C’est assez fascinant de voir à quel point notre secteur aime s’autocongratuler d’avoir “maîtrisé” la distribution. Comme si nous avions atteint une sorte de Graal numérique : les canaux sont ouverts, les réservations tombent, tout roule. En réalité, cette vision me paraît terriblement étriquée, un peu comme si on affirmait avoir rempli un supermarché alors qu’en fait, seul le rayon pain est approvisionné.
C’est vrai, on a plutôt bien géré la partie “chambres” : inventaire, tarifs, disponibilités. Les systèmes fonctionnent – avec leurs bizarreries, certes – et nous avons connecté OTAs, GDS et plateformes sophistiquées de revenue management. Et c’est sur cette base que s’installe l’idée trompeuse selon laquelle la distribution serait une affaire réglée, un chapitre clos.
Le paradoxe, c’est que les équipes de distribution se réduisent… alors même que nous ne faisons que commencer à distribuer l’ensemble des produits et services hôteliers. C’est un peu comme célébrer la victoire à la mi-temps alors qu’on est encore largement mené. Au lieu de lever le pied, c’est d’investissements, de talents et d’attention redoublée dont nous avons besoin.
Car au fond, de quoi parle-t-on ? De restauration (réservations de tables, menus prépayés, expériences gastronomiques personnalisées). De spa, de golf, d’excursions locales, d’activités uniques. De salles de réunion, de forfaits événementiels, d’accès aux salles de sport, de produits de boutique, de places de parking. Tous ces actifs à forte valeur ajoutée restent bloqués dans des systèmes obsolètes, cloisonnés au niveau de chaque établissement, loin d’une vraie mise en marché digitale. Le manque à gagner est colossal.
En clair, nous avons optimisé une seule ligne d’un catalogue immense. Comme si nous avions un système ultra-performant pour vendre uniquement un soda, alors que tout le rayon boissons – sans parler du reste du magasin – attend d’être digitalisé et mis en valeur. Le client, lui, est prêt, connecté, avide de tout réserver en quelques clics. Mais au-delà de la chambre, on l’oblige encore à téléphoner, remplir un formulaire ou se déplacer.
Non, nous sommes loin d’être “arrivés”. La vraie transformation numérique de la distribution hôtelière ne fait que commencer. Le Graal, ce n’est pas un produit unique : c’est une place de marché digitale intégrée qui englobe toute l’expérience client. Tant que nous n’y parviendrons pas, nous laisserons de l’argent dormir sur l’étagère numérique.
La vie est ultra-tech. Mais notre vision de la distribution reste enfermée dans une seule chambre.
Mark Fancourt