L’HÔTELLERIE PARISIENNE RETROUVE (ENFIN) DES CLIENTS
Une analyse 2023 de Coach Omnium
Comme pour l’ensemble de l’hôtellerie dans les grandes villes de France, celle de Paris a été bouleversée par la série noire des événements de ces dernières années, qui ont donné un coup de frein au tourisme et à l’événementiel. Est-il besoin de les rappeler ? Les attentats, principalement en 2015 et en 2016, les gilets jaunes et les émeutes de rues pendant plusieurs mois en 2018-2019, les grèves des transports au 2e trimestre 2018 puis à nouveau fin 2019…
Et pourtant, les taux d’occupation de l’hôtellerie parisienne n’avaient que peu reculés jusque-là, sauf en 2016 (voir graphique ci-dessous).
Puis, la crise du Covid en 2020-2021 a mis le tourisme complètement à plat, comme jamais depuis la 2e guerre mondiale. Avec lui, l’hôtellerie de la Capitale, bien plus qu’ailleurs en France. De nombreux hôtels avaient carrément fermé durant de longs mois plutôt que d’attendre d’hypothétiques clients d’affaires et de loisirs qui ne venaient plus sinon en sous-quantité.
L’Insee avait même abandonné tout sondage sur les premiers semestres de ces deux années morbides, d’où l’impossibilité de présenter des données d’activité annuelles qui seraient non représentatives et pas comparables avec les années précédentes.
TAUX D’OCCUPATION QUI REMONTENT ROYALEMENT
À présent, tout semble rentrer dans l’ordre et la demande touristico-hôtelière revient de plus belle. Le taux d’occupation dans l’hôtellerie de la Capitale est remonté à 75 % en 2022. Soit proche des scores annuels enregistrés entre 2011 et 2015. Seules 2018 et 2019 avaient été meilleures. Mais, on revient de loin !
Cette bonne reprise de la fréquentation hôtelière vient des salons, congrès et expositions qui reprennent du poil de la bête, ainsi que de la re-fréquentation de la clientèle d’affaires et de loisirs. Fait quasiment unique en France, l’hôtellerie parisienne obtient ainsi en temps normal de bons résultats d’activité annuels car elle bénéficie à la fois de ces deux clientèles qui se complètent toute l’année.
Mais la surprise de l’année 2022 est que la clientèle étrangère pèse à nouveau un peu plus de 2/3 (65,9 %) des nuitées touristiques dans les hôtels, comme avant le Covid.
Si l’année a démarré petitement en janvier et en février, par rapport à 2019, le regain a été fort et significatif à partir du mois de mars. Sans ces deux premiers mois creux, le taux d’occupation annuel aurait dépassé les 80 %.
Une spécificité des hôtels parisiens — que l’on retrouve plus rarement ailleurs en France — est qu’il y a habituellement peu de différences dans les indicateurs de fréquentation entre chaînes intégrées et hôtels indépendants (écart de près de 1 point de taux d’occupation, seulement) et entre les différentes gammes (env. 3 points, entre les catégories économiques et le haut de gamme). Un autre aspect, certes plus banal, est que les hébergements sont ouverts toute l’année, comme dans d’autres grandes villes. Sauf en 2020 et 2021, crise sanitaire oblige…
HÔTELS GLOBALEMENT PLUS CHERS QU’AILLEURS EN FRANCE
Avec une imposante demande hôtelière, on se doute que les tarifs sont hauts, pour ne pas dire stratosphériques, ce qui n’a évidemment pas été le cas en 2020-2021. À présent, depuis le second semestre 2022 et en 2023, les prix reprennent avec force et vigueur, ici et là.
Ils ont été en moyenne plus élevés en 2022 de 35 à 60 % par rapport aux grandes villes de province, respectivement de l’économique au haut de gamme.
Il est vrai que le foncier et les coûts de construction à Paris sont chers. Bien plus lourds qu’ailleurs. Et cela devient également désormais patent dans les arrondissements de l’Est parisien et en bordure du périphérique Nord et Est, qui jusque-là avaient moins la cote. Ces surinvestissements se répercutent naturellement dans les prix des chambres, tandis que ces dernières sont en moyenne plus réduites en superficies de 20 à 30 % que celles des hôtels en province, à gammes comparables.
