La loi “visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale” vient à peine d’être publiée (ce 21 novembre) au Journal Officiel que, déjà, quelques rumeurs insistantes laissent espérer une révision des abattements et des plafonds concernant les gîtes et les chambres d’hôtes … Pour l’heure, rien n’est moins improbable.
Et si les gîtes et les chambres d’hôtes finissaient par retrouver un “modèle fiscal” différent des autres meublés de tourisme ? Selon le journal Les Echos, un conseiller (anonyme) de la nouvelle ministre à l’économie touristique, Marina Ferrari, aurait déclaré :“Nous respectons la décision des parlementaires à l’issue de la commission mixte paritaire. Nous saluons l’abattement différencié pour les gîtes qui font la démarche d’être classés, ce que défendait la ministre en tant que parlementaire. Toutefois, nous convenons comme les acteurs du secteur, que la différence de situation n’a pas été appréciée suffisamment dans la loi.”
71% sinon rien ?
Une réunion serait, toujours selon cet article, programmée le 2 décembre prochain en vue de débattre d’un régime différent puisque le cabinet de la ministre évoque au sujet des maisons d’hôtes “des services dispersés (qui) s’apparentent à de l’hôtellerie” et un “complément de revenus significatif aux agriculteurs” (dont la grogne se fait bien entendre ces jours-ci), dans le cas précis des gîtes ruraux. L’idée serait de débattre d’un possible retour de l’abattement de 71% juste pour les gîtes et les maisons d’hôtes. Pour autant, rien n’est moins certain qu’un changement de cap sur ce sujet soit accepté par Bercy ou le gouvernement…
Retour “au réel” ?
L’une des premières raisons pour lesquelles Bercy (ou Matignon) pourrait refuser de revoir les conditions fiscales issues de la nouvelle loi sont, d’une part, politique, et d’autre part, technico-fiscale.
Sur un plan politique, il ne faut pas ignorer que cette loi est d’origine “transpartisane” et qu’elle a été largement votée par tous les partis présents au Sénat et à l’Assemblée, à l’exception notable du RN. Chaque dispositif, chaque article a été largement débattu et l’on voit mal, dans ces conditions (qui plus est de précarité parlementaire), le gouvernement proposer la modification d’une seule virgule de ce texte obtenu aux forceps. Qui plus est, comme le rappelle anonymement son conseiller, la ministre du tourisme elle-même du temps où elle était parlementaire (c’est-à-dire, avant juillet dernier) y était favorable sans la moindre réserve …
L’autre objection est technico-fiscale: en effet, les abattements (rabotés) en question ne concernent que les propriétaires qui appliquent le régime du forfait. Selon plusieurs experts-comptables, la technique du forfait qui consistait à appliquer un abatemment de 71% (50% maintenant) sur les revenus des maisons d’hôtes correspondait bien, bon an mal an, à leur niveau de charges. Le niveau d’imposition final, lui, reste le même (c’est-à-dire, en fonction de la situation fiscale du déclarant et de l’existence ou non d’autres revenus annexes). Donc, pour retrouver une assiette d’imposition ajustée sur un niveau de charges proche des 71%, il faudra que les propriétaires acceptent de passer au régime dit du “réel”; ce qui suppose de tenir une comptabilité fine afin d’être en mesure de déduire chaque dépense et chaque amortissement du mobilier et de l’immobilier de leur revenu imposable. Et de parvenir à justifier chaque dépense dans des niveaux similaires à ce que le forfait permettait d’atteindre jusque là …
Pour de nombreux propriétaires, cette nouvelle charge sera donc à la fois administrative, comptable et financière (les honoraires de leurs comptables étant, dans ce cas, bien plus élevés, même s’ils seront eux-aussi déductibles …). Ainsi pour ne pas avoir à payer plus d’impôts en 2026 (qu’en 2025), un propriétaire qui déclarait réaliser 60.000 euros de revenus par an (c’est la moyenne du secteur) devra justifier de 42.600 euros de charges annuelles (s’il souhaite passer “au réel”) alors, qu’auparavant, une simple application de l’abattement de 71% lui permettait de limiter son assiette fiscale à 17.400 euros…
Même si la loi s’appliquera, dès 2026, sur les revenus réalisés à partir du 1er janvier prochain, les propriétaires disposeront donc d’une année pour décider de leur passage ou non du règime forfaitaire à celui du “réel”. Le choix risque d’être un souci de plus pour un grand nombre d’exploitants de gîtes et de maisons d’hôtes puisque, à ce jour, l’immense majorité d’entre eux applique le mode “forfaitaire” à sa déclaration de revenus.
Cependant, on voit bien là que l’argument de Bercy ne fera pas mystère pour refuser la remise en vigueur d’un abattement à 71%: les hauts fonctionnaires répondront, très assurément, que chaque propriétaire a la faculté d’actionner l’option du “réel” s’il pense pouvoir justifier d’un niveau de charges proche des 71% … Pour ces derniers, donc, nul doute que cette faculté suffira à justifier que la révision du texte de loi serait inappropriée …
L’équité fiscale en embuscade
D’autres arguments, plus techniques, pourraient également prospérer pour faire obstacle à cette demande de réhabilitation des seuils “anciens” d’abattements.
D’une part, il y a le principe de l’équité fiscale: les auteurs de la nouvelle loi ont, en effet, bien pris soin de pas faire de distinction entre les modes d’exploitation d’un bien immobilier destiné à la location courte-durée mais seulement à son seul statut de “classé” ou “non classé” (tourisme). Un recours en Conseil d’Etat pourrait donc prospérer si, en dépit de cette loi, des différences étaient introduites pour contrevenir au fameux principe d’équité fiscale (introduit en France depuis la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789) entre les contribuables. Selon un spécialiste du droit fiscal: “Demander le classement “tourisme” est facultatif et les propriétaires qui s’en dispensent se privent aussi de l’avantage fiscal (énoncé dans le nouveau texte). Pour les autres (les “classés”), au fond, la loi ne fait qu’inciter à passer “au réel” en rendant le “forfait” moins attractif. Les alignements sont subtils, certes, mais en l’état (sauf à justifier de charges plus élevées), chacun dispose des mêmes règles d’assujetissement à l’impôt. Les différencier au-delà de ce qui a été voté, reviendrait à contrarier le principe d’équité fiscale …”.
Cependant, si ce principe d’équité est intangible, il est en général “contourné” par le mécanisme des “niches fiscales” (conçues pour encourager certains comportements économiques ou soutenir des secteurs spécifiques comme celui des gîtes, par exemple). Or, en dépit de l’actualité, cette “niche” est encore effective pour le secteur des “meublés touristiques”. En effet, elle n’a pas étré supprimée par la loi mais simplement “rabotée” en raison de deux principes: stopper le foisonnement incontrôlé des meublés saisonniers (au détriment de l’habitat permanent puisqu’ils sont passés de 300.000 en 2016 à 800.000 en 2021) et … supprimer un avantage fiscal (l’abattement) qui coûte cher à l’Etat français et que ce dernier, dans le contexte budgétaire actuel, chasse dans tous les coins.
Rien n’est moins sûr, pour toutes ces raisons, que des changements majeurs à la nouvelle loi soient vraiment obtenus dans les prochaines semaines; même si des raisons économiques évidentes justifieraient de distinguer les deux catégories de “locations saisonnières” entre les “marchands” et les “non-marchands”. Mais, de cela, personne n’en a vraiment parlé au parlement ou ailleurs durant les très longs mois qui ont précédé le vote du texte …