LE CLASSEMENT HÔTELIER PEUT-IL SURNAGER FACE À INTERNET ?
Pas sûr ! La 3e grille du classement hôtelier vient de paraître depuis la « réforme des étoiles » intervenue en 2009. Elle est applicable depuis le 1er avril 2022. Si l’administration en charge de gérer cette homologation a principalement ajouté des critères environnementaux (voir plus loin), les fondamentaux, et ses nombreuses anomalies et carences, tant dans le contenu que dans le mode opératoire de contrôles restent inchangés. Il ne s’agit donc pas d’un dépoussiérage comme annoncé.
• PETIT RAPPEL : le classement — non obligatoire — attribue des étoiles de 1 à 5 aux hôtels qui en font la demande, après avoir satisfait une grille de critères avec plus de 200 items (selon les gammes) et une procédure de contrôle. Les hôteliers demandeurs piochent dans une liste de 23 organismes référencés. Ils en choisissent un pour réaliser la vérification de leur établissement et le paient. Coût : autour de 600 € à 800 € (mais certains cassent les prix).
Pour les demandes de classement 4 et 5 étoiles, le contrôle de l’hôtel est assorti d’une visite-mystère (plus chère que l’audit simple), où l’auditeur se fait passer anonymement pour un client et loge sur place. Le classement obtenu est valable 5 ans et est revérifié à l’issue de cette période si l’hôtelier souhaite continuer à être classé.
• A QUOI SERVENT LES ÉTOILES EN HÔTELLERIE ? Si les étoiles sont intimement liées à cet univers d’hébergement touristique (« ah ! J’ai passé un merveilleux séjour dans un 4 étoiles »), elles ne revêtent pas les mêmes critères selon les pays où elles existent. La comparaison entre les normes d’ici et là, éparses et hétérogènes, est impossible. Chacun se souviendra d’hôtels 4 étoiles dans certains pays très touristiques qui seraient des mauvais 2 étoiles ailleurs…
Au départ et finalement, le classement garanti par l’administration, sert officiellement à assurer une cohérence et à apporter des garanties de qualité aux voyageurs. Les étoiles hôtelières seraient faites pour eux. Théoriquement, on doit pouvoir aller les yeux fermés vers un hôtel classé et ne pas craindre de mauvaises surprises dans les prestations. Sachant, qu’en théorie encore, la qualité doit exister pour un hôtel de luxe comme pour un établissement économique, proportionnellement aux tarifs et offres proposés. Mais, la réalité sur le terrain est bien différente.
• « MARQUEUR DE LA QUALITÉ DES HÔTELS » ? C’est l’expression qu’emploie le promoteur du classement français pour vanter sa démarche. Plus facile à dire qu’à démontrer. En fait, on trouve aisément des hôtels très inégaux en qualité et en richesse de prestations, pourtant inscrits dans la même catégorie (nombre d’étoiles identique). Il en va de même en termes de prix des chambres. Dans les faits, les hôtels étoilés cachent le meilleur et le pire — ou presque — de l’hôtellerie française. Et le classement réformé en 2009 n’a rien modifié à cette situation. Le passage d’une quarantaine de critères avant 2009 à plus de 200 aujourd’hui ne garantit rien, les nouveaux critères faisant partie du B-A-ba des fondamentaux hôteliers. Rien de plus.
• ET LES CLIENTS DANS TOUT CELA ? Les étoiles sont en principe un moyen de défense de l’intérêt consumériste des clients d’hôtels. Bref, encore une fois, elles sont faites pour les voyageurs. Pourtant, leur mode d’attribution n’a rien d’une promesse sérieuse et le contenu de leur référentiel ne tient globalement pas compte des attentes des consommateurs, lesquels n’ont jamais été consultés, sondés ou interrogés.
1) – D’abord, il faut se rappeler que les critères pour être classés ont été élaborés en vase clos (par un groupe hôtelier et les organisations professionnelles), sans interroger un seul client d’hôtel. N’est-ce pas plutôt loufoque ?
2) – Ensuite, on demande à des cabinets de contrôles d’envoyer une personne qui va visiter l’hôtel et cocher des cases de conformité / non-conformité. En quoi peuvent-ils remplacer l’œil du client, de tous les clients dans leur diversité ? Que savent-ils des attentes des « vrais » clients d’hôtels qui demande de les interroger (ce qu’ils ne font pas), comme Coach Omnium le fait toute l’année depuis sa création ? Comment peuvent-ils se rendre compte de la bonne isolation phonique (le bruit est le premier motif de plaintes des clients), des prestations qu’ils ne testent fatalement pas (dont le petit déjeuner) ou même de l’hôtel durant la nuit ? Pour les visites-mystère, c’est une nuit passée sur place dans une seule chambre, une fois tous les 5 ans. Pas de quoi apprécier la réalité d’une prestation hôtelière. Et l’homologation est alors valable durant 5 années. Une visite tous les 5 ans, comment croire que c’est sérieux ?