Mais, ces moyennes tarifaires en apparence figées, cachent évidemment la pratique généralisée du yield management (ou assimilé) avec des prix affichés qui peuvent passer sans complexe du simple au double, voire au triple ou même au quadruple (!) lors de plus en plus nombreuses dates dans l’année. Cette tendance a été mise en sourdine durant cette crise sanitaire, en raison de la faible demande.
Mais, dès l’année 2022, les bonnes ou mauvaises habitudes de l’explosion tarifaire — selon qui regarde le phénomène, les clients ou les hôteliers — sont revenues d’actualité. Notamment, lors de grands salons ou encore de Roland-Garros, par exemple. Il n’est pas sûr que cette politique tarifaire « barbare » plaise aux voyageurs pris au piège… ce que confirment les études de Coach Omnium. Et durant les JO de 2024, cela devrait être pire pour les touristes, qui toutefois s’y attendent.
Près de 80 % de la demande en hôtellerie 3 à 5 étoiles de Paris était générée par la clientèle étrangère en 2019. En 2022, les premières sources de visiteurs étrangers logés en hôtellerie dans la Capitale étaient les Nord-Américains (clientèle lointaine qui revient), suivis des Britanniques, des Espagnols, des Italiens, des Allemands et des Belges (voir graphique). Sans étonnement, les Chinois et la clientèle du Golfe ont été aux abonnés absents. A présent, ce sont évidemment les Russes.
LA POLÉMIQUE ANTI-AIRBNB EN QUESTION
La forte montée en puissance d’Airbnb (et de ses confrères) à Paris depuis ces dernières années n’a pas affecté la demande hôtelière : voir notre dossier sur le sujet. Excepté à cause des attentats en 2015 et surtout en 2016, l’hôtellerie se maintenait globalement avant le Covid avec le même indicateur de remplissage jusqu’en 2019, année de tourisme « normal ». Les taux d’occupation et le volume des nuitées hôtelières sont revenus à ces moyennes en 2022. Dans un même temps depuis 2014, l’offre hôtelière s’est enrichie de plus de 6,4 % en nombre d’adresses et les plateformes de locations n’ont jamais offert un catalogue aussi riche de logements parisiens. Tous ces facteurs combinés n’ont pas eu, encore une fois, d’effets sur la fréquentation des hôtels, qui est linéaire depuis l’arrivée d’Airbnb en France.
Les offres d’appartements meublés représentent une clientèle à part et ne forment pas significativement une concurrence à l’hôtellerie. Si c’était le cas, cela se verrait immédiatement dans les données d’activité des hôtels. Il n’en est rien. Ces deux formes d’hébergement sont plutôt complémentaires. Les premières sont adaptées pour des plus longs séjours avec une clientèle qui souvent ne choisira de toute façon pas l’hôtellerie. Les hôtels sont faits pour des courts séjours (2,4 jours à Paris). Les polémiques alimentées par des hôteliers et des associations ou syndicats patronaux portant sur une perte de clientèle hôtelière au profit d’Airbnb ne sont donc aucunement justifiées.
En revanche, la Ville de Paris a décidé, comme de nombreuses autres villes touristiques européennes (Barcelone, Amsterdam, Prague, etc.) de sévèrement limiter l’offre des locations en courts séjours par les particuliers, et même de leur rendre la vie difficile, afin de préserver le marché de la location à l’année pour les résidents. Voire pour limiter les pollutions sonores et gênes pour le voisinage de résidents (fêtes, valises à roulettes, allers-venues dans les immeubles, etc.). Il y a une moyenne de près de 25.000 annonces pour des logements sur Airbnb dans la capitale. Sauf que tous ces logements seront bien utiles pour accueillir les visiteurs de JO en 2024.
UN PARC HÔTELIER QUI A GROSSI… LENTEMENT. MAIS, CELA NE DEVRAIT PAS DURER !
Comprenant 1.601 hôtels classés et non classés en 2023, le parc hôtelier parisien tend à augmenter lentement mais sûrement (un solde d’une centaine d’établissements de plus depuis 2014), après avoir longtemps stagné autour de 1.500 unités. Le volume de chambres disponibles croît en revanche peu. Il n’a progressé que de près de 6 % …depuis 2012. On a ouvert ou créé des hôtels en moyenne légèrement plus petits qu’auparavant. Ce qui ne sera plus le cas prochainement (voir plus loin).
