local commercial était un hôtel-restaurant dont l’activité de restauration était quasi-exclusivement dépendante de celle d’hôtellerie. Le caractère monovalent du local n’a dès son origine pas été contesté par les parties « les locaux ont été construits dès l’origine en vue d’un seul usage, celui d’hôtel (acte d’achat du 21 mai 2003) ».
La question pour le bailleur fût de savoir si, pour des sommes avoisinant les 4 000 000 d’euros, l’affectation des lieux pouvait changer, par exemple en résidence hôtelière, hôtel meublé, bureaux ou magasin, en écartant ainsi le caractère de monovalence du local commercial.
2 – Sur le montant du loyer renouvelé après qualification de local monovalent
En droit, le régime de détermination du montant du loyer renouvelé est fixé par l’article R.145-10 du Code de Commerce, qui dispose que « le prix du bail des locaux construits en vue d’une seule utilisation peut […] être déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée », en excluant l’application du régime primaire fixé à l’article R.145-3 du même Code.
Le loyer du bail renouvelé sera ainsi fixé selon une méthode que le juge détermine souverainement, qui sera spécifique à l’activité en cause et qui se réfèrera aux résultats d’exploitation. En matière d’hôtellerie, la méthode dite hôtelière peut être adoptée par l’expert judiciaire, dès lors que la monovalence des locaux exploités comme hôtel n’est pas contestée par les parties ou est retenue par le juge.
Cette méthode est celle qui apporte le calcul le plus précis et le plus objectif du montant du bail renouvelé, puisqu’elle consiste à prendre en considération plusieurs facteurs tels que :
- La recette théorique globale hors taxes (prix moyen théorique par chambre multiplié par le nombre de chambres) ;
- Le taux d’occupation choisi en fonction du classement de l’hôtel, de son implantation géographique, de la taille de l’établissement au regard d’éléments statistiques recueillis pour des établissements de même catégorie
- L’abattement pour segmentation de la clientèle, s’il y a une pratique habituelle de remises (par exemple, comités d’entreprises, tour-opérateurs ou autres) ;
- Un coefficient sur recettes en fonction du classement de l’hôtel et de la qualité de l’emplacement géographique notamment,
- Des majorations / minorations peuvent être apportées à la valeur locative globale selon les conditions observées (clauses du bail notamment)
En l’espèce, les travaux à effectuer par le bailleur auraient dû être, dans le cas où il voulait opérer une mutation de cet hôtel en résidence hôtelière, bureaux ou tout autre activité commerciale, de l’ordre de 4 000 000 d’euros.
La Cour de cassation ayant auparavant retenu une conception extensive de la notion de monovalence des locaux, la cour d’appel de Chambéry s’aligna sur cette dernière, en affirmant dans son jugement que l’importance des sommes à débourser pour faire de cet hôtel une résidence hôtelière ou des bureaux entraînait nécessairement le fait qu’il soit qualifié de monovalent.
Par ailleurs, le Tribunal Judiciaire de Lyon avait déjà retenu la même solution dans un très récent jugement, où il avait considéré qu’une somme de 1 600 000 euros était jugée excessive, entraînant également la qualification d’un hôtel en local monovalent (Repères : Loyer de renouvellement – Monovalence – 8, Rue Paul Bert – Lyon – Berthier & Associés expertises immobilières (berthier-associes.com)
En application de l’article R.145-10 du Code de commerce, le loyer des locaux devait alors être fixé à la valeur locative selon les usages observés dans la branche d’activité concernée. On fit alors usage de la méthode hôtelière pour fixer le loyer de renouvellement à 78 000 euros HT et HC/an, à l’exclusion d’un quelconque plafonnement du loyer.