3) – Enfin, pour donner des étoiles, à aucun moment on ne se soucie des opinions des « vrais » consommateurs et de l’e-réputation des hôtels concernés. Or, il peut y avoir des centaines d’avis de clients par établissement, déposés sur différentes plateformes (Booking, Expedia, Google, TripAdvisor, etc.). On ne prend pas davantage en compte les dizaines à centaines de photos que ces voyageurs publient sur Internet et des notes qu’ils décernent aux hôtels où ils ont séjourné. Comme si cela n’existait pas. À croire que les auteurs du classement revisité sont restés figés aux années 1990 et antérieurs. Pourtant, 7 clients d’hôtels européens sur 10 (études régulières par Coach Omnium) disent s’informer par ces moyens (avis et photos des autres voyageurs) sur les hôtels avant d’y réserver un séjour. Sur le terrain, on trouve de nombreux hôtels qui font l’objet d’une majorité d’avis médiocres exprimés par leurs clients, ce qui ne les a pas empêchés d’être classés. Cela relativise furieusement la performance de ce classement et sa crédibilité, n’est-ce pas ?
4) – En tant que client d’hôtel, on ne dispose même pas d’une adresse mail ou d’un numéro vert pour faire remonter à l’administrateur des homologations des critiques sur les hôtels étoilés.
En résumé, les étoiles sont attribuées aux hôtels pour 5 ans et pour ainsi dire jamais remises en question jusqu’à l’audit suivant (5 ans après) et sans se soucier des appréciations des vrais clients.
• LES ÉTOILES, OUTIL COMMERCIAL ? Pas vraiment. Les clients d’hôtels européens ne sont plus que 16 % (8 % des séniors) à en tenir compte pour choisir des hôtels où passer un séjour — études régulières de Coach Omnium — contre 64 % en 2008. Internet, les plateformes de réservations hôtelières (Booking et compagnie), les sites d’avis en ligne sont passés par là. Ces derniers, avec des témoignages à foison de consommateurs, sont infiniment plus recevables et explicites qu’un simple classement qui n’est qu’administratif. Et surtout ni lisible, ni fiable.
On comprend que les étoiles sont surtout le souci des hôteliers pour chercher à se valoriser. « Nous sommes fiers d’avoir décroché la 4e étoile », peut-on lire. Pourtant, l’ordonnateur du classement affirme qu’il bénéficie d’une forte adhésion chez les hôteliers en France avec 87 % des chambres hôtelières classées — une astuce pour grossir artificiellement l’impact —. En vérité, il n’y a que près de 71 % des établissements qui ont opté pour les étoiles (base 2023).
Et encore, si on retire les 1.600 hôtels parisiens qui sont 89 % à être classés, il ne reste alors plus que 62 % des établissements en province à l’être…
Ainsi, près de 4.900 hôtels n’arborent pas d’étoiles sur près de 17.000 adresses hôtelières dans l’Hexagone — voir notre Panorama de l’hôtellerie en France. Si dans le lot, des hôtels ne peuvent correspondre à quelques éléments des normes de classement, la majorité des exploitants ont fait le choix de ne pas demander ou redemander leurs étoiles. Ils s’en affranchissent car ils sont conscients qu’elles n’apportent rien commercialement. Ou pour s’économiser un contrôle administratif supplémentaire. Ils savent qu’un hôtel n’a pas besoin des étoiles pour trouver sa clientèle s’il développe de bons moyens commerciaux et bénéficie d’une bonne e-réputation.
L’Insee publie régulièrement des taux d’occupation des hôtels non classés qui sont inférieurs à ceux des hôtels classés. Certains veulent en déduire que les étoiles permettent d’obtenir de meilleurs scores de fréquentation. C’est faux.
En réalité, les non classés sont souvent des petits établissements en nombre de chambres. Or plus un hôtel est grand et meilleur est son taux d’occupation, car il peut travailler avec un mix-clientèle plus large. Les non-classés sont également souvent en milieu rural où la demande est plus faible qu’en milieu urbain. Leur activité n’a donc rien à voir avec le fait d’être classé ou pas.
• MODE DE CONTRÔLE FIABLE ? Rappel : passons sur le fait qu’un auditeur ne peut représenter à lui seul l’ensemble des clientèles et leurs différentes sensibilités et attentes, y compris avec des motifs de séjours variés (loisirs, affaires…). Dans le processus de classement, les hôteliers choisissent et paient le cabinet référencé qui va contrôler leur entreprise. Comme si on pouvait choisir son juge qui officiera au tribunal. Voilà donc déjà un vrai modèle d’impartialité !