L’hôtellerie parisienne s’est donc enrichie avec un solde de + 97 adresses depuis 2014. Sans surprise, ce sont les gammes 3 à 5 étoiles qui se développent le plus dans la Capitale : + 89 %, soit + 272 établissements ! Alors que la liste des hôtels économiques et non classés fond comme beurre au four : – 61 % d’hôtels sur ce même laps de temps, soit – 224 unités. Ce qui fait dire qu’il manque des hôtels bon marché dans la capitale. Mais, ils sont compensés par des unités de ce type autour de Paris, en Petite et surtout en Grande couronne.
Au total, le milieu de gamme au luxe représente 78 % des établissements hôteliers à Paris et 83 % du volume de chambres disponibles. Ces unités ayant en moyenne des capacités plus élevées que les hôtels économiques.
En dehors des hôtels, Paris dispose d’une offre de 89 résidences de tourisme (ou assimilés) — contre 66 en 2022 ! — pour 20.102 clefs et 1 camping (au Bois de Boulogne).
DES ÉTOILES PARFOIS FICTIVES
Il faut noter que le classement hôtelier de 2009, actualisé en 2016 et en 2022, a favorisé le gain facile d’une étoile par rapport à l’ancienne homologation, par ses critères peu exigeants. Ainsi, par exemple, de nombreux 4 étoiles sont d’anciens 3 étoiles reclassés, sans avoir pour autant enrichi ou amélioré leur offre. La montée en gamme de l’hôtellerie parisienne n’est donc majoritairement pas de facto réelle, mais plutôt administrative, comme ailleurs en France. Elle n’est pas due, dans sa globalité, non plus à un fort taux de créations d’hôtels mais juste à une redistribution des étoiles.
Une autre particularité de l’hôtellerie parisienne est d’avoir beaucoup d’hôtels classés : près de 89 %. Tandis que seulement 62 % des établissements portent de 1 ou 5 étoiles sur le plan national, en leur retirant les hôtels de Paris.
12 hôtels parisiens portent la distinction « Palace » sur les 31 répertoriés en France.
DES PROJETS HÔTELIERS EN ABONDANCE !
Cette bonne santé du marché hôtelier parisien (en temps normal, avant le Covid et à présent après cette crise sanitaire), avec des taux d’occupation presque indécents (comparés à l’hôtellerie de province) et des tarifs en bonne forme, devrait durer — sauf nouveaux événements critiques — au moins jusqu’aux JO de 2024, qui promettent énormément de monde. Et justement, avec cette échéance et les habituels bons scores de remplissage de nombreux investisseurs sont attirés par la Ville Lumière, comme des papillons de nuit vers un lampadaire.
Outre les nouveaux hôtels récemment ouverts en 2022, on recense ainsi déjà plus de 165 projets hôteliers à l’étude ou déjà en cours de construction dans Paris et la proche couronne, avec des concepts parfois inédits : lits-capsule, suites immenses, toiture habitée, cour végétalisée, lobby multifonctions… On y trouve toutes sortes d’unités en création, allant de mastodontes de plus de 700 chambres, en passant par des unités de chaînes ou encore des hostels.
Au total, cette expansion de l’offre hôtelière représente presque 12.000 chambres supplémentaires à venir, soit pas moins de 14 % de plus qu’actuellement sur la destination. Près de 2/3 de ces projets s’inscrivent sans surprise dans le haut de gamme et le luxe.
Avec près de 2 400 chambres en plus, La Défense sera la première zone à bénéficier de ce dynamisme, devant l’est parisien (12 et 13e arrondissements) et le quartier de la porte de Versailles et du parc des expositions.
Aussi peut-on se demander avec l’annonce de ce gros volume de chambres additionnelles arrivant à court terme (constructions neuves, en bâtiments de logements ou de bureaux réhabilités, en hôtels profondément rénovés), si la situation favorable d’aujourd’hui restera identique au-delà des JO de 2024 et si les taux d’occupation ne vont pas risquer de s’écrouler par la suite. Même si le parc des Expositions a été agrandi et produira ainsi davantage de nuitées hôtelières, en clientèle internationale MICE.
Attirés par les scores étourdissants d’occupation hôtelière de la capitale, les investisseurs font la queue pour créer ou reprendre des hôtels, malgré un ticket d’entrée cher à très cher. Avec le risque — à voir — d’un déséquilibre du marché et donc un suréquipement hôtelier à partir de 2025-2026.
Mark Watkins
• Les sources utilisées pour ce panorama : Insee, Atout France, CRT Ile-de-France, Coach Omnium.