Dès lors où les auditeurs fournissent en principe tous le même travail, ce sont uniquement les prix qui les distinguent entre eux. Les tarifs étant libres, les hôteliers vont alors choisir le moins cher — normal — ou, pire (mieux pour eux), le plus arrangeant. Certains cabinets référencés sont prêts à tout pour être choisis.
Quand l’audit n’est pas une visite-mystère en 4 et 5 étoiles (mais, on devine sans peine à quelle période cela peut se dérouler, ce qui permettra d’identifier le « visiteur-mystère » qui n’est alors plus vraiment mystérieux), on sait quand le contrôleur viendra. Date est prise. Il est alors facile de montrer les bonnes chambres, d’expliquer que tout ne peut pas être visité car des clients en occupent ou que des espaces sont condamnés car en maintenance (cela s’est vu, par exemple pour exterminer les punaises de lits). Aussi, il est fréquent que les visites soient raccourcies et que l’on vérifie moins que ce qui devrait l’être selon la procédure. Quand ce n’est pas l’auditeur qui réduit de lui-même le nombre de chambres à voir, au bonheur de l’exploitant. C’est autant de travail en moins dans le contrôle, surtout quand le tarif de sa prestation a été négocié au rabais. Il faut bien vivre.
Enfin, comme une visite annoncée en journée ne permet pas de se rendre compte du fonctionnement de l’hôtel (qui sert surtout la nuit aux voyageurs), on se contente des déclarations des hôteliers pour valider les critères non accessibles / visibles.
• CRITÈRES DE QUALITÉ ? Nous avons déjà eu l’occasion de démontrer(*) combien les critères de classement sont diablement minimalistes dans leurs exigences. Nous n’allons pas refaire la liste de ce qui ne va pas dans ce qui est attendu chez des hôteliers comme prestations. La plupart des critères sont au ras des pâquerettes. Même un non professionnel de l’hôtellerie s’en rendra compte en les lisant dans le référentiel. C’est bien simple, un hôtelier qui les respecterait à la lettre, sans aller au-delà, n’aurait plus de clients !
Avec l’avènement du classement réformé en 2009, bon nombre d’hôteliers, dont en premier les chaînes, ont demandé et obtenu une étoile supplémentaire sans enrichir leur offre, grâce à ces critères peu contraignants.
– Un simple exemple : les superficies minimales exigées pour les chambres classées sont extrêmement réduites. La norme en fait des hôtels pour lilliputiens ou utilisateurs immobiles. Surtout ne pas être claustrophobe. En 2 étoiles, les normes dictent au moins 10,75 m2 pour les chambres de 2 personnes, salle de bains comprise. En 3 étoiles, c’est 13,50 m2 et en 4 étoiles 16 m2. Si on y met trop ou même quelques meubles, voire si le voyageur intercontinental s’installe avec plusieurs grosses valises, il n’est plus possible d’y circuler. Sachant que la literie occupera par son encombrement déjà de 50 à 60 % de la surface totale !
– Sera-t-on satisfait de savoir qu’un hôtel dans un immeuble de 4 étages n’aura pas besoin de proposer un ascenseur ?
– Bien qu’il y ait un référentiel plus garni quand on monte en gamme, ce qui est normal, le système est en trompe-l’œil. La majorité des exigences ne sont pas obligatoires. Mieux, par un jeu de points à gagner grâce aux critères facultatifs, les plus nombreux, on peut compenser des impératifs qui manqueraient. Jusqu’à la grille revue en 2016, on pouvait même gommer le fait qu’un hôtel soit sale en gagnant des points dans les « facultatifs » grâce à la mise en place d’un chariot à bagages, d’une table à langer et d’un billard, par exemple… Il aura fallu 7 ans pour corriger cette grave anomalie.
– Et où est la modernité quand le référentiel n’impose « un module de réservation en ligne directement sur le site internet de l’hôtel » qu’à partir de la 4e étoile ? Pourtant, 96 % des clients des voyageurs veulent pouvoir réserver une chambre en ligne, sans attendre, et obtenir une confirmation de réservation en temps réel. Voilà de quoi envoyer illico les clients sur les plateformes de réservations (OTAs), si détestées par les hôteliers, où « l’on peut réserver en direct, sans attendre ».
– Si le Wifi est (enfin) obligatoire dans l’hôtel, rien n’est défini comme exigence de qualité de réception et de flux. Rien n’est dit sur sa gratuité ou le fait de le faire payer non plus. Or 94 % des clients d’hôtels (affaires comme loisirs — études régulières par Coach Omnium) demandent un accès à Internet dans les hôtels, en haut débit (fluide et puissant) à toute heure. Et gratuit.
– Quant aux audits, comment juger si « une façade d’hôtel est propre et en bon état », deux questions en une seule ? Elle peut être propre et à la fois lézardée. Ou le contraire. Et à partir de quel degré de « salissure » une façade est-elle considérée comme sale ? En notant que ce critère de l’état du bâtiment n’est pas obligatoire pour les hôtels 1 et 2 étoiles…
– Petite anecdote : le référentiel impose un miroir dans la chambre, mais pas spécifiquement dans les salles de bains. Aussi, le miroir mural n’y est pas obligatoire, ni même recommandé… Pratique pour se raser ou se maquiller. Cet omission — pourtant signalée à plusieurs reprises — se poursuit depuis la première grille de classement de 2009.
– Nouveaux critères environnementaux : la dernière grille de classement de 2022 en comprend une vingtaine. Mais à les regarder de près, si on trouve des demandes assez banales (ampoules basse consommation, moyens d’économiser l’eau, tris des déchets…), la plupart s’appuient, encore une fois, sur un simple mode déclaratif de la part de l’hôtelier (il suffit de dire qu’on le fait pour que ce soit pris en compte). Ou encore, les critères peu sont ambitieux, comme par exemple « l’existence d’au moins un produit d’entretien respectueux de l’environnement ». Et tous les autres ? Mais, ces critères environnementaux là sont toujours mieux que rien.
– Pour autant, tricher sera toujours aussi facile. Il suffit d’acheter la veille d’un contrôle un produit d’entretien respectueux de l’environnement, des produits bio ou en circuit-court (une facture à l’appui), ou encore de donner la consigne à son personnel pour qu’il dise au vérificateur qu’il a été « sensibilisé » à la « gestion économe de l’énergie, aux mesures d’économie d’eau, et à la gestion des déchets ».
• EN QUOI CE CLASSEMENT POSE-T-IL UN PROBLÈME ? Que le système français des étoiles en hôtellerie soit un chef-d’œuvre bureaucratique, qui aurait certainement inspiré Courteline, n’est pas ce qui peut sembler le plus ennuyeux. Après tout, les hôteliers sont encore libres de s’y adonner ou pas.
On peut quand même trouver anormal que pour obtenir des aides publiques (par exemple pour rénover son hôtel), les collectivités imposent que les hôtels demandeurs soient préalablement classés. Quand on sait combien le système des étoiles est peu professionnel et n’apporte rien sur le plan commercial, cela peut surprendre.
Si les clients d’hôtels se fichent des étoiles ayant désormais à leur disposition d’autres moyens de se rendre compte de la qualité d’un hôtel, on pourrait se dire que le classement n’a plus aucune importance. Qu’il n’y a plus lieu d’en discuter. Sauf que bon nombre de projets hôteliers se créent en s’appuyant in extenso sur les critères du classement. Les architectes et promoteurs, peu habitués à l’hôtellerie ou n’ayant pas le souci des clients d’hôtels, se basent notamment sur les superficies ridicules et non recevables demandées dans le référentiel pour les chambres, sanitaires compris, qui ne peuvent convenir aux voyageurs dans leur plus grand nombre.
Par ailleurs, le fait qu’accéder à une étoile supplémentaire — comme près de 60 % d’hôteliers l’ont fait — sans enrichir sa prestation et sans effort, est simplifié et encouragé dans le classement hôtelier. Cela a eu pour effet de faire monter artificiellement et administrativement l’hôtellerie en gamme, mais globalement pas de facto. Ainsi on dénombre en 2023, 2.689 hôtels classés 4 et 5 étoiles dans le parc hôtelier français, contre 1.506 unités 10 ans auparavant, soit + 78 % ! Lire également notre analyse « Des hôtels haut de gamme comme s’il en pleuvait !« .
En cela, quand le classement se prétend être un vecteur de modernité et d’innovation, il influe au contraire à appauvrir et à dévaloriser l’offre hôtelière française tant il est médiocre dans son contenu et dans son mode opératoire. En résumé, il n’y a plus que les hôteliers pour croire aux étoiles, lesquelles sont loin d’être une garantie pour le public. Et encore moins un outil commercial.
• Référentiel applicable en avril 2022
Mark Watkins
(*) L’auteur a été à l’origine du lancement de la réforme du classement hôtelier en 2007 auprès du Ministère en charge du tourisme lorsqu’il était président du Comité pour la Modernisation de l’Hôtellerie et du Tourisme Français. Mais sans pouvoir participer à son élaboration.